Pour lutter contre la crise : le choc de la demande

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Par Didier Voydeville Modifié le 2 novembre 2012 à 7h40

Nous sommes entrés dans la période économiquement difficile, qui fait suite à une crise de la dette.

Ce type de situation se rencontre une fois par siècle. Cette période peut être longue et pénible, elle peut être même très longue et très pénible si on n’y prend pas garde. Ceci, peut-être, parce que l’on n’a pas compris exactement dans quel type de crise l’on se trouve. Pour remonter presque jusqu’à l’origine, il faut revenir au début des années 80, après la stagnation, et l’hyper inflation des années 70.

La politique énergique de Monsieur Volker aux USA, de hausse vigoureuse de taux d’intérêt, suivie un peu partout dans le monde, a réussi alors à stopper les anticipations inflationnistes. L’économie dans sa globalité repartit sur des bases nouvelles, avec une inflation désaccélérant à partir de sommet de près de 15 % dans les années 70, à près de 2 % au début des années 2000. Les taux d’intérêts ont suivi le même chemin, passant de sommet de près de 15 % pour les taux d’intérêts d’Etat à 10 ans, à moins de 1,5 % dans certains pays en 2012.

Cette diminution de l’inflation, ces taux d’intérêts de plus en plus favorables à l’emprunt, une macro économie globalement considérée comme moins cyclique que par le passé, ont favorisé l’endettement des ménages et des états, au-delà de la mesure. Ceci parce que l’on n’en voyait plus les conséquences négatives. On était supposé être rentré dans l’ère d’un nouveau paradigme d’économies moins risquées, de croissance technologique, d’ouverture des frontières, d’offres de plus en plus compétitives.

Au début des années 90 certains Etats de l’Europe du Sud ne voyaient plus pourquoi leurs dettes ne pourraient pas continuer à croître indéfiniment. Au début des années 2000, des hommes politiques français considéraient que cela durerait aussi longtemps qu’eux-mêmes. Il eut toutefois en 2007 un ministre français qui déclara presque incongrûment, que notre pays était virtuellement en faillite.



Les hommes politiques, les banquiers, les autorités monétaires et celles en charge de la régulation, les agences de notation ne s’étaient pas aperçus qu’au milieu des années 2000, le système économique de l’endettement était rentré dans une phase de perversion extrême, dont les crédits "subprime" aux Etats-Unis en furent un des exemples symptomatiques. Il n’était plus question de calculer si les emprunteurs auraient la capacité de rembourser un jour leurs dettes, puisque de toute façon, après quelques années, lorsque le prix de leurs maisons aurait monté suffisamment, les emprunts seraient renégociés dans des termes plus favorables.

On leur accorderait alors un nouveau crédit hypothécaire et un nouveau crédit à la consommation, adossés sur l’accroissement de la valeur supposée du bien, objet de l’hypothèque "subprime". Le problème économique de ce type d’attitude face aux risques, est qu’elle ne fonctionne que dans la phase ascendante du cycle de crédit. C’était l’époque où l’on considérait que la balance des paiements et la balance commerciale, n’avaient plus d’importance, comme le soutenaient certains économistes anglais et américains. L’important pour la prospérité économique d’un pays était d’avoir une bourse qui monte, une bourse qui attire toujours plus de capitaux à l’intérieur du pays.

Cette situation avait l’avantage de combler miraculeusement le déficit de la balance des paiements. Cette politique optimiste, comme nous l’avons rappelé, ne fonctionne que dans la phase ascendante du cycle de crédit. Si l’économie reste cyclique, malgré des cycles plus faibles que dans les années d’après guerre, cette approche est suicidaire à terme. C’est le nœud du problème que peu d’économistes ont perçu, car il était masqué par le nouveau paradigme économique de la globalisation.

Le cycle du crédit repartit ainsi de plus belle de 2003 à 2007. Il est vrai que ce cycle de crédit, que l’on peut dater du début des années 80, mais plus encore du début des années 90, à partir de 93 – 94, est le cycle qui a permis l’actuelle globalisation. Cette globalisation a eu pour "moteur du monde", le consommateur américain, et le déficit du même pays. Les importations américaines ont permis le décollage industriel des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine). Le moteur s’est grippé au milieu des années 2000, vers 2007, lorsqu’au vu d’une activité économique plus incertaine, de risques croissants, les banquiers puis les consommateurs américains ont considéré confusément, que le système était devenu trop dangereux pour continuer à prêter et à emprunter.



