Cour Internationale d’Arbitrage : les Parlements sous le contrôle des multinationales

Par Bertrand de Kermel Modifié le 24 octobre 2019 à 8h52
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@shutter - © Economie Matin

De quoi s’agit-il ? Aux lieu et place des systèmes d’arbitrages dénommés ISDS mis en place dans les années 60, qui ont permis impunément tous les abus pendant 50 ans, le CETA crée de toute pièce une Cour Internationale d’Arbitrage.

Comme les ISDS, cette Cour aura le droit de s’affranchir des droits nationaux et de condamner un État (donc ses contribuables) à des amendes au profit des investisseurs étrangers mécontents d’une mesure d'intérêt général prise par cet État dans lequel ils auraient investi. (Voir l’émission d’Arte du 8 décembre 2018 : « Quand les multinationales attaquent les États »).

Le risque est d’autant plus élevé qu’il n’y a pas d'outil réel de lutte contre la corruption des arbitres. (Juste un guide de bonnes pratiques)

Cette Cour est un « copier-coller » des anciens ISDS, avec quelques aménagements destinés à mettre fin aux abus les plus criants.

Elle est créée pour court-circuiter les justices nationales.

Un très grand déséquilibre entre droits et devoirs

Quand on lit le texte du CETA on s’aperçoit que les États n’ont aucun droit, sauf – quand même ! - celui de se défendre. Ils ont en revanche tous les devoirs, lesquels sont énumérés au chapitre huit de CETA, articles 8-4 à 8-17. La liste est très longue. Ils ne peuvent pas refuser une demande d’arbitrage.

Les investisseurs étrangers ont au contraire tous les droits, et aucun devoir, pas même celui de respecter la réglementation en vigueur dans le pays d’accueil comme par exemple ses règles fiscales. Le Président de la République a raison. Cette mondialisation est décidément incompréhensible.

Une discrimination à l’envers

Pourquoi cette Cour ? La Commission Européenne explique que « le fait qu’un pays soit doté d’un système juridique fort ne garantit pas forcément que les investisseurs étrangers seront bien protégés ». Donc il faut créer des justices privées et supra nationales pour protéger les investisseurs étrangers. CQFD

Sur la base de ce seul argument qui n’a aucune consistance, s’ils ratifient le CETA, les États donneront donc un avantage aux investisseurs étrangers au détriment de leurs investisseurs nationaux, notamment en autorisant les arbitres à ignorer les lois votées par les Parlements nationaux.

Avec ce système, les entreprises nationales sont discriminées. Elles n’ont pas accès à cet arbitrage. En cas de litige, elles doivent s’adresser aux tribunaux nationaux, dont la Commission Européenne explique « qu’ils ne garantissent pas forcément la protection des investisseurs étrangers ».

Outre que c’est très humiliant pour les justices nationales, et que cela hisse les multinationales étrangères au même niveau que les États souverains, ce système est absurde. Pourquoi ?

Parce que si tous les pays du monde adhèrent à cette cour de justice (ce qui est souhaité par ses promoteurs), ils devront tous avantager les entreprises étrangères et désavantager leurs entreprises nationales ! (Puisque les justices nationales ne sont pas fiables selon la Commission européenne, il y a bien un désavantage pour les entreprises nationales qui ne bénéficieront pas du système d’arbitrage). C’est totalement absurde.

Le contrôle des Parlements est livré sans contreparties aux multinationales

De fait, les multinationales seront les grandes gagnantes du système. L’expérience montre que les investisseurs étrangers n’ont qu’à froncer les sourcils devant un projet de Loi, en menaçant de saisir l’arbitrage pour que les gouvernements revoient à la baisse leurs objectifs d’intérêt général. C’est ce qui s’est produit pour la loi Hulot avec la société, canadienne Vermilion. Nul ne le saurait s’il n’y avait pas eu un lanceur d’alerte.

