Aujourd’hui, je vous propose de replacer la crise en cours dans son contexte global. Ce sera l’occasion d’expliquer pourquoi j’écrivais la semaine passée que « Les crises, qu’elles soient boursières ou économiques, font désormais partie du paysage. Sans évidemment le crier sur les toits, les autorités publiques ont fait le choix de la crise (il y en avait d’autres) pour réguler le fonctionnement de l’économie mondiale ». Nous allons voir qu’il y a « Crise » et « crise », et qu’il ne faut pas tout mélanger.
Commençons par récapituler les épisodes précédents
Bien plus qu’il n’est la cause de tous nos maux, le virus est un bouc-émissaire. Covid-19 ou pas, la débâcle boursière et économique aurait de toute façon fini par arriver. Elle aurait certes eu lieu plus tard, mais elle aurait sans doute été d’autant plus violente que l’Everything Bubble aurait continué de gonfler. Cette énorme montgolfière n’attendait en effet qu’une épingle pour dessiner quelques zigzags dans la stratosphère des marchés financiers.
Depuis le début de la dégringolade entamée le 19 février 2020, les autorités publiques ont réagi comme elles l’ont toujours fait depuis 2008, c’est-à-dire en poursuivant sur la voie de la fuite en avant.
« Imaginez. La reprise économique la plus lente de tous les temps, fondée sur un accroissement record de dette, d’argent bon marché et d’une expansion monétaire record, finit par devoir être sauvée par encore plus de dette, d’argent bon marché et d’expansion monétaire. Qui aurait pu imaginer que ça se terminerait comme ça ? »
Contrairement à ce qu’il s’est passé en 2008, les banques centrales ne sont plus les seules à déchaîner leurs forces titanesques ; les gouvernements les ont rejoints. Les décideurs monétaires mais également budgétaires sont en train de faire tapi. C’est un nouveau régime qui s’ouvre dans la gestion de la Crise.
Le mal-investissement, les déséquilibres financiers et les excès ont donc vocation à se perpétuer – pour un temps encore.
La vraie Crise, la Crise finale, n’est pas encore pour demain
Je fais bien sûr référence à la crise des dettes publiques qui débouchera sur une crise monétaire. Pour que cette crise, « la Crise » (avec un C majuscule, comme l’écrit Bruno Bertez) se déclenche, il faudra que les autorités publiques aient définitivement perdu le contrôle de la situation et la confiance des marchés.
Les 12 et 13 mars, Bruno Bertez expliquait qu’il ne faut pas tout mélanger. Il y a « crise » et « Crise » : « Il n’y aura plus jamais de retour en arrière jusqu’à la Crise finale. Ce sera une crise de destruction de toute la pourriture accumulée. » […] « Mon pari, mais c’est un pari, est que oui cela va marcher cette fois encore. Mais on va se rapprocher de la Crise finale car l’arsenal des armes anti-crise est quasi vide et les déséquilibres seront encore plus profonds ; ici on tombe du 30ème étage, la prochaine fois ce sera du 120ème. Donc ne confondez pas : nous sommes en crise mais ce n’est pas la vraie, la grande. Celle qui commence par une majuscule : la Crise ».
Le jour où la confiance disparaîtra, des quantités extraordinaires d’argent prendront leur envol pour le money heaven. Mais avant que l’édifice financier ne s’écroule, les déficits budgétaires vont continuer d’être votés, et les rotatives des banques centrales de tourner – et cette fois-ci à plein régime.
Attention cependant, l’application des préceptes de la Modern Monetary Theory (MMT) ne constituent justement pas forcément le dernier régime de gestion de la Crise : les autorités publiques ont encore bien d’autres subterfuges et de nombreux instruments de torture nous attendent à la cave – mais nous en parlerons un autre jour.
S’il y a bien une chose que j’ai apprise des 7 années que j’ai passées à commenter l’actualité économique et financière, c’est qu’une situation a priori intenable peut durer bien plus longtemps qu’anticipé. Inversement, une catastrophe financière peut se matérialiser bien plus rapidement que prévu…
De « la régulation par les bulles et les crises », au « marche ou crève »
Avant la Crise finale, il y aura sans doute d’autres crises, d’autres tours de chauffe. En optant pour la fuite en avant, donc en interdisant au cycle économique de s’autoréguler, c’est à ce destin fatal que les autorités publiques ont condamné le système économique et financier.
Bruno Bertez explique très bien ce choix qu’il appelle la « régulation par les bulles », cette « mutation du système selon laquelle on abandonne la régulation par le cycle court du crédit (boom/bust) et l’on passe à une stimulation de long terme calquée sur la Great Experiment de John Law, fondée sur la création de monnaie/crédit gagée sur les actifs et les effets de richesse, ce que j’ai appelé le coup d’accordéon des dettes et des actifs. On régule en soufflant des bulles de prix des actifs, puis en faisant éclater les bulles et en nettoyant – mopping – derrière quand elles ont éclaté. C’est le système 2000-2007.
Pourquoi ? Parce que chaque fois que l’on fait une bulle, bulle des technos, bulle du logement, bulle du crédit, bulle des fonds d’État, on franchit une étape systémique ; on se rapproche du Centre, on sollicite, on met en danger le Centre qui est le couple banque centrale/Trésor des États-Unis. À chaque fois, c’est ce couple qui garantit la solvabilité, qui crée les liquidités, qui promet de fournir toutes les assurances contre la dislocation produite par la pourriture qui s’accumule.
Il y a une progression inéluctable, fatale dans le processus : il faut sans cesse baisser les taux, produire toujours plus de crédit, accumuler des créances de plus en plus douteuses, et on ne peut jamais purger ! »
Les crises qui se succèdent sont donc un choix délibéré des autorités, une politique de régulation. Mais Bruno Bertez s’arrête pas là : « Je peux être plus clair, plus définitif. Je suggère maintenant que les autorités ont même abandonné la régulation par les bulles et qu’elles ne peuvent plus utiliser la technique de l’accordéon (je gonfle, je dégonfle, je nettoie), non, elles sont dans une nouvelle phase historique : celle du marche ou crève ».
Vous pensez que ce point de vue est exagéré ? Alors souvenez-vous de ce qu’il s’est passé en 2018 aux Etats-Unis : Jerome Powell a essayé de normaliser sa politique monétaire, et tout a failli s’effondrer au mois de décembre. Voilà ce qui amène Bruno Bertez à écrire que « Le mythe du gradualisme pour s’en sortir, c’est fini. Il faudra aller jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’au chaos financier ».
Le problème de cette logique, c’est qu’au plus la Crise est repoussée, au plus les crises sont profondes et douloureuses
Patrick Artus a expliqué ce mécanisme par le menu dans une série de Flash Economie qui date déjà de 2018.
En voici la substantifique moëlle : « […] les chocs financiers ont des effets très importants de déstabilisation de l’économie réelle ; et la déstabilisation de l’économie réelle, dégradant les fondamentaux des actifs financiers, renforce les chocs financiers. Cet enchaînement s’est déjà produit avec la crise des subprimes en 2008-2009, et il sera encore plus violent dans les crises du futur », comme le déplore l’équipe de recherche de Natixis.
En langage vernaculaire, cela signifie qu’au plus les banques centrales soufflent dans la grande bulle financière à défaut de la laisser se dégonfler d’elle-même, au plus les conséquences seront dramatiques sur l’économie réelle.
Voilà ce qu’il en coûte lorsque des décideurs politiques se prennent pour des demi-dieux.
Ce billet a été initialement publié sur le blog L'Or et l'Argent.