Pour sortir de la crise, il faut que les profits des entreprises remontent

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Par Jean-Paul Betbèze Modifié le 14 décembre 2012 à 5h20

Pour que l’économie reparte, il faut que les profits remontent. Simple à dire, pas à faire, pas facile non plus à expliquer dans notre beau pays. Et pourtant… Parce que nous sommes dans une crise de la dette, il faut d’abord que le prix de l’argent à court terme baisse. C’est pratiquement fait pour la BCE, avec un taux de 0,75 %, en attendant un minimum dans quelques semaines à 0,5 %. Mais c’est plus que le 0,1 américain, qui dure depuis des années, et va persister. C’est ainsi qu’on allège le fardeau des entreprises et des ménages.

Il faut ensuite que le prix de l’argent à long terme baisse. C’est plus compliqué, car il s’agit d’un agent librement avancé par les ménages, les banques, les assureurs, les investisseurs étrangers à un Etat, en fonction de son sérieux et de sa solidité, autrement dit de sa croissance. Aux Etats-Unis, la baisse des taux courts et longs a été rondement menée, on l’a vu. La Banque centrale a ensuite acheté du papier public, puis du papier de financement de l’immobilier. Les taux longs se sont ainsi fortement détendus avec ce quantitative easing. C’est ainsi que les banques, puis les entreprises, puis les ménages (plus récemment) se sont désendettés.

En même temps, on le comprend, la montée du chômage a fait pression sur les salaires : le prix du travail a donc baissé. Mais si les Etats-Unis baissent ainsi leurs taux courts et longs, ils font une pression baissière sur le dollar, pour faire monter la monnaie chinoise, ce qui s’est à peu près produit. Le Yuan, peu à peu, a monté par rapport au dollar, et même dans une situation de concurrence très forte au sein de la région asiatique. Baisse des taux courts, baisse des taux longs, baisse du change, baisse du salaire : il ne reste plus que la baisse de l’énergie à enregistrer, ce qui est le cas avec le gaz de schiste.

Pas de surprise donc, dans un pays connu pour la flexibilité de sa main d’œuvre et ses compétences technologiques, si on voit renaître des activités, une certaine réindustrialisation se produire, une reprise privée se renforcer. Elle butte alors sur la dette publique : le fiscal cliff vient alors. Cet ajustement a été repoussé, mais il est absorbable par la reprise de l’activité et la baisse des taux.

En zone euro, les choses sont radicalement différentes. La crise de la dette frappe avec retard et de manière différenciée. La Grèce est atteinte la première, mais la BCE ne peut baisser ses taux courts, puisqu’elle considère la zone dans son ensemble. Des mois sont ainsi perdus pour baisser ce prix de l’argent à court terme.

Les taux longs ne peuvent baisser non plus, puisque la Banque centrale ne peut financer les Etats : elle intervient pour aider les banques, quitte à ce que celles-ci achètent des bons du trésor de leurs pays et fassent (un peu) baisser les taux longs des pays les plus en danger, Espagne et Italie notamment. Mais les taux longs ont partout monté dans les pays fragiles, handicapant toute reprise, et beaucoup baissé dans les pays dits sûrs, sans que la baisse des taux chez les uns compense la montée chez les autres, dans un marché qui se fragmente.

Le troisième prix, après celui de l’argent à court terme – qui baisse trop peu et surtout avec retard, et celui de l’argent à long terme – qui baisse trop chez les uns et monte trop chez les autres, et celui de la devise, l’euro. Or il se trouve que l’euro est fort, même au cœur de ces tumultes. Pourquoi ? Parce que si le dollar veut baisser, comme on l’a vu, en baissant tous ces taux de rémunération, et que le Yuan ne veut pas trop monter, il est l’autre monnaie qui peut relativement monter, sinon se maintenir. Ceci n’aide pas les ajustements des membres les plus faibles de la zone, et a contrario soutient ses membres les plus forts, Allemagne en tête. Sur trois prix sur cinq, les ajustements sont ainsi soit partiels, soit dissymétriques.

Ajoutons ici qu’un quatrième prix, celui de l’énergie, reste élevé en zone euro : la part du nucléaire baisse, compensée par du gaz et du pétrole chers, mais dont le prix reste atténué quand même par le niveau de l’euro. Le mouvement baissier de l’énergie initié par les gaz de schiste aux Etats-Unis ne se retrouve donc pas.