Dans ce type de situation, à un moment donné, les banques ne prêtent plus, les consommateurs mal à l’aise ne veulent plus emprunter. C’est ce que Hayek a appelé la "barrière monétaire" dans son célèbre livre sur la crise des années 30, "Prix et Production". C’est ce que Kindleberger appelle un "déplacement" dans son livre sur les crises financières. A un moment donné, il s’opère un déplacement dans les appréciations du risque, dans les anticipations des banquiers, des consommateurs et des emprunteurs. Ils estiment que l’activité économique est trop incertaine, le risque trop élevé, l’endettement trop dangereux pour continuer à prêter, pour les banquiers d’abord, puis à emprunter pour les autres, les consommateurs et entreprises (ceci démontre assez qu’une offre de monnaie supplémentaire ne peut être le remède à elle seule).

Les "subprime" ont semblé d’un seul coup monstrueux. L’endettement des ménages a culminé dans la 2ème moitié des années 2000, parfois à près de 140 % de leur revenu annuel, contre moins de 50 %, 25 ans plus tôt. D’un seul coup, les consommateurs ont repris conscience que l’activité pouvait être cyclique. Ils ont voulu réduire leur consommation et augmenter leur épargne. Cette rupture s’est traduite par un choc récessif extrêmement brutal en 2008, avec une chute de la production allant jusqu’à 7 %.

Depuis lors, la production a remonté avec beaucoup d’hésitation. En 2012, cette récupération aurait tendance à s’infléchir sinon à s’inverser, dans certains pays. L’Allemagne et les Etats-Unis sont les deux seuls pays occidentaux à avoir retrouvé leur niveau de production de 2007. Les autres sont très en deçà. C’est une crise durable, peut-être aussi durable, et peut-être même plus durable que celle des années 30. Les politiques d’austérité ont leur limite.

Un chancelier de l’échiquier anglais constatait l’an dernier, avec un certain effarement, que malgré sa politique d’austérité et ceci bien qu’il ait lu toutes les études afférentes, la croissance ne repartait pas. Au 1er semestre 2012, la Grande Bretagne s’enfonce à nouveau dans la récession après 5 ans de crise.



Quel est le mal ? Quel est le remède ? Le mal est assez simple à analyser, c’est une crise de surendettement. Après s’être surendettés en grande partie à cause de taux d’intérêts trop faibles, les ménages souhaitent réduire leur endettement. Aussi, se trouve t-on dans la situation assez terrible d’avoir une volonté d’épargne proportionnellement plus grande, sur un revenu lui-même diminuant, comme c’est le cas en Angleterre en 2012. Comment s’étonner alors, que la consommation baisse ? C’était inéluctable et relativement facile à anticiper.

A partir de 2008, devant cette baisse de la consommation généralisée, les Etats occidentaux ont décidé, pour éviter une forte diminution globale de la demande, de ne pas réduire leurs dépenses et de laisser filer leur déficit. Les Etats-Unis poursuivent dans cette direction. L’Europe, dans un contexte de désunion, a décidé d’adopter une politique différente en réduisant les déficits publics. Nous constatons ainsi en Europe une récession qui se poursuit, alors que les Etats-Unis connaissent une croissance réelle, toutefois plus faible que ne l’auraient espérés les tenants de la politique de déficit.

Pour reprendre l’enchainement dangereux, les ménages ont un revenu décroissant, alors même qu’ils souhaitent épargner plus sur ce revenu décroissant, afin de faire baisser leur endettement global, de près de 140 % aux USA, à par exemple moins de 100 %, de leur revenu annuel. Il est aisé de percevoir que c’est un processus long et difficultueux qui peut durer une décennie, voire plus. Si l’on n’y prend garde, on peut rentrer dans une spirale déflationniste de type japonaise.

Ce pays connaît une économie stagnante depuis plus de 20 ans, avec un endettement croissant de l’Etat, à plus de 200 % du PIB, et un désendettement décevant des ménages. Le maintien des taux de la Banque centrale japonaise à 0 %, et une hausse régulière des dépenses publiques n’ont pas suffi à contrebalancer l’impact de ce mouvement de désendettement graduel des ménages japonais. Du fait d’un manque de réformes structurelles menées suffisamment en profondeur pour redynamiser l’économie, celle-ci a perdu une part de sa capacité d’innovation.



