Voilà quelques trois années que la crise grecque, devenue celle de l’euro puis de l’Europe, perdure et repousse chaque semaine un peu plus loin les limites de la fantaisie monétaire. Et en cette fin d’année qui – hasard du destin ? – annonce celle du centenaire de la FED américaine, la question de la survie de notre monnaie pour l'année au chiffre 13 inquiétant est bien sûr tentante.
Bien des économistes, soyons en certains, vont s’essayer à cet exercice et se lancer, grand classique, dans quelque prévision savante, riche d’analyses chiffrées sophistiquées dont les post-keynesiens ou monétaristes ont tous le secret. Laissons-leur ce plaisir vain pour exploiter ici un autre angle de vue.
L’euro est né d’une définition porteuse d’une promesse. Un euro, c’était 6,55957 francs. Surtout, implicitement, grâce à une banque centrale « forte et volontariste », la certitude de le rester. Le moins qu’on puisse dire, c’est que le bébé de l’Union a connu depuis un destin très différent.
La BCE est fière d’afficher sur son site une inflation moyenne d’environ 2,075% par an depuis 1999. En cumul, cela fait 30,60 % d’inflation. La monnaie, et donc nos bas de laine, ont donc perdu un tiers de leur valeur depuis qu’elle existe, alors que le rôle de la BCE est justement d’en assurer la stabilité. Et encore, cela repose sur une définition contestée de l’inflation, celle des prix et non de la masse monétaire. Il suffit d’ailleurs d’aller faire ses courses chaque semaine pour se rendre compte que ce chiffre de 30 % est bien en dessous de la réalité. L’euro a-t-il survécu à sa propre inflation ?
Rappelons au passage la fonction de la monnaie, on l’oublie trop souvent dans les « politiques monétaires ». Selon Pascal Salin, « l’échangeabilité de la monnaie est d'autant mieux assurée […] qu’elle permet mieux de maintenir le pouvoir d'achat dans le temps (c’est-à-dire qu'elle est moins « inflationniste ») ». C’est logique, l’intérêt de tout-un-chacun est bien que la monnaie ne subisse pas – ou le moins possible – de perte de valeur afin que lui-même puisse préserver ses économies.
Outre cette inflation posée comme bonne pratique par la banque centrale, les changements institutionnels que la crise grecque a provoqués constituent une autre série d’atteintes à l’intégrité de la « monnaie promise ». Les mécanismes comme le MES ou le FESF, qui cherchent à artificiellement retarder – pour ne pas dire empêcher – l’impact du défaut éventuel d’un des pays membres, constituent un suicide monétaire collectif – mais le dire n’est pas politiquement correct.
En effet, ces mécanismes reposent sur un principe de déresponsabilisation des acteurs qui ne peut que diverger – la longueur de la crise ne fait que le confirmer. Car il n’y a pas de miracle. Quand le marché voit que chaque fois qu’un pays – une qu’une grande banque ou entreprise – est en difficulté, les autorités chargées de la monnaie interviennent pour éponger ses dettes, il est évident qu’il cherchera à profiter de l’aubaine et à créer d’autres situations de ce genre. Et c’est bien ce qu’on voit se passer depuis trois ans et qui fait que la crise perdure indéfiniment. Personne n’a le courage de mettre l’intégrité de la monnaie comme priorité et ce sont les épargnants qui trinquent.
Ceux qui à la lecture d’une telle position – proche de celle d’Olivier Delamarche – crieront à l’irresponsabilité, ou autres noms d’oiseaux, sont précisément ceux qui préfèrent faire de l’euro le cache sexe de la mauvaise gestion des pays et non cette monnaie étendard qui devait faire la prospérité des européens. On veut sauver l’euro ? Laissons chacun assumer ses propres dettes.
Alors quelle perspective quant à l’euro en 2013 ? La logique voudrait qu’il disparaisse, il aurait dû disparaître il y a déjà de nombreux mois. Mais « ils » arriveront sûrement encore à trouver des montages tortueux pour le faire survivre encore un peu. Il n’en demeure pas moins que l’euro en tant que monnaie digne de ce nom n’est plus, depuis longtemps. A quand son euthanasie ?
Stéphane Geyres