Dernièrement, une nouvelle affaire de corruption éclatait dans les médias français, mettant cette fois-ci en lumière des transactions illicites pour l’obtention du permis de conduire impliquant un certain nombre de célébrités. Loin d’être la première affaire du genre, ni la dernière, elle ne constitue pour autant qu’une infime partie du phénomène de corruption qui gangrène la société française à tous les niveaux, depuis les plus modestes officiers de l’État jusqu’à ses plus prestigieux serviteurs, qu’ils soient élus ou nommés aux plus hautes fonctions.
Toutes les affaires de corruption ne défraient pas la chronique de la même façon, et l’écrasante majorité n’est même jamais révélée au grand public. Pour autant, en se basant sur ce qui apparaît dans les procès, les confidences de certains industriels et même quelques indiscrétions de corrupteurs eux-même, des journalistes ont pu évaluer à 30 milliards d’euros par an le montant de la corruption en France. Une somme impressionnante mais qui ne serait en réalité qu’une estimation basse ne tenant pas compte des transactions les plus occultes impliquant de très hauts responsables industriels, syndicaux et politiques, et dont seule l’histoire se fera peut-être l’écho dans quelques années ou décennies.
Un baromètre de la vertu des nations
Chaque année, l’ONG allemande Transparency International publie son classement des pays les plus corrompus, s’appuyant notamment sur un indice établi à partir des avis du FMI, de diverses organisations en faveur du développement et d’observateurs institutionnels. On a coutume de croire que la corruption ne concerne que les pays en développement ou encore quelques dictatures dont le régime politique favorise une oligarchie au détriment de la population. Pourtant, la France n’est pas en reste et, en 2016, elle est classée 23e seulement sur la liste des pays les plus vertueux et les plus transparents de la planète, à égalité avec l’Estonie, le Chili et les Émirats Arabes Unis.
Une corruption qui prospère avec notre argent
Indépendamment du déséquilibre créé par la corruption, laquelle vise à court-circuiter les règles que la plupart des citoyens sont censés respecter, ce phénomène est également très coûteux pour la communauté. Et cette communauté, c’est vous et moi, en notre qualité de gentils contribuables qui nous voyons ponctionnés chaque jour un peu plus pour financer un système qui engraisse une infime clique d’individus sans scrupules. Car cette oligarchie qui n’en porte pas le nom (car ce serait nuire à l’image de notre beau pays) prospère sur ce qu’elle arrive à subtiliser de nos impôts et autres obligations sociales. Comme le dit Roger Lenglet, philosophe et journaliste d’investigation : “Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que l’argent des commissions illégales ne vient pas de la drogue, ce n’est pas non plus de l’argent virtuel ; ce sont des billets de banque récupérés sur les factures que les sociétés envoient aux administrés et aux collectivités. C’est de l’argent qui devrait pour partie rester dans notre porte-monnaie et pour une autre partie alimenter l’économie publique, sociale et solidaire. Prenons l’exemple d’une entreprise qui glisse une enveloppe à un élu pour qu’il l’aide à obtenir un marché public : la somme versée sera récupérée par l’entreprise sur la facturation aux usagers. C’est nous qui payons la note finale ! La corruption est, tout simplement, un moyen de blouser le citoyen. ”
On n’achète pas un député avec un sourire ou un stylo…
De la même façon, le lobbying n’emploie pas toujours des méthodes respectables pour influencer les décisions de nos élus, notamment auprès des parlementaires. Habituellement, les lobbyistes ont vocation à informer les acteurs institutionnels et politiques au sujet des implications que leurs décisions pourront avoir sur les intérêts privés de la société civile. Dit plus clairement, ils sont là pour défendre les intérêts d’industriels, de syndicats, d’associations ou même de groupes sociaux et religieux qui cherchent à orienter le débat public, voire l’adoption de certaines lois en fonction de leurs besoins ou de leurs attentes. Dans les faits, même si toutes ces organisations jurent leurs grands dieux qu’il serait hors de question d’employer des méthodes illicites pour peser sur le législateur et arriver à leurs fins, les lobbyistes des cabinets privés reconnaissent à demi-mot qu’ils n’obtiendraient pas de résultat s’ils ne dépassaient pas parfois une certaine “ligne jaune”. Du reste, dans un marché de l’influence ultra-concurrentiel, “leurs clients n’attendent pas qu’ils restent à tout prix dans le cadre de pratiques morales, mais qu’ils réussissent leur mission même quand les dossiers à défendre contredisent l’intérêt général“, indique Roger Lenglet. Et de poursuivre : “on n’achète pas un député avec un sourire ou un stylo, mais avec une belle enveloppe d’argent liquide, le financement d’un parti, l’embauche de proches ou la promesse d’embauche de l’élu à la fin de son mandat, un compte alimenté à l’étranger, etc. ”
La corruption locale : un fait banal
Enfin, si lobbying et corruption restent majoritairement associés aux multinationales, aux élus nationaux et aux responsables internationaux, c’est parce que les médias s’en font l’écho à grande échelle, occultant du même coup les très nombreuses affaires de corruption d’élus locaux qui paraissent alors anecdotiques. Pourtant, de l’avis-même des observateurs et même des corrupteurs qui l’avouent en confidence, la corruption des maires par exemple est un fait banal, et c’est bien à cause de cette “petite” corruption du quotidien que notre pays se traîne, suivant les années, entre la 26e et la 22e place des pays les plus vertueux, incapable de se réformer en profondeur et de faire reculer les pratiques douteuses de ceux qui ont le pouvoir. “Les Français pensent toujours que la corruption n’existe que dans les pays pauvres“, ajoute Roger Lenglet, “mais aux yeux des pays nordiques, nous sommes dans une république bananière !”
De la même façon, un autre exemple de cette corruption “coutumière” locale réside dans ce qu’on appelle les délégations de services, c’est-à-dire des accords par lesquels des collectivités délèguent certains services publics à des entreprises privées. Le cas le plus fréquent est celui de la distribution d’eau potable, et aujourd’hui, il semblerait que la majorité de ces délégations se déroule dans des conditions abusives sur fond de corruption individuelle au détriment des administrés. Pourquoi le secteur de l’eau en particulier ? Tout simplement parce que les multinationales de l’eau exploitent un filon commercial exceptionnel : ils signent des contrats de longue durée avec des administrations locales, exploitant sans vergogne une clientèle captive (nous !) qui n’a pas d’autre choix que de se plier à leurs conditions tarifaires, et surtout en utilisant des infrastructures (les réseaux de canalisations) dont ils laissent la coûteuse charge d’installation, de maintenance et de remplacement à la collectivité publique. Des accords particulièrement juteux dont ils ne veulent donc pour rien au monde se défaire. Et c’est pourquoi ils sont prêts à se montrer très généreux envers les élus pour éviter que la distribution d’eau repasse sous le régime de la régie publique.
D’ailleurs, l’une des causes du cumul des mandats réside très précisément dans ces nombreux avantages dont les élus bénéficient auprès d’entreprises ou de groupes de pression, et dont ils ont beaucoup de mal à se défaire à mesure qu’ils prennent de nouvelles responsabilités politiques…
Article initialement publié dans L'Or et l'Argent