Confinement : l’absurde combat anti-Amazon

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Par Jean-Baptiste Giraud Modifié le 16 novembre 2020 à 19h45
Amazon Brevet Cage Salarie
@shutter - © Economie Matin
10000Plus de 10.000 PME et TPE françaises vendent sur Amazon et Cdiscount, et pour certaines, ces places de marché pèsent 80% de leur CA.

« Abominable Amazon II »

Avec le reconfinement, le deuxième volet de la saga « n'engraissez pas le patron du géant américain du e-commerce » nous est rejoué. Et tant pis si cet appel au boycott est totalement contraire au bon sens.

Car pour être cohérent, l'appel au boycott de l'américain Amazon, accusé de profiter de la situation provoquée par la pandémie du Covid-19 et par les mesures de confinement, devrait aussi s'accompagner d'un appel à boycotter tous les autres acteurs du digital qui en profitent au moins autant, si ce n'est plus.

Ainsi, boycottons l'américain Google, mieux, interdisons Google sur le territoire national. Une simple ordonnance suffit ! Ça tombe bien, Qwant, le moteur de recherche franco-européen, est en ligne et opérationnel (même s'ils ne référence a priori que 1% de ce que Google indexe sur ses serveurs). Bien sûr, l'afflux massif de millions de requêtes à l'heure sur Qwant fera immédiatement s'effondrer le service, mais au moins, Google ne profitera pas de la situation pour s'engraisser. Ça leur permettra de réfléchir aux impôts qu'ils ne payent pas (suffisamment) en France.

Boycottons également l'américain Microsoft (le M de l'acronyme GAFAM, qui rassemble Google, Amazon, Facebook, Apple & Microsoft). Là encore, c'est facile, les suites de logiciels bureautiques libres de droits pullulent, et la plupart sont compatibles avec les formats de fichiers de la suite Office ! Ah mais... Microsoft, c'est aussi Windows, utilisé par plus de 80% des ordinateurs en France, et pour le coup, les systèmes d'exploitation alternatifs (en dehors de Mac OS dont nous parlerons juste en dessous) existent, mais ils sont reservés à des usages spécifiques, ou à des utilisateurs confirmés...

Boycottons Amazon, Facebook, Apple, Microsoft et Google !

Boycottons encore l'américain Apple, dont nous parlions à l'instant, et dont le système d'exploitation Mac OS fait tourner l'essentiel du reste des autres ordinateurs en France, en dehors de quelques centaines de milliers d'ordinateurs sous Linux. Seul problème, dans certaines fillières, la tendance s'inverse : dans certains laboratoires de recherche et dans certaines industries de pointe, 100% des ordinateurs sont des Mac. Ils sont aussi ultra dominants dans les métiers de la communication, de la vidéo, des médias... Ah, et en passant, en boycottant Apple et ses produits, on boycote aussi l'iPhone, qui équipe 80% des ministres et cabinets ministériels, députés, sénateurs, chefs d'entreprise, décideurs...

Boycottons enfin l'américain Facebook, qui ne sert qu'à faire perdre du temps à ses 30 millions d'utilisateurs français, et à propager des fausses nouvelles et de vraies rumeurs. Ah, mais en passant, en boycottant Facebook, c'est aussi WhatsApp qui serait bloqué, une messagerie permettant à plus de 2 milliards d'habitants de la planète de communiquer y compris avec le son et l'image en s'affranchissant des distances et des coûts d'interconnexion.

L'appel au boycott d'Amazon est en réalité totalement absurde, car il fait une abstraction totale de la réalité du monde digital et de ses vertus, aux moins aussi nombreuses que celles du monde réel.

D'abord, Amazon n'est pas seul à vendre en ligne en France, bien évidemment. Nous avons d'ailleurs la chance de disposer d'un champion tricolore, CDiscount, dont l'histoire n'est pas trés éloignée de celle d'Amazon. Le géant d'Atlanta a été créé à l'origine pour vendre des livres en ligne. Le géant français de Mérignac, près de Bordeaux, a lui été créé à l'origine pour vendre des CD audio en ligne.

Quand on demande aux patrons d'Amazon et de CDiscount lequel des deux est le leader du marché français, ils bottent en touche. En réalité, les deux doivent se situer dans un mouchoir de poche, sachant que CDiscount dispose d'un atout sur son concurrent américain : son "rayon" électroménager, une véritable référence dans le monde du e-commerce français. La profondeur de son inventaire, ses tarifs particuliérement agressifs, lui procurent une part significative de son chiffre d'affaires, alors qu'Amazon est quasiment absent de ce secteur.

En toute logique, face à deux "grands", et une myriade de "moyens", ce n'est pas seulement Amazon qu'il faudrait boycotter pour "défendre" les petits commerçants, mais tous les "grands cybermarchands". Comme notre administration est spécialiste des "seuils", au delà ou en deça desquels on a droit ou pas droit à une aide, ou soumis à une obligation, inventons un seuil de CA, au delà duquel, il est interdit de vendre pendant toute la durée du confinement.

Confinement : interdisons les sites marchands qui réalisent plus de 100 millions d'euros de CA par an !

