Contrairement à ce à quoi on aurait pu s’attendre, l’épidémie stimule les projets de rapprochement dans les secteurs bancaire et assurantiel. Outre ceux déjà annoncés, des rumeurs courent sur de grands mouvements impliquant des acteurs majeurs du marché. Tour d’horizon.
De même que ses conséquences à long terme sur la santé humaine sont encore méconnues, les conséquences de l’épidémie sur l’économie restent encore à déterminer. La fameuse vague de faillites, que d’aucuns attendaient au tournant de l’automne, avec la levée des mesures de soutien aux entreprises, pourrait finalement avoir lieu au printemps prochain. Mais encore, le supplément d’incertitude qu’entraîne l’épidémie donne lieu à des comportements adaptatifs nouveaux de la part des acteurs de la banque et de l’assurance. Alors que les fusions-acquisitions sont habituellement plutôt envisagées en période économiquement faste, les projets de concentration reviennent sur le devant de la scène des acteurs bancaires, tandis que les assureurs poursuivent le jeu des rapprochements à l’œuvre depuis plusieurs années.
Les annonces de fusions bancaires se sont en effet multipliées ces dernières semaines en Europe. C’est la banque italienne Intesa Sanpaolo qui a ouvert le bal fin juillet par l’annonce d’une OPA sur UBI Banca. En Espagne, c’est le gouverneur de la banque centrale locale qui appelle à la concentration du secteur bancaire afin d’en améliorer la rentabilité, faisant écho aux recommandations formulées en mai à l’attention des acteurs européens par son homologue français François Villeroy de Galhau. Caixa Bank et Bankia ne l’ont pas attendu, et ont annoncé début septembre négocier leur fusion.
En Suisse, entre UBS et Crédit Suisse, et en France, les projets n’en sont qu’au stade de rumeurs. La Société Générale a fait l’objet d’une note de Morgan Stanley quant à l’intérêt de sa fusion éventuelle avec la BNP Paribas. Un éventuel rapprochement permettrait à la Société Générale de réduire ses coûts de 20 à 35%, alors que la banque est régulièrement pointée du doigt pour sa difficulté à retrouver la performance malgré ses restructurations.
L’assurance, de son côté, ne semble pas remettre en question le grand mouvement de concentration qui marque le secteur depuis plusieurs années. En juin, Klesia et Generali ont vu leur projet d’union être approuvé par le régulateur, tandis qu’en juillet Aesio a confirmé le maintien de son alliance à venir avec Macif. Mais les assureurs, à la différence des banques qui cherchent avant tout à réduire leurs coûts, poursuivent des stratégies très variées. Après avoir annoncé en janvier le regroupement de ses filiales irlandaises, Axa, fidèle à son identité de développement international, a confirmé fin août son implantation en Inde par la fusion de sa joint-venture avec un autre acteur local, en vue de former ainsi le troisième assureur IARD du pays.
En France, les courtiers suivent l’exemple des banques et visent l’efficience. Gras Savoie Willis Towers Watson a ainsi annoncé début septembre la cession de sa filiale de gestion de complémentaire santé CGRM à SPVie, ce afin de se recentrer sur son cœur de métier.
La vague de rapprochements à l’œuvre pourrait aussi conduire à unir les deux mondes de l’assurance et de la banque. Un projet depuis longtemps évoqué refait surface : le rapprochement des grands « agricoles » Groupama, Agrica et Crédit Agricole. Il faut dire que, du point de vue de sa cohérence stratégique, le projet ferait sens. Le Crédit Agricole est aujourd’hui le premier bancassureur de France, et compte 9 agriculteurs sur 10 parmi ses clients. Groupama, de son côté, est le premier assureur agricole, avec 6,5 millions de clients sociétaires en France. Le groupe de protection sociale (GPS) des agriculteurs Agrica, enfin, trouverait dans l’alliance des trois une issue favorable à la disparition probable de ses activités de retraite complémentaire, elles-mêmes déjà réunies au sein de l’Alliance professionnelle avec celles de six autres GPS.
Il n’est pas nouveau qu’un rapprochement soit anticipé entre Groupama et le Crédit Agricole. Entre le milieu des années 1990 et 2001, ils étaient liés par des participations croisées et des accords d’autorisation préalable de projets d’alliance ou de rapprochement. Par leurs positions de marché, les trois agricoles s’assureraient une mainmise incomparable sur le segment des agriculteurs, mais aussi sur celui des collectivités publiques. Le Crédit Agricole est en effet leur premier partenaire bancaire, et Groupama leur premier assureur.
Si l’Autorité de la concurrence approuvait le mariage à trois, les partenaires pourraient rationaliser leurs réseaux de caisses locales (Groupama en compte 2 800 et le Crédit Agricole 2 400), partageant ainsi les objectifs des acteurs bancaires en la matière, et profitant de l’accès au million d’agriculteurs gérés en retraite complémentaire par Agrica. Groupama, de son côté, bénéficierait d’une plus grande intégration verticale de son activité grâce à Amundi, le gestionnaire d’actifs détenu à 70% par le Crédit Agricole, un atout notable en contexte de taux bas.
Le nouvel ensemble, original en ce qu’il réunirait des acteurs capitaliste, mutualiste et paritaire, compterait (avant réductions d’effectifs), réunirait plus de 170 000 salariés dans le monde, et réaliserait un chiffre d’affaires de plus de 50 milliards d’euros. Les conditions sont réunies pour une telle opération, mais les prochains mois verront si elle fait l’objet d’une déclaration officielle.
Les regards se portent également du côté de Malakoff Humanis. Le groupe, déficitaire depuis plusieurs années, pourrait bénéficier de plusieurs rapprochements. Le mutualiste Vyv, avec lequel le GPS a regroupé ses réseaux de soins en 2018, fait figure de favori. Autre possibilité, un rapprochement avec Generali, le septième assureur vie en France, qui permettrait à Malakoff Humanis de combler son retard en épargne par rapport à son premier rival paritaire AG2R La Mondiale.
AG2R La Mondiale qui, par ailleurs, semble adopter une stratégie singulière sur le marché. Le Groupe paraît avoir ralenti ses recherches de partenaires pour se concentrer sur son développement interne. Il compterait profiter de sa solidité financière pour développer de nouveaux services complémentaires à la cinquième branche de la Sécurité sociale consacrée à la dépendance. Autre axe qui reste encore à confirmer, la possibilité de créer sa propre offre d’assurance de biens et d’assurance emprunteur. D’aucuns envisagent déjà que le partenariat cycliste avec Citroën pourrait devenir l’embryon d’un futur déploiement industriel en assurance automobile.
La Mutuelle Générale, de son côté, a affirmé être toujours disposée à s’associer. Que quelqu’un se déclare volontaire sur le marché à court terme n’est cependant pas moins incertain que les autres rumeurs qui courent !