Lors de son allocution télévisée du 14 Juillet dernier, le Président de la République française a déclaré que "la reprise est là". Depuis, plusieurs déclarations contradictoires provenant du gouvernement sont venues tempérer ces propos. Si les faits viennent pour partie corroborer cette annonce, il convient néanmoins de distinguer ce qui tient de la sémantique et de la méthode Coué avec la réalité des faits et des indicateurs.
Reprise ou pas ?
Le débat autour du mot "reprise" est largement sémantique. En effet, il est possible de comprendre plusieurs idées derrière ce terme : soit la fin du recul du PIB (fin de récession), soit une stabilisation, ou encore une accélération. L'intention de François Hollande est évidemment d'instiller l'idée que la croissance économique française accélère. Toutefois, l'observation objective des faits permet uniquement de constater que la France est sortie d'une récession technique (deux trimestres consécutifs de croissance économique négative). Les estimations pour le deuxième et le troisième trimestre 2013 (2013 T2 et T3) indiquent une légère augmentation (respectivement +0,5% et +0,1%). Dans ces conditions, parler de "reprise" tient plus de l'incantation et de la méthode Coué (affirmer quelque chose pour s'en persuader) afin d'espérer que cela redonne confiance aux agents économique et ainsi modifier leurs anticipations négatives. En effet, la France devrait selon toute vraisemblance connaître une stabilisation de son PIB (Produit Intérieur Brut) en 2013 avec une croissance nulle (+0%).
Une vraie reprise est encore très improbable. En effet, une reprise économique qui permettrait par exemple de faire reculer le chômage ne pourrait être raisonnablement évoquée qu'à partir d'un taux de croissance compris entre +1,2% et +1,5%. Or, les prévisions pour 2014 font certes apparaître une croissance légèrement positive (peut-être comprise entre +0,5% et +0,8%) mais elle resterait encore éloignée d'un niveau satisfaisant. De plus, notons que même si les chiffres officiels faisaient apparaître en fin d'année une croissance nulle, celle-ci serait susceptible d'être révisée à la baisse. En effet, historiquement, la croissance économique française est systématiquement réévaluée de +/-0,2% après coup. Dans ce cadre, une croissance économique officielle de 0% fin 2013 pourrait en réalité correspondre à une récession dans les faits. Enfin, le ministre de l'économie et des finances (Pierre Moscovici), après plusieurs déclarations contradictoires, a finalement annoncé que la croissance 2013 serait comprise entre -0,1% et +0,1%. Ces chiffres paraissent plus refléter la réalité (à fortiori s'ils sont comparés avec la prévision initiale du gouvernement de +1,7% lors de la campagne présidentielle). Toutefois, si la différence entre -0,1% et +0,1% peut paraître faible (+/-0,2%) cela impliquerait près de 4 milliards d'euros supplémentaire potentiellement à trouver pour le budget de l'Etat, mais surtout pour réaliser l'objectif de +0,1%, compte tenu des chiffres de début d'année, cela implique que le changement se prolonge et se confirme, et enfin que la France connaisse un taux de croissance élevé très improbable.
Des signes de reprise...
L'idée d'une reprise se base sur certains éléments conjoncturels. En effet, l'annonce présidentielle est intervenue suite à la publication de certains indicateurs avancés du sentiment économique : le climat des affaires qui s'est amélioré, le nombre d'immatriculations de voitures neuves et l'indice PMI de l'industrie manufacturière. La production manufacturière a effectivement bondi en Avril et n'était pas seulement limitée aux secteurs aéronautiques et agroalimentaires, mais aussi à l'automobile, à la plasturgie et à la métallurgie. Cependant, cette amélioration ponctuelle venait surtout traduire un contrecoup d'un début d'année négatif appelé "effet de base". Un effet de base renvoie à l'évolution (en l'occurrence positive) d'une variable dont la cause est essentiellement à rechercher dans le fait que le niveau précédent était particulièrement faible ou élevé. Dès lors, une augmentation, ou une diminution, même marginale, entraîne un effet statistique spécialement marqué. Le rebond a été très visible dans la création des emplois intérimaires qui ont augmenté pour la première fois depuis 2001. Tout cela vient souligner l'amélioration (marginale) du climat des affaires et des anticipations personnelles de production. Toutefois ces indicateurs en amélioration restent relatifs car les chiffres absolus restent très négatifs. De plus, la production manufacturière a de nouveau diminué en Mai et en Juillet.
