Les conséquences pour l’Afrique de la crise en Europe

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Par Sylvain Fontan Publié le 4 avril 2014 à 3h24

Le développement économique du continent africain est très lié à l'Europe. Les liens entre ces deux continents sont anciens et datent notamment de l'époque coloniale. Ils se manifestent notamment par les échanges commerciaux, d'investissements et de populations. Dès lors, et même si l'Afrique est diverse et ne forme pas un tout homogène, il apparaît cependant que la crise globale qui touche l'Europe souligne la fragilité du continent africain et pousse ce dernier à orienter sa stratégie de développement vers des pays émergents.

Différents canaux rendent l'Afrique très dépendante de la situation économique en Europe

Etant donné la grande diversité des pays africains, les conséquences sur chaque pays seront différentes. En effet, certains pays ont des monnaies de fait rattachées au dollar ou à l'euro, d'autres sont des grands exportateurs d'hydrocarbures, d'autres sont spécialisés sur les matières premières, d'autres encore, sont très pauvres ou alors émergents, peuvent être ultraspécialisés ou alors avoir des exportations très diversifiées, etc. Il convient donc d'identifier plusieurs catégories de canaux de transmission entre l'Europe et l'Afrique, tout en étant conscient que chaque pays n'est pas nécessairement touché par l'ensemble.

L'Aide Publique au Développement (APD)

Malgré le fait que de nouveaux acteurs (Chine, Inde, Brésil) émergent pour aider financièrement l'Afrique, les Etats-Unis et l'Europe demeurent les principaux soutiens financiers du continent africain. L'aide annuelle se situe aux alentours de 30 milliards de dollars, et près de 50% provient des pays de la zone euro, faisant ainsi de la France le premier contributeur mondial historique au développement de l'Afrique.

L'intensification de la crise de la dette en Europe a amené plusieurs pays à revoir à la baisse leur aide financière vers l'Afrique. En effet, en 2011, l'aide publique a même diminué pour la première fois depuis 15 ans. Les pays qui ont le plus diminué leur aide sont la Grèce (-40%) et l'Espagne (-33%). La France a elle aussi diminué son aide, la faisant ainsi chuter au quatrième rang au niveau de l'APD destinée à l'Afrique.

Si cette tendance devait se confirmer, alors les pays africains les plus dépendants de l'aide financière internationale, seraient fortement impactés. Dans ce cadre, il convient de citer le Libéria, la République Démocratique du Congo ou encore le Mozambique, pour lesquels l'PD représente une part importante du PIB. L'APD annuelle représente par exemple environ 35% du PIB du Libéria, une baisse, même minime, serait immédiatement significative pour ce pays.

Le commerce international

L'Union Européenne (UE) est très largement le premier partenaire commercial de l'Afrique car elle absorbe près de 40% des exportations du continent africain. L'importance commerciale de l'Afrique est particulièrement vraie pour les pays d'Afrique du Nord (Maroc, Algérie, Tunisie et Lybie), mais aussi pour les petites économies telles que Madagascar ou le Mozambique avec plus de 60% des exportations qui sont destinées à l'Europe. Le marché européen est même fondamental pour un pays comme le Cap-Vert dont 96% des exportations va en Europe. Dans ces conditions, la baisse de la demande européenne peut avoir des effets importants sur l'emploi des pays africains.

Inversement, le fait que l'euro ait pu se déprécier (perte de valeur) a pu avoir des effets positifs sur un certain nombre de pays. En effet, plusieurs pays africains utilisent la valeur de l'euro pour déterminer la valeur de leur monnaie : les pays de la zone CFA (Communauté Financière Africaine) avec notamment la Côte d'Ivoire, le Mali, le Niger, le Sénégal ou encore le Togo. Comme la valeur de l'euro peut diminuer, ces pays bénéficient de cela pour améliorer leur compétitivité-prix et donc augmenter leurs exportations. Toutefois, cet effet est valable uniquement lorsqu'ils exportent en-dehors de la zone euro. Or, comme la majeure partie des exportations s'orientent vers l'Europe, la baisse de la demande européenne devrait être supérieure au gain lié à l'amélioration de la compétitivité-prix. Du côté des importations, la plupart sont libellées en dollars. Dès lors, en cas de perte de valeur de l'euro, les importations deviennent plus chères. Au final, si l'euro devait encore se déprécier il y aurait une baisse des exportations à cause de la réduction de la demande, et une hausse de la valeur des importations libellées en dollar, le tout aboutissant à une dégradation de la balance commerciale de ces pays.

Recettes touristiques

Il y a en Afrique des pays où le secteur touristique est particulièrement développé : Ile Maurice, Tunisie, Afrique du Sud, Maroc, Kenya, Sénégal, etc. Néanmoins, l'Afrique prise comme un tout, reste sous-représentée dans les statistiques du tourisme mondial, ce que vient confirmer le faible développement des infrastructures dédiées au tourisme.

Le nombre de touristes a fortement augmenté en une décennie, passant de 27 millions en 2000 à 50 millions en 2010. Durant la même période, les recettes ont triplés passant de 10 milliards de dollars, à 30 milliards. A titre de comparaison, la France, première destination touristique du monde, accueille à elle seule plus de 70 millions de touristes par an, pour près de 50 milliards de dollars de recettes.

