Le cours du pétrole reflète davantage l’optimisme que la demande structurelle

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Par Stéphane Monier Publié le 16 mars 2021 à 13h35
Petrole Prix Negatifs 1
@shutter - © Economie Matin
5,6%L'OCDE prévoit que l'économie mondiale pourrait croître de 5,6% en 2021

Les cours du pétrole ont doublé depuis fin octobre pour atteindre leurs niveaux prépandémiques d'il y a quinze mois, alors que les perspectives économiques mondiales s'améliorent et que les marchés anticipent davantage de voyages, de déplacements et de consommation. À ce stade, ils constituent un meilleur indicateur de l'optimisme économique que l'évidence d'une solide reprise de la demande.

En avril 2020, certains contrats de pétrole brut ont brièvement perdu leur valeur en raison de l'impact des confinements sur l'économie, de l'effondrement de la demande et du désaccord entre l'Arabie saoudite et la Russie sur la réduction de la production. Dans le contexte de pandémie de Covid-19, la hausse du prix du pétrole semble indiquer que les économies se reprennent enfin grâce à l'amélioration des données de l'emploi et de la production. Les programmes mondiaux de vaccination, associés aux mesures de relance budgétaire et monétaire, dont le programme de 1 900 milliards USD signé la semaine dernière aux États-Unis, soutiennent également la hausse des cours du pétrole.

L'OCDE prévoit que l'économie mondiale pourrait croître de 5,6% en 2021, et de 4% supplémentaires en 2022, selon ses perspectives économiques publiées ce mois. Un chiffre supérieur de plus d'un point de pourcentage à ses estimations de décembre 2020.
Début mars, les membres de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) et leurs alliés de l'OPEP+, notamment la Russie, le Mexique et le Kazakhstan, ont surpris les marchés en maintenant leurs quotas de production pour avril, malgré l'amélioration de l'environnement économique. Le cours du Brent, qui sert de référence pour le pétrole mondial, a augmenté à 70 USD/ baril. Au moment où nous écrivons ces lignes, le baril s'échange à 69,90 USD.

Les stocks de pétrole, toujours proches du double de leur pic de 2009/10, pourraient rapidement revenir sur le marché. Tant qu'une partie de ces capacités excédentaires n'auront pas été absorbées, il est peu probable que les prix du pétrole retrouvent leurs niveaux d'avant 2014.

En janvier 2021, l'Arabie saoudite a réduit d'un million de barils sa production quotidienne, pour la ramener à quelque 8 millions, un niveau qui se maintiendra jusqu'en avril.

Si l'OPEP reconnaît l'impact déstabilisateur de la pandémie sur la demande, cette décision montre que le royaume est satisfait du niveau actuel des prix. Ce qui donne à penser que l'Arabie saoudite, troisième producteur mondial après les États-Unis et la Russie, n'estime pas ce niveau élevé suffisant pour déclencher une augmentation de la production aux États-Unis, qui suit traditionnellement la hausse des prix.

Le 5 mars, le ministre saoudien de l'énergie, le prince Abdulaziz bin Salman, a déclaré que « le slogan « Fore, chéri, fore ! » était révolu à jamais ». Les producteurs américains ont indiqué qu'ils n'apporteront aucun changement significatif à leur production, choisissant plutôt de distribuer des dividendes plus élevés et de rembourser les dettes qu'ils ont accumulées durant la pandémie.

Une grande partie de la dette des sociétés pétrolières américaines arrivera à échéance en 2021 et culminera en 2022, en particulier celle des émetteurs les plus vulnérables notés en catégorie spéculative. Ces besoins de refinancement conduiront ces entreprises à adopter une approche plus prudente et disciplinée en matière de dépenses d'investissement.

Changements structurels et prévisions en matière de demande

La reprise post-pandémique devrait accélérer la demande en énergies alternatives et éroder la demande en combustibles fossiles. BP, septième compagnie pétrolière mondiale en termes de capitalisation boursière en 2020, a écrit l'an dernier que le recul du recours aux combustibles fossiles et l'essor des technologies renouvelables altéraient structurellement la demande en énergie et pourraient exercer une pression à la baisse sur les cours du pétrole à long terme. La société a estimé que la demande de pétrole (et de charbon) avait déjà atteint un pic, même s'il convient de préciser que cette opinion n'est pas universellement partagée au sein de l'industrie pétrolière.