Rien de surprenant donc si la pression est plus forte sur le dernier prix possible : celui du travail. Voilà pourquoi les prix du travail sont à la baisse partout, que l’on raisonne en prix du travail total, intégrant des droits à la retraite qui baissent avec l’allongement de la durée du travail, en prix du travail net, intégrant une fiscalité croissante, en prix du travail après inflation. Cette baisse du revenu réel net fiscal et social se répand partout, pour permettre aux pays de reprendre de l’activité par l’exportation. Ceci a lieu en Grèce, même avec un appareil productif très abimé, en Irlande, en Espagne et en Italie. Ceci n’a pas lieu en France, au moins encore.

La sortie par la remontée des profits est une nécessité, mais que cette remontée se fasse par la réduction des salaires, faute de pouvoir utiliser les autres leviers, est un problème grave. Grave car cet ajustement n’est évidemment pas sans effets économiques, sociaux et politiques. Economiques, car ceci est de nature à déprimer profondément la demande interne, avec un risque de spirale dépressive. Sociaux, car il faudra absolument renforcer le dialogue social pour gérer, dans le temps, la modération salariale plutôt qu’une chute. Politiques donc, pour gérer les anticipations vers une reprise coordonnée, mais modeste.

Au fond, pour repartir, il faut savoir pourquoi on est tombé, autrement dit d’où vient la crise que nous connaissons. On dit partout que c’est une crise financière, bancaire, de manque de régulation, bref encore un de ces excès de la finance – bien connus. Mais la réalité est différente, car une autre vérité se trouve derrière cette explication. C’est celle d’une crise « réelle » et non pas financière, une crise de compétitivité des économies industrielles, mais une crise refusée, en réalité repoussée, par la montée de la dette.

On a eu alors la dette des entreprises, pour financer les croissances interne et externe dans des conditions de plus en plus tendues par manque de résultats, plus la dette des ménages pour l’équipement et le logement dans des conditions également plus tendues par manque de revenus suffisants. C’est bien ceci qui a expliqué, à la fois, la poursuite de la croissance et celle de la dette privée. Une croissance dopée, donc. En même temps, si les entreprises deviennent moins compétitives, on peut s’attendre à ce qu’elles rencontrent plus de problèmes sur le commerce extérieur et l’emploi, et que l’Etat compense, en embauchant et en se faisant financer par de la dette, encore une fois. Dette privée d’abord, dette publique ensuite : ainsi va le masque de la crise réelle.

Et quand le masque tombe et qu’il faut rembourser, la situation devient évidemment plus tendue. C’est alors le temps des réductions de dépenses, des freinages d’investissements, des tensions de trésoreries, de la dégradation graduelle de l’emploi, donc de la remontée de l’inquiétude, et des baisses de prix. Les Etats-Unis ont commencé d’abord, puis la zone euro, pas trop la France. On sait donc ce qui nous arrive, ce que nous ne devons pas faire, des luttes externes et internes, et ce que nous devons faire, dialoguer, innover, prendre des risques, ensemble.

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Jean-Paul Betbèze est PDG de Betbèze Conseil, membre de la Commission Economique de la Nation et du Bureau du Conseil national de l'information statistique (France), du Cercle des économistes et Président du Comité scientifique de la Fondation Robert Schumann. Professeur d'Université (Agrégé des Facultés, Professeur à Paris Panthéon-Assas), il a été auparavant chef économiste de banque (Chef économiste du Crédit Lyonnais puis Chef économiste & Directeur des Etudes Economiques, Membre du Comité Exécutif de Crédit Agricole SA) et membre pendant six ans du Conseil d'Analyse économique auprès du Premier ministre. Il est l'auteur des ouvrages suivants:· "Si ça nous arrivait demain..." aux éditions Plon, Collection Tribune Libre· "2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France" aux Editions PUF, 2012.. "Quelles réformes pour sauver l'Etat ?" avec Benoît Coeuré aux Editions PUF, 2011.. "Les 100 mots de l'Europe" avec Jean-Dominique Giuliani aux Editions PUF, 2O11. "Les 100 mots de la Chine" avec André Chieng aux Editions PUF, 2010. Son site : www.betbezeconseil.com

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