Crise : vers l’effondrement des sociétés complexes ?

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Par Charles Sannat Publié le 23 septembre 2013 à 15h57

Avant de pouvoir aborder le résultat des élections allemandes avec un peu de recul, je souhaitais faire découvrir à ceux qui ne le connaîtraient pas le travail remarquable du professeur américain Joseph Tainter dont l'ouvrage L'Effondrement des sociétés complexes a été traduit et est désormais disponible en France aux éditions Le Retour aux Sources. Je vous en conseille vivement la lecture.

Jamais nous n'avons ressenti un danger d'effondrement aussi fortement

L'inquiétude des gens est aujourd'hui palpable. Nous avons peur. Nous craignons à juste titre que nos modes de vie soient profondément remis en cause par la crise que nous traversons. Pour beaucoup, les causes de cette crise restent diffuses mais le ressenti demeure juste. Quelque chose ne va pas et ce quelque chose pourrait s'avérer dramatique. Comprendre les processus, connaître l'histoire, disposer de grilles de lecture sont autant d'atouts et d'outils qui permettront à chacun d'anticiper les risques majeurs auxquels ils sont susceptibles, avec une probabilité importante, de devoir faire face. L'explosion de l'euro, l'arrivée d'un nouveau système monétaire international ou encore une crise bancaire systémique, sans oublier une crise d'insolvabilité généralisée, sont autant de « drames » qui nous pendent au nez dans un futur proche.

Ce que nous propose le professeur Tainter n'est rien moins qu'une grille de lecture fascinante et passionnante destinée à expliquer dans l'histoire du monde les processus d'effondrement des sociétés complexes. Disons-le, nos civilisations répondent en tous points aux critères d'effondrement mais aussi aux forces de rappels permettant de retarder, pour l'instant, ce moment de l'effondrement.

La Théorie

J'ai tenté de vous synthétiser et résumer ci-dessous les principaux éléments qui conduisent à l'effondrement d'une société. En réalité, l'ensemble de ces paramètres se vérifient dans l'histoire pour chacune des sociétés complexes s'étant effondrées, de l'Empire romain à la civilisation Maya.

1/ Les sociétés humaines sont des organisations faites pour résoudre les problèmes.

2/ Les systèmes sociopolitiques ont besoin d'énergie pour se maintenir.

3/ La complexité accrue porte en elle des coûts accrus par habitants.

4/ L'investissement dans la complexité sociopolitique, en tant que réponse à la résolution des problèmes, atteint souvent un point de rendements marginaux décroissants.

5/ À mesure que le rendement marginal de l'investissement dans la complexité décline, la société investit toujours plus lourdement dans une stratégie proportionnellement moins rentable. Il faut alors faire face aux poussées de tensions en dehors du budget de fonctionnement courant.

6/ Les rendements marginaux décroissants font de la complexité une stratégie d'ensemble de moins en moins séduisante, si bien que des parties d'une société perçoivent un avantage croissant à une politique de séparation ou de désintégration. Logiquement, divers segments de la population accroissent leur résistance active ou passive, ou tentent ouvertement de faire sécession.

Par rapport à cette grille de lecture, force est de constater qu'un pays comme la France obtient à peu près un sans-faute aux critères de l'effondrement. Comme quoi, nous pouvons être premier quelque part et avec facilité. Les exilés fiscaux ne sont rien d'autre que des « segments de la population qui accroissent leur résistance active ».

Nous finançons notre complexité par toujours plus d'impôts sur toujours plus de choses comme la cigarette électronique, les boissons, et la créativité de nos élites est sur ce sujet sans limite.
Le « choc de simplification » lancé par notre président est un vieux serpent de mer. Tout le monde veut simplifier la complexité, or la complexité s'est emballée, elle nous échappe, nous courrons derrière elle. Nous la subissons.

L'effondrement une bénédiction ?

Une des idées tout à fait intéressante de cet ouvrage est que finalement, l'effondrement peut aussi être une chance et un choix rationnel des acteurs économiques. Tout cela me coûte tellement cher que si cet État s'effondrait, on se débrouillerait mieux tout seul et sans lui (ce que les Belges ont prouvé au monde en restant sans gouvernement plus d'un an).

« Les sociétés complexes sont récentes dans l'histoire de l'humanité. L'effondrement n'est alors pas une chute vers quelque chaos primordial, mais un retour à la condition normale de moindre complexité.

L'effondrement n'est donc pas une catastrophe uniforme.
Dans la mesure où l'effondrement est dû aux rendements marginaux décroissants de l'investissement dans la complexité, c'est un processus économique. Il se produit lorsqu'il devient nécessaire de restaurer le rendement marginal dans l'organisation à un niveau plus favorable.

Pour une population qui reçoit peu en retour de ce qu'elle investit pour soutenir la complexité, la perte de celle-ci apporte des gains économiques et sans doute administratifs. »

Adapté à notre pays, cela donnerait que tous les couples très riches (au sens gouvernemental) gagnant plus de 4 000 euros/mois paient beaucoup et reçoivent peu et de moins en moins. Ils auront dès 2015 intérêt à ce que ce système qui les spolie s'effondre, or ils représentent le cœur même d'un pays donc du système.

L'effondrement est impossible à ce jour (vous allez pouvoir rassurer votre belle-mère en partie et pas longtemps)
Je cite longuement la théorie avancée. Je ne partage pas pleinement cet avis. J'y reviens plus loin.

