Convictions d’investissement pour 4 scénarios relatifs au conflit en Ukraine

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Par Stéphane Monier Modifié le 23 mars 2023 à 10h08
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4,4%La Banque de France estime que l'inflation pourrait atteindre 4,4% en 2022.

La guerre en Ukraine a modifié les perspectives macroéconomiques et géopolitiques mondiales. Ces 20 derniers jours, les risques d'investissement et la confiance des investisseurs ont suivi les changements stratégiques dans les relations internationales. Nous avons défini quatre scénarios, avec leur niveau de probabilité, et présentons des convictions d'investissement tactiques pour chacun d'entre eux (pages 4-5). À ce stade, le scénario du conflit prolongé semble le plus vraisemblable, même si la probabilité d'un cessez-le-feu augmente. À l'autre extrême, il est difficile d'exclure une nouvelle escalade.

Scénario 1?: le conflit se prolonge (probabilité élevée)

Ce scénario reflète, à notre avis, la situation actuelle et l'évolution la plus probable du conflit. L'Ukraine a mobilisé sa population et les sanctions occidentales isolent de plus en plus l'économie russe.

L'économie mondiale peut-elle faire face à cette situation?? Après deux ans de soutien fiscal et monétaire face à la pandémie, ses fondamentaux restent globalement solides. Avec le recul du chômage aux États-Unis et au sein de l'Union européenne, la Réserve fédérale (Fed) et la Banque centrale européenne (BCE) restent concentrées sur la lutte contre les niveaux records d'inflation. Nous pensons que la Fed procèdera à quatre hausses de taux en 2022, soit une augmentation totale de 100 points de base. La BCE réduit son soutien plus vite que prévu et pourrait augmenter les coûts d'emprunt pour la première fois vers la fin 2022 ou début 2023. Cette détérioration des perspectives de croissance et d'inflation laisse entendre que beaucoup dépend de la durée du conflit et de l'ampleur des mesures de soutien.

La politique monétaire ne peut bien évidemment pas résoudre les difficultés en matière d'énergie et d'approvisionnement. L'invasion a créé un choc d'offre sur les prix des matières premières, exacerbant les goulots d'étranglement dans le sillage de la pandémie. Des denrées alimentaires aux métaux en passant par les carburants, les sanctions imposées aux entreprises, aux particuliers et aux transactions financières russes affectent les matières premières. Dans ce contexte, nous pensons que la Russie continuera à subir les sanctions déjà imposées, mais nous ne prévoyons pas de nouvelles rétorsions qui s'étendraient aux importations d'énergie. Seuls les États-Unis ont jusqu'à présent interdit les importations de pétrole russe, tandis que l'UE prévoit de réduire progressivement deux tiers de ses importations de gaz russe d'ici 2023. Toutefois, d'autres problèmes d'approvisionnement se posent. Certaines entreprises, négociants et dockers choisissent de ne pas traiter le pétrole ou les cargaisons russes.

La croissance économique mondiale va certes ralentir comparativement aux sommets atteints après la pandémie, mais dans ce scénario, elle devrait rester supérieure à la tendance. À ces niveaux de sanctions et d'activité, nous tablons sur une croissance mondiale de quelque 3% en 2022. Une croissance suffisamment robuste pour résister à la hausse des coûts d'emprunt, d'autant plus que la probabilité d'un soutien budgétaire à court et à long terme est élevée. Dans la zone euro, nous nous attendons à une croissance du PIB de 2,8% environ. On pourrait néanmoins observer des différences régionales du fait que les économies d'Amérique du Nord et d'Asie, plus éloignées géographiquement de la guerre en Ukraine et moins dépendantes des ressources russes, seraient moins affectées.

Face à ces incertitudes, nous avons réduit les expositions au risque dans les portefeuilles de nos clients. Plus précisément, nous avons réduit les allocations aux actions européennes, aux petites capitalisations, aux obligations convertibles et à la dette émergente en devises fortes. Pour les investisseurs présentant une moindre tolérance au risque, les stratégies optionnelles (notamment les put spreads) peuvent s'avérer appropriées pour réduire encore le risque lié aux actions. En revanche, nous avons augmenté nos positions sur les matières premières, avec une préférence pour les métaux industriels, l'or et l'énergie, afin d'atténuer l'impact d'une hausse de l'inflation et d'une nouvelle escalade du conflit.

En outre, nous avons augmenté les liquidités, ce qui nous confère davantage de flexibilité sur des marchés volatils, ainsi que nos positions tactiques en obligations gouvernementales – quand bien même nous sous-pondérons la classe d'actifs compte tenu du resserrement de la politique monétaire de la Fed et la BCE. Concernant les devises, nous avons diminué nos expositions à l'euro et nous nous attendons à ce que le dollar américain et le renminbi servent de refuge aux investisseurs, car la Chine devrait augmenter sa part dans le commerce mondial.

Scénario 2?: cessez-le-feu (probabilité moyenne)

Bien qu'à ce stade une guerre prolongée semble le scénario le plus vraisemblable, la probabilité d'un cessez-le-feu augmente. Si la Russie et l'Ukraine devaient s'accorder pour mettre un terme au conflit, l'économie mondiale retrouverait rapidement sa trajectoire de début 2022 et la croissance connaîtrait une nouvelle accélération. Les goulots d'étranglement au niveau de l'offre, qui ont contribué à des niveaux d'inflation jamais vus depuis plusieurs décennies, commenceraient à se détendre, et les banques centrales reprendraient la voie vers la normalisation de leur politique monétaire. À court terme, les gouvernements occidentaux devraient faire face aux millions de réfugiés ukrainiens déplacés.

