Le tabac coûte cher, surtout quand il est illicite. Selon une récente étude du cabinet KPMG, en 2014, la France a trusté la première place des pays européens en termes de consommation de cigarettes illicites (contrebande plus contrefaçon), avec 8,9 milliards de cigarettes illégales achetées. En plus de venir gonfler les chiffres du marché parallèle (cigarettes achetées en dehors du réseau officiel des buralistes), plafonnant en 2014 à 26,3 % de la consommation totale -un record - contrebande et contrefaçon de cigarettes représentent un manque à gagner de 2,4 milliards d’euros pour l’Etat. C’est énorme, et ça pourrait encore augmenter si rien n’est fait.
T’as pas 56 milliards de clopes ?
La combine est simple. Des grossistes achètent des quantités de cartouches à prix cassé, souvent en Algérie (2,7 milliards de cigarettes algériennes ont inondé le marché français en 2014), où les dix paquets se monnaient à peine une dizaine d’euros. La filière d’acheminement est bien rôdée. Essentiellement navale, elle dispache au maximum les cargaisons, faisant passer la marchandise petite quantité par petite quantité, pour éviter les grosses saisies. Une fois arrivées sur le sol français, les cartouches sont cédées pour une trentaine d’euros à des revendeurs, qui en tirent 50 euros sur les plaques tournantes du trafic : Marseille, le quartier de Barbès à Paris, la Seine-Saint-Denis, etc.
Le geste peut sembler anodin, la consommation de cigarettes étant un acte ultra-répandu et tout à fait légal, pourtant, acheter son paquet à un vendeur à la sauvette entraine des conséquences directes et indirectes néfastes. Première d’entre elles, l’augmentation de la criminalité qui en résulte. Une criminalité qui se porte bien, puisque le commerce de cigarettes illicites rapporterait 159 millions par an en Seine-Saint-Denis, 42 millions d’euros à Marseille.
Mais le phénomène n’est pas franco-français. Sur l’ensemble du territoire européen, 10,4 % des cigarettes consommées sont illicites, soit 56,6 milliards de cigarettes, pour 11 milliards d’euros annuels de pertes de recettes fiscales pour les contribuables et collectivités. Si la France est toutefois davantage touchée que ses voisins européens, c’est sans doute parce qu’elle est le pays du Vieux Continent où le paquet de cigarettes est le plus cher, juste derrière la Norvège. Une donnée qui encourage les fumeurs à se tourner vers le marché parallèle.
Une politique de lutte contre le tabagisme… qui encourage la consommation de cigarettes illégales
La politique anti-tabac menée par le gouvernement, consistant à augmenter indéfiniment le prix du paquet pour dissuader les fumeurs, trouve ici ses limites. Le nombre de fumeurs n’a que faiblement baissé depuis 1990, et les recettes fiscales supplémentaires que l’Etat peut espérer engranger en augmentant les taxes sur les produits du tabac sont compensées par le fait que cette augmentation incite les fumeurs à avoir recours au marché parallèle.
Le paquet neutre, sur lequel le gouvernement place de gros espoirs, ne devrait pas arranger la donne. Mesure phare de la loi anti-tabac portée par Marisol Touraine dont les députés viennent de voter l’entrée en vigueur à compter de mai 2016, cette initiative vise à uniformiser les paquets, en ôtant logos et couleurs des marques, c’est à dire « tout accessoire publicitaire ». Bref, des paquets tous semblables, bardés d’images repoussantes, griffés du nom des marques dans une typographie standard, en petits caractères.
L’idée aurait pu sembler bonne, si des précédents étrangers ne nous avertissaient de son manque d’efficacité, voire de sa dangerosité. En Australie, l’entrée en vigueur du paquet neutre a entrainé une explosion du marché parallèle, qui de 11,5 % de la consommation globale en 2012 est passé à 14,5 % en 2014, soit une augmentation de 25 %, à en croire KPMG.
De la même manière qu’en Australie, en France, à n’en pas douter, l’instauration du paquet neutre constituera un formidable appel d’air pour le marché parallèle. La contrebande s’en trouvera également favorisée, un paquet monochrome étant par définition plus facile à reproduire que son pendant personnalisé.
Une telle initiative n’aurait de sens que si les politiques européennes étaient harmonisées sur le sujet, pour limiter les achats transfrontaliers. Ce n’est pas le cas. Quand bien même, si tous les pays de l’Union accordaient leurs violons sur le paquet neutre, cela ne ferait que renforcer l’emprise de pays voisins, comme l’Algérie, dans le commerce illégal de cigarettes.
Prétendre inciter les fumeurs à diminuer voire stopper net leur consommation est une intention louable. Reste que la politique anti-tabac de la France est inefficace, procédant depuis des décennies selon une équation séduisante, mais bancale : attaquer l’industrie du tabac, pour entrainer une baisse du nombre de fumeurs. Un mode opératoire démagogique mais souvent inopérant, alors qu’il faudrait se concentrer sur la sensibilisation des consommateurs, notamment des plus jeunes.