Une lecture wicksellienne des crises américaines

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Par Fabien Pirollo Publié le 2 octobre 2015 à 5h00
Crise Etats Unis Dette Pib
@shutter - © Economie Matin
195 %La dette du secteur privé américain représentait près de 195 % du PIB des Etats-Unis en 2014.

Les crises de la bulle Internet (2000) et des subprimes (2007) peuvent être expliquées par un modèle économique théorique développé par l'économiste Suédois Knut Wicksell (1851 - 1926) dans son ouvrage Intérêt et prix (1898). L'intérêt de ce modèle est qu'il permet grâce à une schématisation des crises de mieux les comprendre et peut être aussi de mieux les anticiper.

Que dit Wicksell ? Il affirme que le mouvement des prix est la conséquence de l'écart entre 2 taux d'intérêt : le taux d'intérêt de marché (celui auquel les banques prêtent) et le taux d'intérêt naturel (le taux de profit marginal). Pour faire simple, prenons le cas d'un entrepreneur. La question qu'il se pose est : "si j'emprunte 1 € de plus à ma banque, de combien mes profits vont-ils augmenter ?". S'il augmentent plus que "1 € + le taux d'intérêt de marché", alors il convient évidemment d'emprunter. Dans ce cas, si plusieurs entrepreneurs souhaitent investir l'argent emprunté et qu'ils sont soumis à la concurrence, ils devront se disputer les facteurs de production (capital, travail, matières premières...) si bien que la demande de ces derniers augmentera et donc leur prix aussi (actions, salaires, prix...), d'où un phénomène d'inflation.

Le risque majeur est alors que les autorités monétaires décident de maintenir leurs taux d'intérêt trop bas sur une trop longue période de temps afin de faire pression à la baisse sur les taux d'intérêt de marché. En effet, dans ce cas, lors de la phase d'euphorie générale (taux marginaux de profit > taux d'intérêt de marché), de plus en plus d'emprunteurs arrivent sur le marché car ils sont attirés par les taux de profits des autres acteurs du marché alors qu'ils n'y auraient jamais été acceptés dans des conditions normales (taux d'intérêt de marché = taux d'intérêt naturel), d'où un risque de bulle.

On peut déduire de ce qui précède qu'une crise selon Wicksell se déroule en 4 temps : 1. pression des autorités monétaires pour maintenir un taux de marché anormalement bas 2. un secteur de l'économie bénéficie particulièrement de ces taux bas et s'enrichie (endettement raisonnable) 3. arrivée d'acteurs privés sur le marché qui ne devraient pas y être, et donc excès d'endettement et formation d'une bulle 4. éclatement de la bulle et retour à la normale.

Les crises de la bulle Internet et des subprimes coïncident parfaitement avec ce schéma, ce que je vais rapidement montrer. La situation actuelle est quant à elle très particulière et j'y reviendrai.

On distingue sur le graphique ci-dessus 3 phases durant lesquelles les taux d'intérêt ont été plus faibles que la croissance en valeur sur une période relativement longue de 1990 à aujourd'hui :

- de 1998 à 2000 : le schéma wicksellien est le suivant : 1. hausse de l'endettement des entreprises qui ont investi massivement dans les nouvelles technologies (création dans les années 90 d'Amazon, Yahoo!, eBay, Google...) 2. de nombreuses entreprises ont vu leur cours de bourse s'envoler très rapidement sans que leur résultat ne suive le rythme (comme le témoigne l'évolution du PER de Schiller sur le S&P 500) d'où la naissance de la bulle Internet 3. la bulle a violemment éclaté en 2000.

- de 2003 à 2006 : ici on a : 1. une forte hausse de l'endettement des ménages qui a permis le financement de leurs logements 2. des ménages très peu solvables (les subprimes) ont bénéficié de l'expansion du crédit alors qu'ils n'auraient normalement pas pu emprunter, d'où la bulle immobilière 3. la crise des subprimes a explosé en 2007.

- de 2010 à aujourd'hui : après la crise des subprimes, la politique monétaire a été très expansionniste avec non seulement le maintien des taux d'intérêt court terme très bas (proches de 0), mais aussi la mise en place de 3 Quantitative Easing (QE) pour abaisser les taux d'intérêt long terme et permettre entre autres le refinancement des crédits immobiliers :

Mais malgré les taux d'intérêt très bas, le crédit au secteur privé aux Etats-Unis n'est pas franchement reparti (voir plus haut) car il y a un besoin de désendettement important après les épisodes de fort endettement décrits ci-dessus :

Macro-économiquement, les Etats-Unis ne se trouvent donc pas actuellement dans un schéma de Wicksell puisqu'il n'y pas de hausse claire de l'endettement du secteur privé.

Mais la situation micro-économique est différente : certes le secteur privé pris globalement se désendette mais à l'intérieur du secteur privé certains acteurs continuent de s'endetter. C'est le cas des ménages américains avec par exemple la dette étudiante qui ne cesse de croître (elle atteint aujourd'hui les mêmes montants que les crédits immobiliers subprimes avant la crise), ou les prêts automobiles :

Ce qui est inquiétant est, outre les montants qui ne cessent d'augmenter, que les banques sont très peu regardantes sur les situations financières des étudiants emprunteurs et peuvent facilement prêter des montants très élevés (environ 5 % des étudiants ont une dette supérieure à 100 000 dollars). De même, des crédits subprimes sur les automobiles ont été mis en place, ce qui permet à des ménages peu solvables d'acquérir des voitures mais à un coût très élevé (les taux d'intérêt peuvent atteindre 30 %).

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Fabien Pirollo est diplômé de l'ESCP Europe avec une spécialisation en économie. Ancien chargé de mission à la Communauté d'Agglomération des Hauts-de-Bièvre, il est également le créateur du blog http://www.economx.pe.hu/ et analyste financier sur le site http://fr.investing.com

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