Un cessez-le-feu constituerait d'abord un dénouement positif sur le plan humanitaire. Du strict point de vue de l'investisseur, l'histoire montre que les actions tendent à se redresser rapidement au lendemain d'un conflit. Durant les sept dernières décennies, l'indice S&P500 a enregistré un rendement moyen de 27% dans les six mois suivant une guerre. Les actions européennes seraient les premières à bénéficier d'un cessez-le-feu, car elles sont les plus exposées aux impacts de la guerre. Dans ce cas, nous préférons les titres de type valeur aux valeurs de croissance, plus spécifiquement dans les secteurs tels que les services financiers, durement touchés par le conflit. Deuxièmement, nous continuerions à surpondérer les métaux industriels compte tenu du potentiel de hausse de la demande, notamment en provenance de la Chine. Troisièmement, nous sous-pondérerions le pétrole, car son approvisionnement en provenance de Russie, qui représentait près d'un dixième du brut mondial avant la guerre, ramènerait rapidement les cours à environ USD 100 le baril.

Sur le marché des changes, le renminbi s'apprécierait du fait que la demande chinoise pour les matières premières ne devrait pas faiblir. Par ailleurs, nous sous-pondérerions l'or. Nous nous attendons à ce que son cours se rapproche de 1 800 USD l'once, en ligne avec le recul des incertitudes géopolitiques.
Même si la guerre devait connaître une prochaine désescalade, tout ne redeviendra pas comme avant. L'invasion du président russe Vladimir Poutine a modifié les politiques des gouvernements occidentaux et rassemblé l'opinion publique. L'UE et ses membres ont révisé leurs positions stratégiques et une partie des sanctions ne seront pas levées tant que M. Poutine restera au Kremlin. Les membres de l'UE prévoient d'injecter des centaines de milliards d'investissements publics dans la défense, comme annoncé la semaine dernière, et d'éliminer progressivement les importations d'énergie en provenance de Russie. Ces changements pourraient accélérer le passage à une économie à zéro émission nette et avoir des répercussions géopolitiques plus profondes à long terme.

Scénario 3?: la guerre s'intensifie (probabilité moyenne)

L'Occident peut aussi décider d'étendre à l'énergie ses sanctions contre la Russie et/ou la Russie peut imposer des restrictions à l'exportation. Une telle escalade augmenterait le risque de récession. La hausse des prix de l'énergie – le pétrole dépasserait rapidement les 150 USD le baril – perturberait encore davantage les chaînes d'approvisionnement et ferait grimper l'inflation, détruisant la demande. Les producteurs de gaz de schiste américain peineraient à augmenter leur production rapidement pour suppléer à la pénurie de pétrole russe.

Face à ces pressions inflationnistes, la politique monétaire a peu d'options. Des dépenses budgétaires ambitieuses devraient être engagées pour répondre aux besoins urgents et à plus long terme. Les investisseurs chercheraient la sécurité dans les bons du Trésor américain et les titres du Trésor protégés contre l'inflation (Treasury Inflation-Protected Securities ou TIPS an anglais).

Dans ce cas, nous sous-pondérerions les actions, qui enregistreraient de mauvaises performances. L'impact sur les économies émergentes serait sévère, dévaluant leurs devises en l'absence de fortes dépenses budgétaires, et rendant la dette souveraine locale peu attrayante. Néanmoins, les marchés différencieraient rapidement entre les classes d'actifs, ainsi qu'entre les économies dépendantes du pétrole et les économies exportatrices de pétrole telles que le Brésil ou le Mexique, qui pourraient en bénéficier. Sur les marchés des changes, nous assisterions à une fuite vers les monnaies refuges telles que le dollar et le franc suisse.

Scénario 4?: l'escalade devient mondiale (faible probabilité)

À cette extrémité de notre éventail de scénarios, les prévisions économiques sont particulièrement difficiles à établir. Les économies se retrouveraient sur pied de guerre, du jamais vu dans le monde occidental depuis 80 ans. L'industrie se vouerait à la production militaire, l'énergie serait rationnée pour les consommateurs et pour l'ensemble des secteurs économiques. Au niveau international, les chaînes d'approvisionnement et les réseaux commerciaux devraient être repensés.

Ici, les solutions d'investissement sont très limitées. Seuls l'or, les liquidités et les bons du Trésor américain offrent de réelles opportunités pour protéger les portefeuilles. Nous sous-pondérerions fortement les actions. Le dollar américain et le franc suisse offriraient certes un refuge, mais les faillites dans les secteurs en manque de capitaux pour se refinancer se traduiraient par une baisse de la demande d'immobilier commercial et à travers la plupart des secteurs.

Nous continuons à suivre la situation de près, analysant et ajustant régulièrement le positionnement de nos portefeuilles. En prenant un peu de recul, trois thèmes d'investissement à long terme ressortent de tous les scénarios présentés?: les engagements de l'UE à accélérer la transition vers le net zéro, la croissance des investissements dans la cybersécurité et l'augmentation des dépenses militaires.

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Stéphane Monier est Chief investment officer chez Lombard Odier.

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