Tant que la bulle des dettes souveraines restera sous contrôle, on ne pourra pas considérer que l’Everything Bubble, cette Grande Bulle du Tout, aura été percée. Mais il ne faut pas s’y tromper : cela finira par arriver.
Des années durant, les autorités publiques sont parvenues à réguler l’économie par des bulles de plus en plus extravagantes et des crises de plus en plus sévères. Mais cette fois-ci, la fuite en avant monétaire a dépassé les limites de ce qui était crédible du point de vue des marchés. Pour la première fois, en cet épique mois de mars, toutes les annonces des banques centrales ont été vendues par les marchés. Il aura fallu que les gouvernements eux-mêmes fassent à leur tour un all in budgétaire pour que les marchés se ressaisissent.
C’est donc bien à un changement de régime dans la gestion de la crise que nous assistons. En 1965, Milton Friedman énonçait sa célèbre formule selon laquelle « Nous sommes désormais tous keynésiens ». Aujourd’hui, il semble que nous soyons en passe de tous devenir des tenants de la Théorie Monétaire Moderne – des keynésiens puissance 10, si vous préférez.
La conséquence, c’est qu’il n’y aura plus de tentative de normalisation. Le nouveau discours des autorités publiques est désormais que les déficits budgétaires ne doivent plus être perçus comme menaçants. Les banques centrales seront toujours là pour assurer à la dette publique un avenir radieux. D’ailleurs, depuis le 19 mars, les taux sur le marché de la dette souveraine ne continuent-ils pas de baisser ?
Mais souvenez-vous : entre le 9 et le 18 mars, alors que ces taux explosaient à la hausse, on a pour la première fois aperçu que le roi est nu. Et ce n’est que lorsque cette vérité apparaîtra au grand jour que ceux qui détiennent de l’or, cet actif qui n’est la dette de personne, seront pleinement récompensés.
En attendant cette issue fatale, je vous propose de glisser notre œil par le trou de la serrure de la chambre royale.
Avis aux lecteurs sensibles : ce qui se cache derrière la porte n’est pas beau à voir !
Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur la dette mondiale sans oser le demander
Il est assez délicat de se prononcer sur des chiffres exacts en matière de dette mondiale. Les grandes institutions politiques, financières et bancaires ont chacune leur propre méthode pour envisager la question, et l’on se retrouve souvent avec des chiffres très éloignés les uns des autres.
Il faut pourtant bien faire un choix. Ma préférence va au Global Debt Monitor de l’Institute for International Finance (IIF). Créée en 1983 par 38 banques des pays industrialisés, cette association a vu le jour suite à la crise de la dette du début des années 1980 – c’est vous dire si l’IIF s’intéresse à la question. Aujourd’hui, cette association joue le rôle de syndicat des opérateurs de la finance mondiale.
Chaque trimestre, l’IIF publie un rapport très digeste (5 ou 6 pages) sur l’état de la dette dans le monde. Il s’agit de la vision la plus à chaud en matière de dette, puisque l’Institut y présente la situation à l’issue du trimestre précédent.
Le roi n’est plus qu’en robe de chambre, et sa dette se monte à 322% du PIB mondial
Dans son rapport du 6 avril 2020, c’est donc un tableau au 31 décembre 2019 que nous brosse l’IIF.
C’est l’occasion pour l’Institut d’annoncer le nouveau chiffre record de 255 000 milliards de dollars de dette au niveau mondial, ce qui nous permet de conclure… absolument sûr rien du tout sur l’étendue des dégâts ! (méfiez-vous des commentateurs qui n’avancent que des chiffres en valeur absolue)
Et oui car ce qui compte, c’est bien sur le poids relatif de la dette par rapport au PIB mondial (si la dette augmente de X alors que le PIB augmente dans le même temps de 2X, tout roule !). Or l’Institut nous apprend que ces 255 000 Mds$ représentent 322% du PIB mondial, soit 40 points de pourcentage (ouencore 87 000 milliards de dollars) de plus qu’en 2007 ! La prochaine fois que vous entendrez un responsable politique ou monétaire déclarer que « nous abordons la crise actuelle dans de bien meilleures conditions que cela n’était le cas lors de la précédente », vous saurez quelle conclusion en tirer.
Rien qu’en 2019, nous en avons repris pour 10 800 milliards de dollars de dette au niveau mondial, alors que tout était censé aller pour le mieux dans le meilleur des mondes. Une hausse déjà considérable en comparaison des 3 300 milliards de dollars de dette supplémentaire de 2018.
Or, vu les annonces des différents gouvernements depuis le début de la crise, vous vous doutez bien que l’économie mondiale va à nouveau exploser tous ses records de dette en 2020 ! Rien qu’au niveau des Etats, l’IIF indique que « les émissions brutes de dette publique ont atteint un niveau record de plus de 2 100 milliards de dollars le mois dernier, plus du double de la moyenne de 2017-2019 de 900 milliards de dollars ». Bienvenue dans l’ère de la production mensuelle de dette publique à 4 chiffres !
Une contraction mondiale de 3% devrait porter le stock mondial de dette à 342% d’ici la fin de l’année
Si les gouvernements continuent à ce rythme, et en tablant sur une récession mondiale de -3% en 2020 (le FMI a avancé le même chiffre le 14 avril), l’IIF estime que nous en serons pour 342% de dette mondiale d’ici le 31 décembre.
Ces prévisions restent bien sûr à confirmer mais, pour le moment, l’activité économique mondiale est évidemment en chute libre…
La dette des États va exploser, et la France devrait terminer 2020 avec une dette publique à 115% du PIB
Le FMI a lui aussi remis à jour ses prévisions en matière de dettes souveraines. À en croire les estimations du Fonds, les États devraient passer d’un taux d’endettement de 83,3% en 2019 (105,2% pour les économies avancées) à 96,4% en 2020 (122,4% pour les économies avancées), soit une augmentation de plus de 15% (16% dans les économies avancées).
La dette des Etats entre 2012 et 2020, selon le FMI
Pour ce qui est de la France, le Fonds table sur -7,2% de croissance en 2020 (contre -7,5% en moyenne au sein de la zone euro)…
… ce qui nous amène aux pronostics suivants :
Partant d’une dette publique qui se montait à 98,5% fin 2019, l’État français devrait voir sa dette augmenter de plus de 17%, soit 2 points de plus que la moyenne mondiale. Mais depuis quand lésine-ton avec le déficit budgétaire dans le pays de la taxe sur les cabanes de jardin ?
Quelles conclusions en tirer pour vos investissements ?
Autant dire que ce n’est certainement pas l’heure de vous séparer votre métal jaune, en particulier si vous êtes Français ou exposé d’une manière ou d’une autre à la dette du paquebot France.
Ce constat ouvre d’ailleurs l’épineuse question des fonds euros : faut-il se débarrasser de toute urgence de ce genre de produit ? Nous y reviendrons dans un prochain article. Demain, nous poursuivrons notre excursion sur la gigantesque montagne de la dette mondiale. Certaines zones, beaucoup plus endettées que les autres, sont en effet plus propices aux départs de feu de forêt…
Ce billet a été initialement publié sur le blog L'Or et l'Argent.