Retraites et coronavirus

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Par Jacques Bichot Modifié le 24 mars 2023 à 13h33
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@shutter - © Economie Matin
65%65% des Français estiment nécessaire d'épargner pour financer sa retraite.

Le covid-19 fait bien d’autres victimes que les personnes qu’il infecte physiquement. Des millions de nos concitoyens subissent une perte de revenus conséquente, malgré l’ouverture des vannes par lesquelles s’écoule l’argent du Trésor ; des millions d’élèves et d’étudiants sont privés d’une partie de l’acquisition de connaissances et de savoir-faire qui est le but des études. Et une question a récemment été posée : n’y aura-t-il pas une victime institutionnelle, la réforme des retraites, à moitié adoptée le 5 mars dernier ?

Une réforme « à moitié adoptée »

Remémorons-nous le déroulement des opérations à l’Assemblée nationale : des projets d’amendements déposés par milliers, ce qui rendait impossible le traitement de ces textes ; puis l’engagement de la responsabilité du gouvernement, conformément à l’article 49-3 de la Constitution, qui a permis de déclarer le projet gouvernemental validé par l’Assemblée. C’était le 5 mars, il aurait fallu faire passer le texte au Sénat, avec une chance infime de réussite puisque la majorité de la chambre haute n’est pas la même que celle de la chambre basse. Le texte serait dès lors revenu à l’Assemblée, qui a le dernier mot.

Mais le temps était compté, et le coronavirus était devenu le maitre devant lequel tout genoux doit fléchir : lorsque le président de la République s’adressa solennellement aux Français, le 16 mars au soir, il leur déclara que toutes les réformes étaient suspendues, à commencer par celle des retraites. Dès lors, la réforme « à moitié adoptée » s’est trouvée désactivée, en quelque sorte « confinée ». La question qui se pose semble donc être la suivante : lorsque les Français cesseront d’être assignés à domicile, le projet de loi retraite refera-t-il surface, ou bien sa suspension sera-t-elle transformée en abandon pur et simple ?

Mieux vaudrait repartir d’une page blanche

En fait, il existe une troisième alternative : faire une croix sur le projet adopté par l’Assemblée, mais ne pas abandonner pour autant l’idée de doter la France d’un système de retraites par répartition unique et cohérent. Ce pourrait être la grande œuvre de la prochaine législature et de la prochaine présidence, que celle-ci soit exercée par le même homme ou par un autre.

Le projet actuellement en rade comportait un aspect très positif, à savoir un régime unique fonctionnant par points, mais ses concepteurs n’avaient pas compris comment fonctionnent réellement les retraites dites par répartition et, subsidiairement, ils essayaient de résoudre en recourant à la répartition des problèmes qui relèvent logiquement de la capitalisation. En quelque sorte, ils ont voulu améliorer la marche d’un système unijambiste économiquement absurde au lieu de mettre en place un dispositif économiquement rationnel marchant sur deux jambes, le capital humain et le capital classique.

La rationalité économique

La retraite consiste à reporter du revenu d’une période à l’autre de l’existence. Une telle opération se réalise obligatoirement en commençant par investir, afin de bénéficier ensuite du revenu produit par le capital ainsi constitué. Prenons un investissement classique : beaucoup de couples consacrent une fraction de leurs revenus professionnels à l’acquisition de biens immobiliers qui leur serviront ensuite, quand ils auront cessé de travailler professionnellement, soit à être logés gratuitement, soit à disposer de revenus monétaires en louant ces biens. C’est cela le principe de toute retraite : investir quand on est dans la force de l’âge, afin de continuer à disposer d’un revenu, en nature ou en argent, quand on cesse de travailler (ou que l’on travaille moins).

L’immobilier a beau être un capital très important, il ne suffit pas. C’est pourquoi les fonds de pension investissent dans les entreprises. Dans certains pays, par exemple les Etats-Unis, les fonds de pension jouent un rôle très important, mais l’investissement dans les entreprises ajouté à l’investissement dans l’immobilier ne suffit encore pas. On peut le compléter par le financement des infrastructures, via des obligations d’Etats qui empruntent avec sagesse pour construire des routes, des ponts et des écoles, pas pour couvrir d’énormes déficits budgétaires. Mais cela ne suffit encore pas ! Alors que reste-t-il comme capital requérant un investissement conséquent et susceptible de produire des rendements substantiels ? L’être humain, pardi ! Le facteur productif numéro un, c’est vous et moi, tous les hommes et les femmes qui ont bénéficié d’un investissement dans ce qu’il est convenu d’appeler leur « capital humain », et qui versent à ce titre des dividendes sous forme de cotisations aux caisses de retraite par répartition.

Des législateurs économiquement ignares

Une fois que l’on a compris cela, on ne peut plus prendre au sérieux les lois qui attribuent les droits à pension au prorata des dividendes – les cotisations vieillesse – que les « actifs » versent aux « anciens » qui ont investi en eux. Les droits à pension doivent en bonne logique économique être attribués au prorata des investissements que nous réalisons dans la jeunesse, pas de ce que nous versons pour les retraités ! Chaque année, les Français adultes versent environ 70 Md€ pour que les enfants et les jeunes fassent des études : voilà le type d’investissement qui devrait leur valoir des points dans un système de retraites cohérent. Chaque année, les parents consacrent à loger, nourrir, vêtir leurs enfants, une fraction conséquente de leur budget : c’est cela qui devrait leur valoir des points ! Tant que le législateur français restera persuadé que la magie politique peut transformer en investissement l’apurement progressif de la dette que les actifs ont contracté, tout au long de leur jeunesse, vis-à-vis de la génération précédente, laquelle a payé leurs études, leur entretien et tutti quanti, inutile de se remettre au travail sur la réforme des retraites.

De même, le législateur devra comprendre que certains « avantages » doivent être préparés par un investissement dans le capital traditionnel. Par exemple, un travail plus pénible ou dangereux que la moyenne mérite une reconnaissance, mais il n’y a aucune raison pour que celle-ci ne coûte rien à l’employeur : il faut que celui-ci verse des cotisations à un fonds de pension, ce qui permettra au travailleur soit de prendre sa retraite plus tôt, soit de percevoir un supplément de pension. Cela relève de la capitalisation, pas de la répartition ! Un ministre du travail, des affaires sociales ou des finances qui n’a pas compris cela n’a pas sa place au Gouvernement.

Après l’épidémie, repartir du bon pied, en préparant les prochaines législatives

Que le projet de loi retraites ait été abandonné, c’est très bien ! Mélenchon et Cie auront, sans le vouloir, rendu service à la France : il faut profiter de l’occasion, reprendre le projet de réforme, dès la fin de l’épidémie, sur des bases sérieuses, c’est-à-dire en considérant que les droits à pension doivent être attribués aux investisseurs. Sachant que, pour ce qui est de la retraite par répartition, les investisseurs principaux sont les parents et les personnes qui financent la formation (initiale et continue), les prestations familiales, et les frais liés à la conception et à la maternité.

Le confinement est favorable à la réflexion. Réfléchissons donc sérieusement au fonctionnement réel des retraites dites par répartition, et à la méga-réforme que nous devrions mettre en route.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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