La réaction des investisseurs aux développements autour de l’intervention russe en Crimée a été violente. Sur la séance du lundi 3 Mars 2014, le MICEX, l’indice de référence pour les actions russes, a enregistré une baisse de -10,8 %, à laquelle vient s’ajouter la baisse de 1,9 % du Rouble contre le Dollar. Par son ampleur, ce mouvement de baisse rappelle celui qu’avait enregistré le marché russe en septembre 2008 après la faillite de Lehman Brothers, épisode au cours duquel le marché avait chuté de -17,5 %.A titre de comparaison, au lendemain de l’intervention russe en Géorgie en Août 2008 (conflit armé sur la question de l’indépendance de l’Ossétie du Sud), le marché avait enregistré une baisse d’ordre plus limité à -5,2%.
Le retour de la prime de risque politique
De ce point de vue, les évènements en cours sont venus rappeler, de manière brutale, que la faible valorisation du marché russe intégrait en permanence et de façon implicite une prime pour la rémunération des risques politiques/géopolitiques émaillant régulièrement la vie de ce marché (affaire Yukos en 2003, conflit avec la Géorgie en 2008, affaire TNK-BP en 2012, …).
Si, sur la semaine, les séances suivantes ont permis au moins en partie de corriger les excès de cette séance boursière du 3 Mars (sur l’ensemble de la semaine, le marché affiche un recul plus limité de -7,3 %), il n’en demeure pas moins que la nature même de cette crise, alternant tentatives d’apaisement et brusques regains de tension, devrait continuer de peser sur la performance des actions russes au cours des prochaines semaines.
Au sein des univers de gestion actions, sur l’Europe Emergente, la Russie conserve un poids prépondérant, compris entre 30 % et 55 % de la capitalisation boursière respectivement pour les références MSCI EMEA Index et MSCI Emerging Europe Index. Pour les portefeuilles actions émergents dont nous assurons la gestion, nous avions adopté un positionnement neutre sur la Russie avant même le début de la crise si bien que les performances relatives de nos portefeuilles (comparées à leurs indices de référence respectifs) n’ont pas été pénalisées outre mesure. A très court terme, nous jugeons néanmoins plus prudent d’adopter une position de légère sous-pondération sur la Russie dans nos allocations actions.
Une économie russe au ralenti
D’un point de vue plus fondamental, cette crise intervient à un moment clé pour le marché alors même que les actions russes avaient de nouveau la faveur des investisseurs après plusieurs années de relatif désintérêt. Dans un contexte où les investisseurs fuyaient les pays à fort besoin de financement externe, les fameux « Fragile Five », la Russie avait regagné l’intérêt des investisseurs grâce à la combinaison d’une faible valorisation et d’un rendement du dividende élevé (supérieur à 4 %), sur fond de stabilité des prix du pétrole, de réserves en devises élevées, et d’un excédent de la balance courante. Ainsi, de Juin à Décembre 2013, le marché russe est ressorti de manière systématique, mois après mois, comme le marché privilégié au sein des allocations émergentes, une situation que ce marché n’avait plus connue depuis 2008.
Mais avant même l’émergence des tensions avec l’Ukraine, depuis le début de l’année, la Russie avait commencé à accumuler des signes de ralentissement de son économie, que ce soit au niveau des indices PMI, de la production industrielle ou encore des ventes au détail, alors même que l’inflation reste ancrée au-delà des 6%. A ce titre, la publication du chiffre définitif de croissance pour le PIB en 2013, qui est ressorti à +1,3%, contre des attentes à plus de 3% début 2013, a contribué à remettre l’accent sur les faiblesses structurelles du modèle de croissance russe (absence de soutien de la démographie, faiblesse de l’investissement, forte dépendance au prix des hydrocarbures, …) alors même que le Ministre de l’Economie communique dorénavant sur un potentiel de croissance de seulement +2,5% pour le pays pour la prochaine décennie.
Dans les impacts immédiats que la crise avec l’Ukraine fait peser sur l’économie russe, la hausse de +150 points de base du principal taux directeur décidée en urgence par la Banque Centrale de Russie pour combattre la faiblesse du Rouble devrait peser de manière directe sur l’activité au cours des prochains mois. Dans les impacts plus difficiles à apprécier compte-tenu du caractère récent de la crise, une attitude plus prudente des consommateurs et un décalage dans le temps des projets d’investissement semblent un développement assez naturel de la crise actuelle. De ce point de vue, en fonction de la durée et des développements de la crise en cours, une croissance du PIB plus proche de zéro en 2014 ne fait désormais plus partie des scénarios complètement à exclure.
La prudence s’impose
Pour les prochaines semaines, même s’il est extrêmement difficile de prévoir quels seront les prochains développements de cette crise, nous tablons sur un scénario lent de sortie de crise (à l’image de celui qui avait prévalu pour la crise avec la Géorgie) caractérisé par des épisodes renouvelés de volatilité avec des points d’attention particuliers sur des risques de contagion à d’autres régions orientales de l’Ukraine, et sur la question du transit gazier vers l’Europe. Du strict point de vue d’un investissement en actions, cette dégradation des perspectives d’activité pour la Russie en 2014, dont l’ampleur reste incertaine, et le large éventail de développements possibles à court terme pour cette crise, rend extrêmement compliqué le travail sur une juste valorisation des actifs russes, et justifie une position prudente sur ce marché.
Pour les portefeuilles actions émergents dont nous assurons la gestion, nous avions ainsi déjà neutralisé le poids de la Russie dans nos allocations, avant même le début de la crise, sur la base des premiers signes de ralentissement de l’activité constatés en Janvier et Février. Dans ce contexte, à très court terme, nous jugeons plus prudent d’adopter une position de légère sous-pondération sur la Russie dans nos allocations actions, avec une préférence pour les sociétés russes exportatrices bénéficiant de la faiblesse de la devise.
Au sein de l’Europe Emergente, nous privilégions désormais les pays d’Europe Centrale (Pologne, République Tchèque, et Hongrie dans une moindre mesure) pour leur exposition à la reprise de la croissance économique en Europe. En Grèce, un pays qui est retourné au statut « Emergent » en Novembre 2013, nous privilégions des sociétés de qualité qui profitent le plus d’une baisse de leurs coûts opérationnels ainsi que d’une légère reprise de l’activité (en 2014, l’économie grecque devrait afficher pour la première fois depuis 2007 une croissance positive), et nous maintenons une sous-exposition au secteur bancaire pour lequel des incertitudes persistent en matière de besoins de refinancement. Enfin, nous conservons notre position de sous-exposition sur le marché turc, un marché qui devrait être impacté par la forte hausse des taux annoncée en Janvier pour contrer la baisse de la devise, ainsi que par la dégradation du climat social en amont des élections locales et présidentielles.