Pourquoi ne pas le faire ? Tout simplement parce que... des milliers de PME et TPE françaises vivent grâce à CDiscount, Amazon et tous les autres. Certaines d'ailleurs n'existent que grâce à ces géants et à leur marketplace ! Il suffit pour s'en persuader d'explorer les pages "économie" de la presse quotidienne régionale (PQR) sur ces cinq ou dix dernières années. On y trouve des centaines d'histoires de petites PME de province, isolées de tout et en particulier des clients, qui ont réussi à développer leur chiffre d'affaires grâce... à Amazon, CDiscount et consors. Plutôt que de tenter de trouver des clients avec leurs petits doigts, en investissant dans un site marchand, dans de la promotion sur les réseaux sociaux ou même sur des supports de communication traditionnels (presse locale, flyers, affiches), ils ont pu se développer grâce aux places de marché, sans rien dépenser, en dehors de la commission consentie aux sites de e-commerce.

Grâce aux solutions techniques proposées par ces spécialistes, ils ont même pu déléguer les taches logistiques, à savoir, la gestion de l'envoi mais aussi les retours et le SAV de leurs produits.

Il y a quelques semaines encore, je découvrais comment un forain de la Ciotat, près de Toulon, "Petit Boucan", était passé des étals des marchés de Provence avec ses bavoirs et layettes pour bébés à... la France entière. Devenant en un mois numéro 3 des ventes sur Amazon dans sa catégorie, aidé en cela par des étudiantes en école de commerce qui ont cru en son produit (des broderies sympas) et l'ont aidé à digitaliser son offre, 0% digitale avant leur intervention.

L'urgence, c'est de digitaliser l'offre locale

La lutte stérile contre Amazon me fait penser à ces auberges installées au bord de la Nationale 7, qui, du jour où l'autoroute du Soleil a été construite et ouverte, ont perdu 90% de leurs clients. On ne s'arrêtait plus à mi-chemin sur la route du Sud, pour déjeuner ou pour dormir, on pouvait traçer !

Au Havre, la papeterie Neveu, menacée de faillite en 2015 à cause des travaux du tramway, a basculé son offre sur Amazon et CDiscount. Son CA a depuis été multiplié par 5 !

Plus de 10.000 PME et TPE françaises vendent sur Amazon, autant sur CDiscount. Certaines réalisent plus de 80% de leur chiffre d'affaires en ligne. En réalité, les deux tiers du chiffre d'affaires d"Amazon est réalisé par des vendeurs tiers !

Le seul vrai combat à mener, c'est donc bien évidemment la digitalisation de l'offre locale. Ce que l'américain (encore) Uber a commencé à faire pour les commerces de bouche, avec UberEats. Que la puissance publique, comme certaines municipalités ont commencé à le faire d'ailleurs, mette des moyens pour permettre aux millions de petits commerçants de proposer leurs produits en ligne, pour les vendre en "click & collect" comme on dit, ou en livraison express avec des services de coursiers est une évidence absolue. Et que cette offre se trouve demain sur des versions géolocalisées des géants du e-commerce (avec une rubrique "achetez près de chez vous") paraît tout aussi évident. Mais pour cela, il faudrait d'abord sortir des anathèmes et des clichés sur le commerce digital et la vente en ligne...

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Photo Jean Baptiste Giraud

Jean-Baptiste Giraud est le fondateur et directeur de la rédaction d'Economie Matin.  Jean-Baptiste Giraud a commencé sa carrière comme journaliste reporter à Radio France, puis a passé neuf ans à BFM comme reporter, matinalier, chroniqueur et intervieweur. En parallèle, il était également journaliste pour TF1, où il réalisait des reportages et des programmes courts diffusés en prime-time.  En 2004, il fonde Economie Matin, qui devient le premier hebdomadaire économique français. Celui-ci atteint une diffusion de 600.000 exemplaires (OJD) en juin 2006. Un fonds economique espagnol prendra le contrôle de l'hebdomadaire en 2007. Après avoir créé dans la foulée plusieurs entreprises (Versailles Events, Versailles+, Les Editions Digitales), Jean-Baptiste Giraud a participé en 2010/2011 au lancement du pure player Atlantico, dont il est resté rédacteur en chef pendant un an. En 2012, soliicité par un investisseur pour créer un pure-player économique,  il décide de relancer EconomieMatin sur Internet  avec les investisseurs historiques du premier tour de Economie Matin, version papier.  Éditorialiste économique sur Sud Radio de 2016 à 2018, Il a également présenté le « Mag de l’Eco » sur RTL de 2016 à 2019, et « Questions au saut du lit » toujours sur RTL, jusqu’en septembre 2021.  Jean-Baptiste Giraud est également l'auteur de nombreux ouvrages, dont « Dernière crise avant l’Apocalypse », paru chez Ring en 2021, mais aussi de "Combien ça coute, combien ça rapporte" (Eyrolles), "Les grands esprits ont toujours tort", "Pourquoi les rayures ont-elles des zèbres", "Pourquoi les bois ont-ils des cerfs", "Histoires bêtes" (Editions du Moment) ou encore du " Guide des bécébranchés" (L'Archipel).

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