Soyons clairs : le principe d’une indemnisation lorsqu’une loi cause un préjudice à un acteur économique est évidemment légitime. Il devient illégitime lorsque le niveau de l’indemnisation est fixé par deux instances différentes selon la nationalité du plaignant, et que ces deux instances ne sont pas liées par les mêmes règles (le droit national), pour fixer le niveau d’indemnisation.

ISDS ou Cour Internationale : le résultat est le même dans les faits. Les Parlements sont bel et bien placés sous le contrôle du monde marchand extérieur. Les pays perdent donc leur souveraineté.

Un autre système est possible

Prenons l’exemple de la France. Lorsque le gouvernement décide de faire voter un projet de Loi, le ou les ministres les plus concernés commencent par entrer en discussion avec les « parties prenantes » concernées par la future Loi. (Entreprises, syndicats agricoles ou salariés, associations, représentants des collectivités, etc…)

Cela permet aux acteurs économiques ou à la société civile selon les cas d’exposer les conséquences de la nouvelle loi sur leur activité.

À l’issue de cette concertation, le gouvernement décide d’accorder des délais plus ou moins longs aux « parties prenantes » pour s’adapter aux nouvelles mesures, voire de les aider financièrement (subventions, prêts etc..) pour leur permettre d’engager les investissements que la nouvelle Loi va leur imposer.

Si tout ou partie des parties prenantes estime que leur préjudice n’est pas suffisamment pris en compte, elles saisissent les tribunaux compétents (Tribunaux administratif) pour réclamer des indemnisations complémentaires. Tout ceci se passe dans la plus grande transparence. Les audiences sont publiques. Les Jugements sont publics. Il existe des procédures d’appel etc…

Cette procédure est la même pour les entreprises française et étrangères. La concurrence est donc libre et non faussée. Sauf qu’avec les ISDS et demain la future Cour telle qu’elle est prévue dans le CETA, les entreprises étrangères pourront toujours saisir l’arbitrage pour obtenir plus que les entreprises nationales. Comment le justifier ?

Pour éviter cette distorsion de traitement, nul besoin d’une révolution

Les démocraties sont très bien armées. Il faut juste revenir au bon sens.

Tout d’abord, un principe de base : elles doivent traiter de la même façon les investisseurs étrangers et nationaux. Aucun problème. Aujourd’hui c’est une obligation européenne.

Ensuite, si une loi nationale ou une décision des Autorités Publiques lui causent un préjudice, tout investisseur, national ou étranger, doit pouvoir saisir le tribunal national compétent, afin d'obtenir une juste réparation de son préjudice.

S’il semble qu’une Loi nationale n’est pas conforme au droit européen, le Tribunal national peut saisir la Cour de justice européenne, pour juger cette question. C’est ce qui existe aujourd’hui à la satisfaction générale.

Enfin, s’il y a doute sur la conformité d’une loi nationale à un accord bilatéral d’investissement, il faut faire trancher le litige par un système d’arbitrage qui concernera les deux Etats signataires de l’accord de libre-échange. Ce système d’arbitrage interétatique doit être prévu dans cet accord bilatéral d’investissement.

Si l’accord d’investissement est multilatéral et non pas bilatéral, alors cet accord doit prévoir une Cour de justice Internationale, qui ne pourra être saisie que par des États et non des entreprises. Celle-ci règlera le litige. Le système devient alors totalement cohérent, car ce sont des États souverains qui ont réglé un litige les opposant. Nul autre acteur n’a été hissé au même niveau que les États.

Naturellement, ceci n’interdit pas à un État qui rencontre un litige avec une entreprise de décider exceptionnellement, d’un commun accord et dans la transparence, de le régler par arbitrage. Avec cette proposition alternative, conforme à la démocratie et aux traités Européens, le chapitre huit n’a plus aucune raison d’être inclus dans le CETA.

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Ancien directeur général d'un syndicat patronal du secteur agroalimentaire, Bertrand de Kermel est aujourd'hui Président du comité Pauvreté et politique, dont l'objet statutaire est de formuler toutes propositions pour une "politique juste et efficace, mise délibérément au service de l'Homme, à commencer par le plus démuni ". Il est l'auteur de deux livres sur la mondialisation (2000 et 2012)

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