Il aura fallu attendre de souffler 30 bougies sur le gâteau d’Internet pour nous préoccuper de la nature de ce qu’on allait bien pouvoir glisser dans ses tuyaux. Aujourd’hui, les communicants s’interrogent : c’est quoi le contenu ? C’est sans doute un terme générique, un fourre-tout, une simple unité de mesure. Le contenu est en quelque sorte à la communication ce que le pâté est au château de sable.
Voilà, c’est ainsi : il FAUT manifestement remplir un vide, celui d’une relation sans doute un peu trop orientée vers la transaction. Alors on va raconter une histoire, d’accord ? Il paraît qu’il faut en raconter. On va meubler, on va faire diversion… Disons des trucs sympas parce que les autres en disent. Et parce que le silence serait trop pesant, trop suspect : on pourrait croire que finalement, nous n’avons rien à dire… et que des choses à vendre. Que nous ne sommes qu’intéressés. Voilà qui manquerait de noblesse.
Tout ce qui réside au cœur de la communication, de la relation intelligente, agréable et utile, tout cela meurt simplement à l’écho de ce mot sinistre et vulgaire. Le contenu, c’est un peu « 2001 L’Odyssée de l’Espace Publicitaire » : de grands singes poilus à lunettes roses qui trépignent en poussant des borborygmes autour d’un bloc de titane, au lieu de s’attacher à comprendre la valeur du lien qui les met en présence les uns des autres.
Imagine-t-on une seconde un grand chef s’interroger sur le contenu de ses plats ? Un brillant écrivain se pencher sur le contenu de son prochain ouvrage ? Prenez un homme éperdument amoureux, en pleine réflexion sur… le contenu de sa déclaration enflammée ? Il y aurait dans l’usage de ce mot quelque chose de mécanique et d’inerte.
Bien sûr, la notion de contenu répond au besoin d’identifier l’ensemble des modes d’expression susceptibles de porter ou d’agrémenter une proposition commerciale. S’agira-t-il d’un blog, d’un concours, d’une vidéo, d’un évènement, d’un magazine, d’une application ? Qu’y évoquera-t-on ? Quel en sera le message ? Exprimé sur quel ton ? Quelle périodicité ? Fort bien. Personne ne nous ôtera de l’idée, pourtant, qu’il y a quelque chose d’inquiétant - et de décevant - dans cette prise de conscience plus que tardive du besoin viscéral de nourrir la relation ; et de le faire autrement qu’au moyen de ce triste catalogue de procédés quincailliers.
Les marques, dont on fait grand cas aujourd’hui, que sont-elles finalement, elles aussi ? Ce ne sont que des assemblées humaines constituées de manière organique, qui agissent sous pavillon du produit ou du service qu’elles monnayent. Toutes possèdent pourtant une identité, une histoire et une vocation propres, qui délimitent un univers culturel foisonnant, susceptible d’être porté, décliné et partagé de mille manières.
Mais spontanéité et personnalité doivent impérativement présider à l’expression de cet univers. Faute de quoi, toute prise de parole resterait du contenu en tube, de la pâte à communiquer. Rilke disait que s’il ne nous était pas insupportable de ne pas écrire, il ne fallait pas nous considérer comme des écrivains. Eh bien chaque marque devrait ainsi ressentir, à l’origine même de sa démarche, le besoin impérieux, autant que l’aisance personnelle de se dire. Ou renoncer à tout jamais au rang de marque.
* Le contenu de marque (brand(ed) content) ou programme de marque (funded programming) est un genre créatif à part entière, différent de la publicité. Il associe une logique de communication de marque (ex : dans le cadre d’un lancement de produit, d’une campagne de recrutement) à la présentation d’une offre média traditionnelle (ex : fiction, reportage, jeu). Source Wikipédia, ndlr.