En Côte d’Ivoire, les bonnes nouvelles se ramassent à la pelle ces temps-ci. Du moins sur le front économique, terreau de toutes les batailles pour bon nombre d’observateurs internationaux, à commencer par celle de l’indispensable réconciliation nationale qui garantit la mise en place de la théorie du ruissellement, produire davantage pour redistribuer plus.
La pandémie de la Covid-19 n’a pas mis par terre l’économie ivoirienne, même si le secteur informel (43,4 % dans le PIB) hurle toujours avec les loups à cause des difficultés rencontrées au quotidien, l’obligeant à recourir à une débrouillardise de tous les instants. Avec une couverture vaccinale anti-covid de moins de 3 % de la population en juillet 2021 et des frontières ouvertes sous condition, l’économie a progressé de 1,8% mais devrait, selon la Banque africaine de développement (BAD), rebondir au-delà des 6% de croissance d’ici la fin de l’année. Ce géant qui englobe plus d’un tiers du PIB de l’Uemoa (*Union économique et monétaire ouest-africaine) regroupant 8 pays de la sous-région, ne fait pas figure de colosse aux pieds d’argile.
Si les secteurs agricoles et les industries manufacturières ont plongé ces derniers mois, ils devraient revenir dans les wagons de tête lorsque la locomotive de la reprise sera pleinement élancée. Mis sur les rails de la modernité par un « père fondateur » et visionnaire Félix Houphouët-Boigny, ce poumon d’Afrique de l’ouest regorge de ressources en tous genres et affiche un PIB par habitant le plaçant devant le Nigeria et le Ghana. En outre, le Plan de développement national courant sur la période 2021-2025 donne clairement un cap vers deux directions, l’entretien d’un environnement sociopolitique stable et la mobilisation des énergies et des bonnes volontés ivoiriennes. Et côté business, les esprits sont loin d'être chagrins, même si la question de la dette n’est pas évincée des débats, passant de 37,9% du produit intérieur brut en 2019, pour frôler les 42% en fin 2020. Comme le confie à la Tribune Afrique AIléana Santos, co-fondatrice d’un incubateur de politique publique, « la dette est un instrument de financement pertinent (parmi d'autres) tant que celui-ci est utilisé à bon escient. » Le bon escient faisant toute la différence.
Une étude émanant de Mastercard indique que 87 % des PME locales se déclarent optimistes pour les mois à venir. Selon cette même étude, la Côte d'Ivoire arrive en tête de l'indice de confiance des PME en Afrique subsaharienne, soulignant au passage un accès plus facile au financement et à la formation des employés. De quoi laisser éclater sur les ondes de RFI la joie récente d’Alassane Dramane Ouattara, chef de l'État ivoirien, visiblement enchanté par les propos flatteurs de la Banque mondiale qui trouvait que la Côte d’Ivoire était « au bord du paradis ». L’euphorie est assurément au coin de la rue et le baromètre Doing Business rappelle qu’en matière de création d’entreprises, le pays des éléphants est passé de la 170e place en 2012 à la 29e place en 2019 et le climat des affaires devrait se porter de mieux en mieux si l’on concède à Épiphane Zoro, ministre de la Promotion de la bonne gouvernance, du Renforcement des capacités et de La Lutte contre la corruption, la volonté d’éliminer les entraves de la bonne santé économique de la Côte d’Ivoire tout en rapprochant un peu plus les administrés des décisions stratégiques publiques. Lors de sa réélection à un troisième mandat en octobre 2020, le président Alassane Ouattara a annoncé son désir de mettre la lutte contre la corruption au sommet de ses priorités. La Côte d’Ivoire se sent pousser des ailes.
Certes, les différents variants du Coronavirus peuvent être aussi de redoutables trouble-fête dans cette embellie palpable, mais ce sont surtout les questions politiques et le fossé entre les classes sociales qui inquiètent les populations. Le retour au pays de Laurent Gbagbo après dix années d’incarcération à La Haye a apaisé le sentiment d’injustice et de partialité autour d’un procès qui s’est focalisé sur un homme sans inquiéter les autres protagonistes du conflit proches du parti au pouvoir. En fins observateurs de la vie de Babi (surnom d’Abidjan), les chauffeurs des taxis qui sillonnent Abidjan de Port-Bouet à Bingerville et sa périphérie, tout comme les "maquisards" (tenanciers de gargotes et restaurants de quartier) assurent clairement que le peuple veut avant tout la paix pour vivre, manger son garba et faire ses petites affaires. Quelles que soient leur ethnie et leur préférence politique, tous les Ivoiriens aspirent à une paix à laquelle chaque rendez-vous électoral apporte un regain de fébrilité – même si les législatives de mars dernier se sont déroulées dans un calme exemplaire. La bonne santé économique du pays apaise néanmoins les tensions et les populations prises dans un quotidien souvent difficile à gérer, en dépit des réalisations effectives à porter au bénéfice des équipes du Président Ouattara, n’ont guère envie de battre le pavé tous les jours pour réclamer davantage de démocratie quand les marmites qu’elles doivent faire bouillir sont à moitié pleines, ce qui est déjà beaucoup en comparaison de pays limitrophes. Les Ivoiriens détestent plus que tout que l’on mette « du sable dans leur attieké » ! Comprendre qu’on vienne brouiller leur quotidien.
À peine arrivé triomphalement à Abidjan, l’ancien président Laurent Gbagbo vient de se rendre à Daoukro chez son rival antédiluvien et ancien Chef d’État, Henri Konan Bédié. De quoi occuper les esprits pendant quelque temps encore. De même que le feuilleton du divorce du leader charismatique du Front populaire Ivoirien avec son épouse et également membre du bureau politique du dit parti, anime plus les conversations que le coronavirus. Le rire participe aussi de cette résilience qui caractérise le continent dans son entièreté et fait table rase, un court moment, des nuages qui s’amoncellent et dans lesquels on discerne la jeunesse ivoirienne, bouillonnante et pressée de connaître le goût de ce paradis.