La réaction ne s'est pas faite attendre. Dès les premières minutes sur le marché des changes hier, les opérateurs se sont rués sur les valeurs refuges : achats massifs de yens, francs suisses et dollars. Sans oublier l'or qui a allègrement franchi la barre des 1600 dollars l'once. La violence de la réaction des marchés est à l'image de la « solution » radicale apportée par la zone euro et le FMI au problème de Chypre. Tous les scénarios étaient anticipés sauf celui-ci : se servir directement sur le compte des clients pour renflouer le système bancaire. Se servir ? N'exagérons rien... les clients se verront gratifiés d'actions bancaires pour « compenser » les pertes subies. Oui, vous avez bien entendu : des actions de ces mêmes banques au bord de la faillite. Inutile de préciser que ces actions constituent un actif non liquide : qui voudrait acheter des actions de banques chypriotes en ce moment ?
En plus de cette solution radicale, c'est la brutalité de l'annonce et sa rapidité qui surprend. Il y a encore quelques jours, certains députés européens déclaraient qu'il n'y aurait pas de plan d'aide défini avant avril. L'annonce en plein week-end et le gel des actifs pour empêcher tout retrait massif témoignent de la violence d'une décision unilatérale.
Cette décision ravive les pires moments de la crise de la dette qui secoue l'Europe depuis plus de 4 ans maintenant. Jörg Asmussen de la BCE a eu beau laisser entendre que ce type d'opération ne concernerait que Chypre et ne serait pas étendu à d'autres pays, les marchés ne semblent pas vouloir y croire.
Car quand on emploie le mot « marchés » comme un gros mot, il faut bien comprendre que ce sont eux qui financent en partie l'économie européenne, espagnole, italienne ou française notamment. En agissant de la sorte, l'Europe envoie un message aux investisseurs de la planète : attention, du jour au lendemain nous pouvons arbitrairement amputer vos actifs. Les taux d'emprunt de l'Espagne se sont sensiblement tendus ce matin, le 10 ans passant rapidement au-dessus de 5%...
Alors on essaie de se rassurer en expliquant que Chypre ne représente que 0.2% du PIB européen. Ce n'est pas le montant du plan qui pose problème, il est bien inférieur à l'aide débloquée à la Grèce, à l'Irlande ou encore au Portugal. Non, ce qui pose problème c'est le symbole. Le symbole d'une Europe dont les décisions impactent aussi bien les petits épargnants, qui n'ont rien à voir avec les dérapages bancaires de leur pays, que les clients fortunés de Russie ou d'ailleurs ou encore les entrepreneurs.
Si d'ailleurs les marchés n'avaient jugé que le poids de Chypre au sein de la zone euro, ils n'auraient même pas sourcillé à l'ouverture. Preuve que le malaise est plus profond que le seul poids économique du pays.
Certes ces mesures seront accompagnées d'une hausse d'impôts sur les sociétés et de privatisations diverses, mais ce que le monde retient aujourd'hui, c'est que du jour au lendemain l'Europe peut intervenir directement sur la propriété de ses citoyens (et non-citoyens).
On a parfois l'impression que les dirigeants européens oublient que la zone euro a, au cours des dernières années, autant été victime de l'envolée des dettes publiques que d'une crise de confiance majeure des investisseurs dans la politique de relance menée, politique souvent brouillée par les divergences entre dirigeants et le manque de consensus.
Et dans le contexte récessif qui plombe la zone euro depuis des mois, où les investissements constituent un paramètre essentiel de relance de la croissance, pas sûr que cette décision soit le meilleur argument pour attirer les investisseurs...