Il y a également certains mécanismes de rattrapage qui sont à l'œuvre. En effet, les entreprises ont fait "le dos rond" durant plusieurs trimestres en déstockant plutôt qu'en produisant, dans le but de soulager leurs trésorerie et de se désendetter. L'effet a été un désinvestissement afin d'adapter l'outil de production. Cette situation crée un contexte dangerex où il n'y a plus de réserves et l'outil de production est devenu obsolète. Dès lors, il est urgent pour plusieurs d'entre elles de remettre à niveau l'outil de production après des années de sous-investissement. A cela il convient d'ajouter le sursaut de l'industrie allemande qui est devenue plus dynamique après des inquiétudes fin 2012. Ainsi, la hausse de l'activité en Allemagne s'est traduite par une demande accrue adressée aux producteurs français. Toutefois, ces mécanismes de rattrapage sont encore pauvres en emplois durables et faibles en revenus. Ainsi, la consommation reste faible, et la reprise ne peut être que contenue.
... mais une économie toujours "malade"
L'amélioration ponctuelle de la situation française n'implique pas qu'elle soit pérenne. En effet, la reprise française serait pour partie liée à une reprise mondiale significative. Or, le rythme de croissance de la Chine diminue, les pays émergents sont confrontés à un certain nombre de problèmes et l'économie américaine est très dépendante d'une politique monétaire qui est appelée à évoluer. Dès lors, il n'y a pas de moteur extérieur de croissance qui serait susceptible d'absorber les exportations françaises. En outre, le contexte français reste très inquiétant. La production industrielle française recule beaucoup plus fortement qu'en Allemagne. Encore plus inquiétante que vis-à-vis de l'Allemagne qui reste un "champion" européen, la France voit sa position se dégrader également vis-à-vis des pays du Sud de l'Europe qui entament un rattrapage sensible grâce aux réformes structurelles mises en place. Ainsi, la richesse crée par habitant reste inférieure d'environ 3% à son niveau observé avant crise. Il convient en effet de ne pas se focaliser uniquement sur la croissance du PIB, mais mettre celle-ci en parallèle avec l'accroissement de population. Dans ce cadre, même si la croissance se stabilise autour de 0%, la France s'est appauvrie collectivement. Dès lors, il faudra plus qu'une reprise pour que la richesse créée retrouve son niveau d'avant crise.
Les conditions susceptibles d'enclencher une reprise significative ne sont pas réunies. En effet, au regard des caractéristiques démographiques, des fondamentaux économiques (poids de l'industrie, mobilité des facteurs de production, droit du travail,...) et de la politique économique mise en place, la croissance potentielle française est comprise entre +0,5% et +0,8% par an. La France n'est donc toujours pas en mesure de créer de la valeur (hausse du PIB) dans de bonnes conditions.
La France doit gérer une mutation et inventer un nouveau modèle pour participer et profiter de la croissance mondiale. Avec une croissance potentielle durablement plus faible que par le passé, et en l'absence de réformes structurelles pouvant stimuler le potentiel de création de richesse, la France devra, soit se résoudre à voir les inégalités augmenter, soit il faudra augmenter les impôts sur les plus aisés. Toutefois, cette dernière solution serait faire le choix du statu quo en espérant que la situation s'améliore d'elle-même. Elle ne ferait qu'accroître une situation déjà intenable à terme. En effet, une nouvelle hausse de la fiscalité serait faire le choix du court terme. Il induirait le risque de voir ceux qui en en ont les moyens, de quitter un pays qui peut être perçu comme un "enfer fiscal", et d'agir comme un repoussoir pour ceux qui envisagerait d'y investir. Au final, cela réduirait encore plus la base fiscale, et augmenterait in fine les inégalités contre lesquelles la France aurait voulu lutter, en réduisant les sources de création d'emplois.
Conclusion
Par conséquent, dans une perspective réaliste de long terme, il convient de réajuster un système basé anachroniquement sur des taux de croissance des 30 glorieuses qui voit aujourd'hui des dépenses sociales représentés 620 milliards d'euros (dont 400 milliards pour la seule sécurité sociale) sur un total de dépenses de 1'100 milliards. Mais pour cela il faudrait que la France accepte d'une part, une nouvelle organisation de la société et de son environnement économique, et d'autre part, que les objectifs de court terme ne prévalent pas sur ceux de long terme et ainsi sortir d'un déni de plus en plus patent.
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