Elle est par ailleurs handicapée, comme l’Europe mais plus qu’elle, par le poids d’une population vieillissante. C’est la voie que l’Europe ne doit pas suivre, et, le cas dangereux que nous devons garder en tête à tout instant. Monsieur Bernanke est bien conscient de cet écueil, il l’a même théorisé, raison pour laquelle il est très actif pour éviter de tomber dans cette trappe. Par ailleurs, il faut garder à l’esprit que le développement de cette crise de l’endettement se réalise dans un cadre global plus compétitif, plus dangereux qu’autrefois pour les économies occidentales.

Lors de la récession du début des années 90, Il n’y avait pas de pays émergents en croissance, faisant monter le prix des matières premières comme aujourd’hui. En 2012, le consommateur est pris dans une tenaille plus dangereuse qu’à l’époque, dans la mesure où, pour la première fois, dans la phase descendante d’un cycle, nous constatons des prix des matières premières ascendants. Ce phénomène a pour conséquence que les anticipations de taux d’inflation et les taux d’inflation sont restés dans les pays occidentaux, jusqu’à ce jour, après 5 ans de crise, à plus de 2 %, notamment aux USA et en Angleterre.

Ce taux est situé au-delà de la ligne haute du "target" de la politique monétaire des banques centrales occidentales. C’est un paradoxe dont elles ne pourront pas faire l’économie de la réflexion dans la gestion du binôme prix-emploi. Les objectifs d’inflation de politique monétaire des banques centrales, devront être déplacés raisonnablement vers le haut, pour ne pas handicaper la croissance. La demande est atone, les ménages se désendettent, les salaires augmentent moins vite que l’inflation, notamment en Angleterre et dans le sud de l’Europe. Sans un choc salutaire, nous sommes entrés dans un cercle vicieux dépressionniste.

Les Etats n’y peuvent plus rien, ils se sont eux-mêmes surendettés dans la 1ère phase de la crise, afin de compenser la baisse de la demande des consommateurs. Ils sont aujourd’hui en Europe, et demain sans doute aux Etats-Unis, en cure d’austérité. Il faut casser ce cercle vicieux. Aussi est-il nécessaire de créer des anticipations reflationnistes par une demande plus dynamique. En Europe, seul un choc de la demande réalisé, parce que les consommateurs pensent qu’ils vont bénéficier d’un revenu durablement plus élevé, peut faire diminuer un taux d’épargne trop important. Ce taux d’épargne est devenu profondément déflationniste.



Il est nécessaire de créer ce choc de la demande. Les états européens, les patronats européens et les organisations représentatives des salariés doivent décider tous en même temps, que les salaires minimaux, nationaux, sectoriels ou par entreprises sont augmentés de 2 % immédiatement, si nécessaire par la loi, peut-être dans le cadre d’une réorganisation plus globale du marché du travail. Les faibles salaires devront, pour une période suffisante, de 3 à 5 ans, augmenter de 2 % plus vite que l’inflation, chaque année. Cette période assez longue permettra une contamination progressive de la hausse des salaires les plus faibles, vers les salaires intermédiaires.

Cette anticipation par les salariés, d’une période assez longue de hausses de salaires, permettra d’ancrer des anticipations de revenus et de dépenses plus élevées. Seule cette échelle mobile des salaires faibles, qui sont ceux des salariés qui consomment le plus, peut casser le cercle vicieux des anticipations négatives, et permettre aux consommateurs d’épargner un peu moins. Il faut simplement réamorcer la pompe. Cette inversion des anticipations est le point crucial qui peut mettre fin à la crise. Ce ne sera pas un retour marqué à une croissance forte, mais une inflexion suffisamment significative pour inverser une tendance.