Le mois dernier, parallèlement à l'augmentation des prix du pétrole, le marché des obligations souveraines a anticipé une reprise économique et une augmentation de l'inflation, un contexte qui s'est traduit par une hausse des taux. Historiquement, les cours du pétrole et des métaux augmentent avec l'expansion économique et constituent une composante de l'inflation. Pour l'instant, la Réserve fédérale américaine semble à l'aise avec des taux plus élevés pour autant qu'ils reflètent une montée de l'optimisme économique.

Cependant, les perspectives économiques actuelles ne changent rien à l'évolution structurelle de la consommation énergétique, et la reprise de la demande en pétrole ne l'a toujours pas ramenée aux niveaux de 2019. Les cours pourraient être davantage motivés par les contraintes en matière d'approvisionnement que par la confiance dans une reprise complète de la demande économique à long terme.

La façon dont l'OPEP+ s'adaptera à une reprise de la demande sera le principal levier des cours du pétrole cette année. À mesure que les stocks diminuent, l'OPEP+ semble être dans la réactivité plutôt que dans l'anticipation d'une augmentation de la demande. Cela pourrait créer un environnement propice à un dépassement à court terme du niveau de 70 USD/baril.

Risque géopolitique

La hausse des cours du pétrole a des effets inégaux sur les économies mondiales. Les modèles de croissance des pays producteurs du Golfe et de la Russie, ainsi que des pays exportateurs d'Amérique latine comme la Colombie, sont dépendants des revenus des exportations de pétrole. Les importateurs nets, tels que la Chine, pourraient voir leur balance courante se détériorer, tandis que l'Inde, qui a déjà demandé à l'OPEP de plafonner la hausse des prix, est exposée à une dégradation de sa balance commerciale et à une poussée inflationniste liée aux coûts de l'énergie.

Les mouvements du marché pétrolier sont indissociables du contexte géopolitique. Avant l'élection de Joe Biden, les investisseurs spéculaient déjà sur une normalisation des relations entre l'Iran et les États-Unis, avec une potentielle levée des sanctions américaines permettant à l'Iran de relancer officiellement ses exportations de pétrole. Le 25 février, l'administration Biden a ordonné une frappe aérienne en Syrie. Elle a visé des installations situées à la frontière irakienne, utilisées par des militants soutenus par l'Iran et qui, selon les États-Unis, étaient responsables des attaques de la semaine précédente. Jusqu'ici, l'administration américaine a indiqué qu'elle n'était pas pressée de reprendre les négociations sur l'accord nucléaire avec l'Iran.

Les répercussions sociales et économiques massives de l'année écoulée ont accéléré la tendance à s'affranchir de la dépendance aux combustibles fossiles. Si les conséquences géopolitiques à plus long terme sont difficiles à prévoir, le paysage stratégique a déjà changé pour l'industrie pétrolière, avec la demande qui se tourne vers des sources d'énergie alternatives.

Les investisseurs peuvent déjà faire un choix en faveur des entreprises qui proposent ou sont déjà en transition vers des solutions plus propres. Dans certains cas, il peut aussi s'agir de compagnies pétrolières qui réalisent des investissements après avoir reconnu que ce virage stratégique était bien engagé.

Les stocks, l'offre et les cours du marché pétrolier s'équilibreront en fonction de la reprise conjoncturelle. Le principal risque est que l'aggravation des tensions au sein de l'OPEP+ rende les décisions de production imprévisibles. En effet, à mesure que le marché s'approche d'un équilibre au cours de cette année, les producteurs de l'OPEP+ seront moins enclins à parvenir à un consensus sur les niveaux de production. Dans ce contexte, nous tablons sur un cours de 60 USD/baril sur un horizon de douze mois et suivons de près l'impact de la normalisation des cours du pétrole sur nos portefeuilles.

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Stéphane Monier est Chief investment officer chez Lombard Odier.

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