Monsieur le ministre,
Vous ne vous rappelez certainement pas de moi. C’est normal, je ne suis qu’un entrepreneur parmi tant d’autres… enfin presque…
Avant, j’étais salarié. Un confortable poste de responsable des achats au Palais des Congrès de Paris, un magnifique bureau Porte Maillot, un bon salaire… le rêve de beaucoup de français. Le seul problème, c’est que je m’ennuyais terriblement. Alors j’ai créé ma boite. Comme d’autres, j’ai connu des hauts et des bas, le bonheur de satisfaire ses clients, de recruter ses premiers salariés, mais aussi les fins de mois difficiles lorsque l’on ne se verse pas de salaire, les licenciements quand on n’a plus le choix, les banques qui abusent de leur position dominante… mais on fait avec, on l’a choisi après tout.
Et puis j’ai vu les choses en grand : l’international ! J’ai voulu racheter une société aux USA, personne n’a voulu me financer, alors j’ai vendu mon appartement, ma voiture… et j’ai tout investi. Pas la grande fortune, mais quand même… L’aventure a été extraordinaire : New York, Pékin, Hong Kong, Singapour. Puis, quelques années plus tard, j’ai tout revendu. Comme je ne pouvais pas m’arrêter là, j’ai tout réinvesti pour racheter une société : entrepreneur.fr. C’était un réseau social des dirigeants d’entreprises, mais j’ai décidé de tout transformer. Vous savez, le « choc de simplification » dont on nous parle depuis des décennies, et que nous attendons toujours ? Et bien, moi, comme j’en avais marre d’attendre, j’ai décidé de le faire moi-même, et d’en faire bénéficier tous les dirigeants de France.
Créer son entreprise, le rêve d'une majorité de français
Comme je rêvais encore un peu, j’ai rédigé un mémoire « relancer la croissance par l’entrepreneuriat ». Plus de 200 pages de propositions concrètes, opérationnelles, techniquement réalisables, et commercialement rentables. Je vous l’ai envoyé ce mémoire, Monsieur le Ministre, à vous, au Premier Ministre, à certains de vos collègues de Bercy, à la Banque Publique d’Investissement… J’ai été reçu poliment par certains, d’autres n’ont même pas daigné me répondre. Bilan : personne ne s’y intéresse. Alors je me suis remis au travail avec la ferme intention de réussir sans votre aide.
Bonne nouvelle : il y a une semaine, je reçois une lettre du Ministère de l’Economie et des Finances. Bon, je m’étonne, c’est une lettre recommandée… A y regarder de plus près, je vois un tampon « 3ème brigade de vérification de l’Essonne ». Je crois comprendre… j’ouvre l’enveloppe : un contrôle fiscal.
Comme je devais me rendre à Tel-Aviv pour vous accompagner, vous, Monsieur le Ministre, et notre Président de la République, pour participer aux 2èmes journées de l’innovation France-Israël, je demande à faire repousser de quelques jours ce contrôle. Un accueil plutôt agréable, j’explique ma situation, tout va bien.
J’ai passé trois jours extraordinaires, j’ai rencontré des start-ups, visité le Technion, j’ai rêvé de pouvoir contribuer à importer en France une partie de l’énergie que tous ces gens ont pour entreprendre. De retour de Tel-Aviv, retour à la dure réalité quotidienne : le tréso, la tréso, et la tréso. Je constate que mon crédit de TVA n’a toujours pas été remboursé, je relance. Et là, stupeur : on m’explique que comme je suis en cours de contrôle fiscal, tous mes remboursements sont suspendus. La modique somme de 8178 € bloquée dans vos caisses depuis plusieurs mois, au lieu d’être sur le compte bancaire de ma société. J’appelle immédiatement mon contrôleur fiscal pour lui expliquer que j’ai besoin de cette somme pour régler les salaires de mes employés à la fin du mois. La réponse ne tarde pas : impossible, tout est bloqué jusqu’à la fin du contrôle. Pas moyen d’avoir un délai, la durée est variable. Une seule certitude, je n’aurai rien avant la fin du mois. J’ai beau insister en expliquant que je dois payer mes salariés, rien n’y fait : le Trésor ne peut pas prendre le risque de voir s’envoler cette somme, c’est mon problème.
La présomption d'innocence en matière fiscale n'existe pas
Monsieur le Ministre, si j’ai eu ce contrôle fiscal, c’est parce que je demande tous les mois le remboursement d’un crédit de TVA. Etonnant ? Non, quand on sait que nous avons investi près de 500.000 € pour développer cette entreprise ? J’ai travaillé des milliers d’heures sans toucher le moindre centime pour créer un outil d’aide aux autres entrepreneurs, et peut-être gagner un peu d’argent à la fin, ou peut-être tout perdre et rembourser pendant 10 ans les cautions personnelles que les banques m’ont fait signer. Mais ça, c’est le jeu. Ce que je n’accepte pas, c’est que l’on puisse prendre en otage une telle somme, destinée à payer des salaires, et que l’on puisse me répondre qu’il est plus important que le Trésor ait la garantie d’avoir cette somme, au cas où ce contrôle mettrait en évidence une quelconque irrégularité. La présomption d’innocence en matière fiscale n’existe-t-elle pas ?
Monsieur le Ministre, vous l’avez entendu comme moi de la bouche de notre Président, qui a fait un brillant discours d’ouverture à Tel Aviv : notre pays doit innover ! Mais si vous mettez des bâtons dans les roues des entrepreneurs qui innovent, comment faire ? J’entends sans cesse grogner les entrepreneurs qui en ont marre de se faire contrôler car ils ont bénéficié du Crédit Impôt Recherche. On m’a même conseillé de ne pas le demander pour être tranquille, vous rendez-vous compte ?
Nous ne sommes pas des « grands patrons », touchant un gros salaire sans prendre le moindre risque. Nous ne sommes pas non plus des « petits patrons », ce mot est insupportable ! Nous sommes des entrepreneurs, des gens qui prenons des risques. Aidez-nous à innover, à créer des emplois et à relancer l’économie. La croissance, elle ne se décrète pas au 6ème étage de votre paquebot, elle se gagne sur le terrain, jour après jour.
Vendredi prochain, je dois verser mes salaires. Dois-je demander à ma femme de me prêter de l’argent, elle qui est salariée et qui fait bouillir la marmite depuis des mois ?
Je n’ai qu’une seule question, Monsieur le Ministre : quand va-t-on cesser de considérer les entrepreneurs comme des voleurs, et quand allons-nous pouvoir construire sereinement l’économie de demain, celle de nos enfants ?
A moins que je ne décide de transférer le siège de mon entreprise dans un pays plus accueillant…
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de ma haute considération.