Il faut un choc brutal et puissant pour l’obtenir. Pour que ce choc de la demande soit efficace, il doit provoquer un rebond fort de la confiance des ménages. Cela sera possible si les ménages observent que cette hausse des salaires s’accompagne des mesures nécessaires de réformes structurelles, permettant de dessiner à terme un environnement porteur donnant la possibilité d’affronter efficacement, les défis de la concurrence mondiale. Par ailleurs, il serait souhaitable que la BCE continue à baisser ses taux d’intérêts afin que l’euro se déprécie pour qu’il n’y ait pas, après la hausse des salaires, de perte de compétitivité extérieure de la zone euro. Toutefois, l’immense réserve de productivité, en raison du faible taux d’utilisation des capacités de production, en Europe et dans le monde, auquel nous sommes parvenus, devrait garantir une accélération faible de l’inflation.

Dans un premier temps, la reprise fait baisser les coûts unitaires des biens produits. Il y aura une augmentation de la demande puisque la presque totalité de l’augmentation des faibles salaires sera dépensée. De surcroît, une faible baisse du taux d’épargne abondera la demande globale. C’est seulement dans un deuxième temps, lorsque l’on s’approche de la pleine utilisation des capacités de production, que des goulets d’étranglement apparaissent. Ils font alors monter les prix, mais nous en sommes loin. Il faudra des années avant d’y arriver, car ce sera une reprise modérée. Il y aura globalement une progression du pouvoir d’achat garanti sur une période suffisante. Ce nouvel état devrait permettre aux consommateurs de reprendre le chemin des achats optimistes afin de constituer un choc positif des demandes.



Si il y a une bonne coordination des états, des organismes patronaux, des organisations représentatives des salariés et des entreprises, les demandes augmenteront partout en même temps, les profits des entreprises suivront. Les marchés salueront cette unité d’action retrouvée des principaux acteurs économiques. Cette unité d’action est cruciale. Elle a beaucoup manqué depuis 5 ans pour le rétablissement de la confiance. Cette politique n’exclut pas, par ailleurs, pour des pays qui ont été particulièrement peu diligents quant à leur coût de production, de commencer à mettre en œuvre une politique de l’offre. Cette politique de l’offre prendra des années à produire ses effets. Elle est indispensable mais elle ne sera pas capable de réamorcer la pompe.

Il y a un ordre hiérarchique des priorités : les politiques de l’offre, de baisse des coûts, de réduction des déficits budgétaires, sont une impasse si le consommateur ne reprend pas le chemin des supermarchés, les achats d’automobiles, de biens d’équipement… Par ailleurs, il faut faire en sorte que les banques puissent prêter. Aussi la mise en place de ratios de solvabilité plus exigeants pour les banques et les compagnies d’assurances, est une erreur si l’on procède trop rapidement. Les banques doivent pouvoir prêter, les compagnies d’assurance doivent pouvoir investir dans le capital risque et les valeurs immobilières en bourse. Les nouveaux critères de solvabilité leur interdisent quasiment d’y parvenir.

Après avoir fait l’erreur dans les années 2000 de permettre aux banques de mettre en levier leurs bilans de façon excessive, ce serait une très mauvaise politique que de les obliger maintenant, à les réduire drastiquement, dans la précipitation. Comme un écolier pris en faute, les autorités monétaires veulent réparer leurs erreurs avec une rapidité très dangereuse pour la croissance économique. Après une erreur de négligence, il ne faut pas ajouter une faute de précipitation. Hausse des salaires au niveau européen, réformes structurelles pour une politique de l’offre vraiment renforcée, baisse des taux d’intérêts, baisse de l’euro, application retardée et modifiée des critères de solvabilités bancaires et assurances, permettront d’inverser les anticipations et de réamorcer la pompe.

Il n’y aura pas de miracle mais comme le choc a été calibré pour ne pas fragiliser les entreprises, avec environ 1 % de croissance supplémentaire de la masse salariale par année sur 5 ans, en trois ou quatre ans, nos économies devraient avoir repris la bonne direction, avec la capacité de résoudre sur une période encore assez longue, la gigantesque crise de surendettement que nous connaissons. Cette crise n’est pas le fruit de quelques disfonctionnements actuels, mais la mise en place sur plus de 30 ans d’un mécanisme économique et psychologique excessivement dangereux, duquel il est impossible de sortir sans prendre de la hauteur et briser des tabous. La crise de surendettement est une crise profonde de nos sociétés, qui doivent réapprendre une certaine rigueur et une certaine morale, tant économique que politique.

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Didier Voydeville est docteur en économie, spécialisé sur les questions de finances. 

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