Écrivain, éditorialiste politique, pamphlétaire, polémiste, candidat quasi-déclaré à l’élection présidentielle...Ce que l’on peut qualifier de “phénomène Zemmour” répond à une stratégie de communication politique assez inédite qui séduit l’opinion. L’homme médiatique à endossé le costume de l’homme politique. Pourquoi une telle lueur, un tel éclat auprès des Français au moment où les autres candidats peinent à se faire entendre, à l'exception du Président de la République ?
Eric Zemmour, c’est d’abord l’antithèse de “L’Homme Symbiotique” cher à Joël de Rosnay. Il balaye d’un revers de manches ou à la faveur d’un plaidoyer, une vision projective de l’avenir. Refusant une vie artificielle ou de progrès pour la France, il s’appuie sur des approches politiques, économiques et culturelles qui prétendent éviter la dilution du pays à l’instar du fil rouge de son livre à succès : Suicide Français. Ce brûlot de 500 pages paru en 2014 est sans doute le point d’orgue le plus expressif d’un storytelling politique pensé de longue date, mais pas forcément avoué au plus grand nombre. Quoique, les actes manqués se révèlent souvent comme la traduction d’une frustration que l’on veut dépasser parce qu'ils réfrènent l’action.
Du succès médiatique à la victimisation
Ce livre est le départ de toute chose pour Zemmour. C’est d’abord le premier pas d’un chemin qui mène l’éditorialiste vers la politique. Un réquisitoire contre l’affaiblissement de la Nation, objet de controverses, qui a su lui accorder une audience et une crédibilité auprès des Français. Passant des plateaux de télévision et de radios aux salles d’un auditoire attentif à ses théories, l’auteur a posé les jalons auprès de ses lecteurs près à devenir des électeurs. Comme on le dit des bons clients médiatiques, Zemmour imprime, il creuse son sillon parce que son propos est étayé par une autre conception que celle des partis politiques. Issu d’un milieu modeste de parents venus d’Algérie, dans une France qui rejette l’élite, le boulevard s’ouvre à lui sans que ses dérapages plus ou moins contrôlés n’entament son capital sympathie.
Suicide Français n’était donc pas seulement un coup de libraire mais bien la première pierre à l’édifice d’une machine de guerre médiatique prête à devenir à elle seule, un parti politique. Car l’élection présidentielle ne se gagne plus sur l’expression d’une histoire institutionnelle propre à la 5ème république où la gauche et la droite ont chacune leur entité, leurs militants, leur antécédent de gestion du pays pour parvenir à l’Elysée. L’élection d’Emmanuel Macron a su nous le prouver. Parti de rien, construisant sa stratégie sur l’échec d’un gouvernement auquel il a appartenu, le Ministre de l’Economie et des Finances, à l’image d’une campagne américanisée, a convoqué des moyens humains et financiers en un temps record pour conquérir la fonction suprême. Pour Zemmour, l’itinéraire est tout autre. RTL, Le Figaro, CNews ont accordé une place de choix à ce chroniqueur iconoclaste, jusqu’à ce que ses interventions couronnées par l’aménité d’une partie de ses confrères,deviennent aux yeux des chaînes et des antennes, un succès qui se transforme en malaise. Zemmour victime ? Les auditeurs et téléspectateurs ont, souvenons-nous, protesté contre son éviction, sa mise sur la touche. Dès lors, le mécano s’est articulé pour courir vers la Présidentielle, faisant de ce rejet, une victoire culturelle et l’expression d’un miroir montrant aux Français, les impuissances d’un pays à agir. Plutôt que de se battre sur les plateaux temporairement inaccessibles, Zemmour n’a pas voulu en faire le siège. Il a renoué avec le terrain, laissant pour un moment, les intellectuels et les politiques débattre de ses intentions. Terminées les extravagances d’un Suicide Français ! Place à un appel à construire d’autres propositions pour “renverser le système” qu’il dénonce.
Saturer l’espace et l’audience
L’homme sait mener les débats pour emballer l’électorat. Il s’est construit un personnage basé sur une stratégie discursive. Les sociologues n’ont rien dit d’autre. Le polémiste est en situation de communication médiatique comme le sont les chaînes d'informations : en continu ! Une posture qui fait recette parce qu’elle repose sur un marketing et une communication digitale bien pensés. Mais saturer l’espace et l’audience tout en les nourrissant ne peut suffire à gagner une élection à ce stade. Pour preuve, après sa spectaculaire percée, le presque candidat connaît un coup d'arrêt dans les sondages. Deux études publiées par Odoxa et Elable ce 11 novembre 2021 annoncent un tassement des intentions de vote en sa faveur. Les prémices du syndrome de l’homme-tronc. Ou la nécessité d’inventer un nouveau véhicule de communication pour renouer avec la course en tête. Zemmour ne peut en effet ouvrir un nouveau dialogue avec les Français sans aller au bout de sa démarche. Soit il renonce au scrutin d’avril prochain, soit il se déclare et part pour la course aux 500 signatures.
Quel rebond ?
Le rebond est-il possible ? Face à une droite fragilisée et à une gauche sous l’éteignoir, le concurrent médiatique de Zemmour n’est autre qu’Emmanuel Macron. La primaire de la droite ne semble pas attirée pour le moment les convoitises de l’électorat et Zemmour pourrait se déclarer avant que le candidat LR ne soit désigné. Ou alors reporter sa déclaration, ce qui pourrait aussi l’affaiblir. Pour autant, il n’a rien à craindre de la gauche éparpillée façon puzzle dont les critiques à son endroit, retombent aussi vite qu’elles peuvent fuser. Pendant ce temps, le Président sortant conserve le silence sur ses intentions mais ne dissimule pas tout à fait sa volonté de défendre son bilan. Les éditorialistes le voient adopter la même démarche que François Mitterrand qui avait attendu mars 1988 pour se lancer dans un campagne courte et rapide. A la différence qu’Emmanuel Macron ne sort pas d’une cohabitation mais s’apprête plutôt à prendre les responsabilités de la présidence française de l’Union Européenne. Zemmour peut-il encore occuper la place d’outsider face à Macron ? A 5 mois du premier tour, tout est possible. Souvenons-nous d’Edouard Balladur, de Lionel Jospin ou d’Alain Juppé donnés gagnants et qui ont mesuré à leurs dépens que les sondages d’un jour ne sont pas les élections du Jour J. Phénomène Zemmour ? Réponse en avril prochain !