Le tourisme en Afrique a ralenti depuis 2010. Néanmoins, il est difficile de faire la distinction entre ce qui est imputable à la crise européenne, et ce qui est dû aux printemps arabes. Cependant, il apparaît de plus en plus clairement, que les évènements politiques des printemps arabes aient fortement ralenti l'activité touristique des pays concernés, faisant ainsi mécaniquement chuter l'activité touristique totale du continent. Notons également, que des pays qui ne sont pas concerné par ces évènements politiques ont vu la fréquentation touristique diminuer de plus de 10% comme au Kenya. La baisse du tourisme dans ces pays, déjà fortement impactés par la baisse des échanges commerciaux, peut s'avérer très importante sur les économies locales.

Fonds des migrants

Les fonds des migrants correspondent aux sommes d'argent envoyées par les différentes diasporas à travers le monde dans leurs pays d'origine. Les fonds des migrants se sont élevés à 40 milliards de dollars 2010 et ils ne semblent pas avoir diminué depuis. Au contraire, la crise a fait que le soutien des migrants envers leurs proches restés en Afrique, s'est accru dans plusieurs pays, notamment en provenance de France, Italie et Espagne. Les fonds privés sont en réalité moins volatiles (voir définition) que les capitaux privés en cas de conjoncture économique défavorable.

Du fait de la proximité avec l'Afrique, l'Europe est une zone d'émigration privilégiée, et donc la principale zone géographique émettrice. Les pays principaux depuis lesquels les migrants envoient les fonds sont la France, l'Espagne, l'Italie et le Portugal, avec respectivement 42%, 16%, 15,5% et 7% des transferts en provenance de cette zone.

Investissements Directs Etrangers (IDE)

Les IDE (voir définition) à destination de l'Afrique restent un élément peu important des ressources du continent. En effet, ces derniers concernent essentiellement les pays producteurs d'hydrocarbures et de minerais afin de développer des infrastructures déjà existantes ou d'en créer de nouvelles. De fait, les IDE sont très inégalement répartis sur le continent. Néanmoins, il convient de souligner qu'ils ont considérablement augmenté depuis 2002. Cependant, la crise économique, les tensions politiques et la baisse des prix des hydrocarbures a entraîné une diminution des IDE en Afrique avec plusieurs années de baisse depuis 2008. Par exemple, les IDE en provenance de la zone euro et à destination du Maroc ont diminué de 27% rien qu'en 2011.

L'Afrique ne doit pas compter uniquement sur l'Europe pour son développement

Lors de l'éclatement de la crise en 2008, les pays africains avaient suffisamment de ressources pour mettre en place des politiques de soutien à l'activité. Avec le prolongement de la crise, les marges de manœuvre sont beaucoup plus limitées. En effet, avec la baisse des recettes d'exportations la balance courante (voir définition) de plusieurs pays africains commence à se dégrader sérieusement car les recettes liées aux droits de douanes occupent toujours une place importante des finances publiques. L'activité économique étant moins dynamique, le solde budgétaire de ces pays diminue également, ce qui réduit d'autant la capacité à faire face à un prolongement de la dégradation économique. Les pays exportateurs de matières premières et d'hydrocarbures ne présentent pas la même problématique car ce sont des activités qui assurent des rentrées financières relativement stables et élevées. En revanche, un pays comme l'Egypte par exemple, qui cumule en plus une instabilité politique et une activité touristique en chute, fait courir de grands risques à ce pays.

La situation actuelle du continent africain souligne l'importance de diversifier les relations économiques. En effet, les difficultés économiques rencontrées par les partenaires traditionnels du continent, commencent à se faire ressentir, parfois durement. Dans ce cadre, il convient de souligner l'importance accrue que la Chine prend dans l'économie du continent (voir décryptage). En effet, alors que les échanges entre le continent et la Chine s'élevaient à 10 milliards de dollars en 2000, ils sont actuellement supérieurs à 120 milliards. Les projections estiment que la Chine pourrait recevoir 25% des exportations africaines d'ici 2060, contre seulement 5% actuellement et ainsi représenter autant que les Etats-Unis et l'Europe réunis. L'inde et le Brésil cherchent également à accroitre leurs intérêts économiques dans la région comme en atteste, par exemple, la récente aide brésilienne qui a annulé la dette de 12 pays africains pour un montant de 900 millions de dollars.

Lire d'autres analyses économiques écrites par Sylvain Fontan sur son site : www.leconomiste.eu

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Sylvain Fontan, économiste et créateur du site www.leconomiste.eu   Parcours Professionnel   - Analyste-Investissement (Unigestion - Société de gestion d’actifs) - Analyste-Risque (RWE - Société de trading en énergie) - Analyste-Hedge Fund (BPER - Banque Privée Edmond de Rothschild) - Macroéconomiste (TAC - Laboratoire de recherche privé en économie et finance) - Chargé d’études économiques (OMC - Organisation Mondiale du Commerce) - Chargé d’études économiques (ONU - Organisation des Nations Unies)  

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