Coups de projecteur sur les complémentaires santé

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Par Jacques Bichot Modifié le 29 février 2016 à 9h22
Couverture Maladie Frais Remboursement Mutuelle Assurance
@shutter - © Economie Matin
35 MILLIARDS €En 2016 les complémentaries santé vont recevoir 35 milliards d'euros de cotisations.

Le législateur français a rendu l’assurance complémentaire santé obligatoire pour tous les salariés : cette disposition portée par la loi du 14 juillet 2013 relative à la sécurisation de l’emploi est entrée en vigueur le 1er janvier 2016. Compte tenu de la propension des pouvoirs publics à faire dans de nombreux domaines le contraire de ce qui serait souhaitable pour le pays, ce simple fait conduit à poser la question : les complémentaires santé, telles qu’elles fonctionnent actuellement, sont-elles vraiment une bonne formule ?

Trois documents récents apportent des éléments de réponse à cette question à 35 milliards d’euros – montant des cotisations qui vont être versées cette année aux organismes en question, disons les Ocam (Organismes complémentaires d’assurance maladie) :

  • Une étude de la Drees, l’organisme statistique des ministères sociaux, rendue publique le jour même où je prends la plume.
  • Un ouvrage de Frédéric Bizard, économiste de la santé, publié en janvier chez Dunod sous un titre éloquent : Complémentaires santé, le scandale !
  • Un article de votre serviteur dans le numéro de décembre de la Revue de droit sanitaire et social, « Protection sociale de base et assurances complémentaires ».

Les chiffres fournis par la Drees sont éloquents : les Ocam ont encaissé 33,9 Md€ de cotisations en 2014, et leurs remboursements représentent seulement 80 % de ces recettes, car les « frais d’acquisition » engagés pour attirer et conserver le client en absorbent 8% et les frais d’administration 7 %. L’assurance maladie du régime général de la sécurité sociale, elle, a dépensé 6 Mds€ en frais de gestion pour 158 Mds€ de prestations, soit 3,8 %, au lieu de 5,1 Md€ pour 27,1 Md€ de prestations, soit 18,76 %. Si les remboursements étaient en totalité réalisés par la sécu, les frais de gestion seraient très inférieurs. Chacun comprend aisément que cela ne coûte pas plus cher en frais de gestion de rembourser 50 % plutôt que 5 % du prix d’une paire de lunettes : il serait bien plus raisonnable d’améliorer les remboursements de la sécu, notamment en optique et en odontologie (les dentistes), que de rendre obligatoire l’intervention d’un Ocam.

Dans la majorité des domaines la concurrence est plus efficace que le monopole, mais l’inverse n’est pas exceptionnel, et l’assurance maladie en est un exemple important. La comparaison avec ce qui se passe aux États-Unis, sujet sur lequel F. Bizard donne des indications intéressantes, montre que c’est également vrai lorsque l’assurance maladie privée intervient seule, plutôt qu’en complément d’une assurance publique obligatoire : non seulement la couverture santé des américains est chère, mais de plus elle favorise une médecine excessivement onéreuse pour des résultats globalement décevants.

L’analyse que cet économiste fait des réseaux de soins coordonnés, souvent vantés en France par les admirateurs inconditionnels du modèle américain, est également décapante : loin de présenter les avantages dont on la crédite trop facilement, il semblerait que cette organisation contribue souvent à détériorer le rapport qualité/prix des soins par rapport à la médecine libérale.

Concernant la France, F. Bizard relève que la moitié des remboursements effectués par les Ocam « couvrent des dépenses de tickets modérateurs en ville ». Dans quel monde kafkaïen vivent nos dirigeants pour d’une main imposer un reste à charge aux patients afin de les responsabiliser, et de l’autre main rendre obligatoire l’adhésion à une structure dont la grande activité consiste à leur rembourser ce reste à charge – donc à les déresponsabiliser !

F. Bizard donne également un coup de griffe mérité à certaines annonces trompeuses des Ocam. Soit par exemple un achat de lunettes à 200 €. La sécu utilise une base de remboursement de 7,42 € et un taux de 60 %, ce qui amène 4,45 € sur le compte de l’assuré social. Les Ocam communiquent sur des « promesses de remboursement de 150 %, 200 %, voire plus », écrit cet économiste, et ce faisant elles font croire que le prix des lunettes va être bien couvert. Mais en fait 200 % d’un tarif de responsabilité égal à 7,42 € ne font que 14,84 € : le patient en sera pour 180,71 € de sa poche.

Terminons en faisant deux remarques. La première, émanant de F. Bizard, concerne la prévention. Il écrit : « En santé aujourd’hui, la meilleure économie est générée par la non-consommation de soins résultant d’un capital santé que l’on a mieux géré. » Élémentaire, mon cher Watson ! Donc l’accroissement de nos connaissances, notamment en génétique, devrait être utilisé autant pour indiquer des comportements individuellement adaptés au patrimoine génétique de chacun, de façon à éviter des problèmes de santé, que pour réparer des dégâts.

La seconde remarque, que j’ai exposée dans l’article cité plus haut, concerne la dérive qui a progressivement transformé les cotisations maladie en une sorte d’impôt : j’y vois la cause principale de la superposition de deux assurances maladie, l’une « de base » et l’autre complémentaire, et du gaspillage qui en résulte. Faisons des cotisations maladie de vraies cotisations d’assurance, visiblement payées par l’assuré social, et le montant de ces cotisations pourra être porté au niveau suffisant pour que la sécu rembourse, à elle seule, autant et même davantage que sécu plus Ocam actuellement. Une telle réforme ne serait pas un saut dans l’inconnu : il s’agirait seulement de faire dans la France entière l’équivalent de ce qui se pratique avec succès, depuis des lustres, en Alsace-Moselle.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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