« Dans des situations de régimes politiques concurrents, ou potentiellement concurrents, l'option de l'effondrement vers un niveau inférieur de complexité est une invitation à être dominé par un autre membre de cet agglomérat. Par conséquent, la complexité doit être maintenue quels qu'en soient les coûts. »

« L'effondrement n'est possible que là où n'existe aucun concurrent assez fort pour remplir le vide politique de la désintégration. Dans ce cas, la faiblesse politique et militaire conduira à une lente désintégration et/ou à un changement de régime. »

Le monde d'aujourd'hui est saturé. Il est rempli de sociétés complexes. L'effondrement n'est ni une option, ni une menace immédiate. Toute nation vulnérable devra suivre l'une de ces trois options :
1/ Absorption par un voisin ou un État plus grand.
2/ Soutien économique par une puissance dominante ou par une agence de financement internationale.
3/ Paiement par la population de tous les coûts nécessaires pour poursuivre la complexité, aussi néfaste que soit le rendement marginal.

Et le professeur Tainter de conclure que « si l'effondrement n'est pas pour le futur immédiat, cela ne revient pas à dire que le niveau de vie industriel bénéficie également d'un sursis. Le niveau de vie stagnera ou baissera ».

Nous ferons tout ce qui nous coûtera le plus cher...

Avant de me lancer dans la critique (constructive) de ces derniers points, je souhaitais revenir sur le cas des pays européens. Avec l'accord transatlantique, nous serons absorbés par un voisin plus grand. Avec l'Europe, une puissance dominante que nous finançons tente de fournir un soutien économique. Au final, c'est bien la population qui paiera tous les coûts nécessaires à la poursuite de cette folle complexité. La description réalisée par le professeur Tainter est particulièrement juste sur ce sujet précis.

La critique de la théorie de l'effondrement

Je formule cette critique constructive en toute modestie vu le travail encore une fois remarquable de ce professeur sur ce sujet de l'effondrement des sociétés complexes.

Dans sa théorie, l'effondrement par définition ne peut avoir lieu que lorsqu'il se fait dans le vide et qu'aucun système ne peut venir prendre le contrôle.

J'en déduis donc que pour lui l'idée d'effondrement est total, l'effondrement c'est dans son acceptation une forme de fin du monde absolue. Si sa définition de l'effondrement est bien celle-ci alors je suis d'accord, l'effondrement ne peut se produire que dans le vide.

Dans une acceptation plus populaire et moins universitaire, l'exemple récent de l'Empire soviétique, dont tout le monde s'accorde pour dire qu'il s'est effondré, est à mon avis beaucoup plus adapté à la compréhension des risques actuels que la théorie du professeur Tainter pourtant brillante mais souffrant sur ce point non pas d'une lacune que d'un besoin d'éclaircissement.

Je suppose que, dans l'esprit de la théorie, l'effondrement de l'Empire soviétique suite à la chute du mur de Berlin est plus considéré comme un changement de régime que comme un effondrement. Pourtant, les conséquences quotidiennes pour la population et durant de nombreuses années s'apparentaient bien à un effondrement. Effondrement économique, effondrement des structures d'État, effondrement militaire, effondrement social, effondrement géographique avec la fin réelle d'un empire réel, et j'en passe.

L'Empire soviétique ne s'est pas effondré dans le vide. Il s'est plutôt effondré des suites de l'amicale pression de son concurrent « l'Empire » américain qui, pour autant, n'est pas allé occuper le Kremlin en lieu et place de l'armée rouge, même s'il y a eu et qu'il y a encore une forme d'occupation économique.

L'autre idée qui me gêne est la suivante : pourquoi ne pourrait-il pas y avoir un effondrement global puisque le monde est global ?
Le professeur Tainter a une vision qui reste une vision historique fort brillante. Mais cette vision de l'histoire est-elle adaptée à notre situation actuelle ?
Il considère chaque pays comme une entité propre, comme une civilisation à part entière, comme un système indépendant pouvant ou pas, selon certains critères, s'effondrer. Pour lui, « le monde d'aujourd'hui est saturé. Il est rempli de sociétés complexes ».

Je considère qu'en réalité le monde n'est pas saturé et rempli de sociétés complexes juxtaposées mais qu'il s'agit d'une même et seule société, d'une même et seule économie, d'une même et seule civilisation, interconnectée, mondialisée, globalisée. Logiquement, si cette économie unique, cette économie mondiale était amenée à s'effondrer, elle s'effondrerait bien dans rien... conformément à la théorie du professeur Tainter.

Dans tous les cas, je vous recommande vivement la lecture de cet ouvrage indispensable à toutes celles et ceux qui sont préoccupés par ce sujet des risques d'effondrement dans nos sociétés. Ce livre est incontournable de vos étagères car je ne vous ai offert ici qu'un résumé rapide de la pensée de l'auteur.

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Charles SANNAT est diplômé de l'Ecole Supérieure du Commerce Extérieur et du Centre d'Etudes Diplomatiques et Stratégiques. Il commence sa carrière en 1997 dans le secteur des nouvelles technologies comme consultant puis Manager au sein du Groupe Altran - Pôle Technologies de l’Information-(secteur banque/assurance). Il rejoint en 2006 BNP Paribas comme chargé d'affaires et intègre la Direction de la Recherche Economique d'AuCoffre.com en 2011. Il rédige quotidiennement Insolentiae, son nouveau blog disponible à l'adresse http://insolentiae.com Il enseigne l'économie dans plusieurs écoles de commerce parisiennes et écrit régulièrement des articles sur l'actualité économique.

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