Pourquoi votre voiture perd-t-elle 20% de sa valeur à sa sortie du concessionnaire ?

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Par Captain Economics Modifié le 27 juin 2013 à 4h51

Supposons, pour reprendre l'exemple classique développé par George Akerlof (prix Nobel d'économie en 2001 pour ses travaux sur l'asymétrie de l'information) un marché sur lequel il n'existe que 4 types de voitures : (1) des voitures neuves et de bonne qualité, (2) des voitures neuves de mauvaise qualité, (3) des voitures d'occasion de bonne qualité et (4) des voitures d'occasion de mauvaise qualité (source : "The Market for 'Lemons': Quality Uncertainty and the Market Mechanism").

En tant qu'acheteur d'une voiture neuve, vous ne pouvez pas être sûr à 100% que la voiture que vous allez acheter sera de bonne qualité, mais vous savez avec une probabilité "q" que cela sera une voiture de qualité, et donc avec une probabilité (1 - q) que cela sera une voiture de mauvaise qualité. Après une certaine période de détention, vous souhaitez revendre votre voiture.

A ce moment là, il existe alors une asymétrie d'information entre vous (le vendeur) et l'acheteur. En effet, vous savez alors si votre voiture est un "lemon" (= voiture de mauvaise qualité en anglais) ou non (tout du moins vous assignez une nouvelle probabilité à cela, plus précise que la probabilité définie lors de l'achat, alors que l'acheteur lui ne peut pas déterminer cette nouvelle probabilité).

L'asymétrie d'information entre le vendeur et l'acheteur permet selon Akerlof d'expliquer pourquoi il existe une telle différence entre le prix d'une voiture neuve et le prix d'une voiture venant tout juste d'être achetée (décote de 30% pour une voiture ayant un an). L'idée est finalement assez simple : étant donné que sur le marché d'occasion, l'acheteur ne peut pas déterminer si la voiture est de bonne qualité ou une épave pleine de vices cachés, le prix d'une voiture d'occasion est le même peu importe la qualité réelle de la voiture.

La malhonnêteté de certains vendeurs peut détruire le marché de la voiture d'occasion

Or, la demande en voiture d'occasion dépend de deux variables : (1) le prix et (2) la qualité moyenne. Plus la proportion de voitures de mauvaise qualité est forte sur le marché d'occasion, plus la demande baisse ce qui entraîne une baisse du prix des voitures d'occasion. Le prix faible amène les vendeurs de voitures de qualité à se retirer du marché, ce qui augmente alors la proportion de vendeurs malhonnêtes.

On refait alors un nouveau tour, avec une baisse de prix sur le marché d'occasion via la baisse de la qualité moyenne, ce qui écarte les vendeurs "à peu près honnêtes"... jusqu'au moment où il n'existe finalement plus aucun marché d'occasion. Au final, seul le vendeur avec la voiture ayant le plus de vices cachés est prêt à vendre, et il est possible qu'il n'y ait alors pas d'équilibre entre l'offre et la demande.

"From time to time one hears either mention of or surprise at the large difference between new cars and those which have just left the showroom. The usual lunch table justification for this phenomenon is the pure joy of owing a "new" car. We offer a different explanation" - George Akerlof

Cet exemple tout simple montre en quoi l'asymétrie d'information peut détruire un marché et avoir un coût important pour l'ensemble de la société. Le coût de la malhonnêteté de certains vendeurs ne doit pas se calculer uniquement comme le montant "arnaqué" à un acheteur, mais doit prendre en compte le coût de la perte induite pour tous les vendeurs honnêtes exclus du marché à cause de cette pratique.


George Akerlof prend ensuite l'exemple du marché de l'assurance aux États-Unis dans les années 1960. Sur ce marché, il existe aussi une asymétrie d'information : en tant qu'assuré, vous connaissez beaucoup mieux que l'assureur votre état de santé réel et la probabilité de recours à des soins médicaux dans le futur.

Pour palier à cette sélection adverse (ou anti-sélection), l'assureur va alors augmenter le prix de l'assurance, ce qui va sortir du marché les gens les plus en forme (car l'assurance devient trop cher par rapport à ce qu'ils anticipent comme besoin) et donc faire diminuer la "qualité moyenne" (pour reprendre l'exemple des voitures) des personnes souhaitant être assurées. Ceci va alors augmenter la prime d'assurance et ainsi de suite, jusqu'au moment où seule la personne la plus pessimiste sur sa santé trouvera l'assurance attractive.

"Generally speaking, policies are not available at ages materially greater than sixty-five... The terms premiums are too high for any but the most pessimistic (which is to say the least healthy) insureds to find attractive. Thus there is a severe problem of adverse selection at theses ages" - O.D Dickerson, "Health Insurance"

Allez un dernier exemple un peu plus technique pour terminer : les marchés boursiers. En suivant le modèle théorique de Glosten & Milgrom ("Bid, ask and transaction prices in a specialist market with heterogeneously informed traders"), un marché peut aussi fermer si les market makers fixent un spread bid-ask ultra large pour compenser la présence de traders informés sur le marché.

Cette asymétrie de l'information, sans aller jusqu'à la fermeture d'un marché, permet d'expliquer pourquoi le bid-ask spread tend à augmenter à la suite de la publication d'une news macroéconomiques (si vous n'avez rien compris à cela, ce n'est pas grave non plus, le Captain' consacrera un article complet au modèle de Glosten & Milgrom pour la rubrique "La thèse du Captain'").

"In the introduction, we described the theoretical possibility that markets might close entirely, with the bid price being set so low and the ask price so high as to discourage any trade. This problem is identical to the famous lemons problem of Akerlof (1970), in which adverse selection can destroy the market" - Glosten & Milgrom

Seules des règles peuvent limiter l'asymétrie de l'information

Mais comment peut-on faire pour diminuer ces asymétries d'information qui entravent le bon fonctionnement des marchés ? George Akerlof donne alors quelques pistes finalement assez intuitives.

(1) Les garanties permettent de faire porter le risque sur le vendeur pendant une certaine période, ce qui permet de diminuer l'asymétrie d'information. (2) L'image de marque oblige les vendeurs à respecter certains critères et (en théorie) à être davantage honnêtes, sous peine de conséquences négatives à moyen/long terme. (3) Les autorisation délivrées par des institutions (diplôme, contrôle...) permettent de faire vérifier par une entité extérieure les qualités réelles d'un produit ou d'une personne et donc de diminuer l'asymétrie d'information.

Conclusion : La présence d'asymétrie d'information conduit à une situation d'équilibre inefficace. Il est donc important que des institutions, des règles ou bien des obligations (pour le vendeur et/ou l'acheteur) corrigent ce problème d'asymétrie d'information afin d'assurer des prix cohérents avec la qualité du produit échangé et ainsi restaurer l'efficacité à l'équilibre.

Autre solution : faire que le monde devienne honnête en faisant boire un élixir de vérité à tous les habitants... Mais bon, on va rester sur la première solution je crois !

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Doctorant en économie à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et professeur d'économie à l'IESEG Paris, Thomas Renault est le créateur du site Captain Economics, un blog ayant pour but de démystifier l'économie, en abordant cela sans prise de tête ni prise de parti.  

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