Avec son opération « Choose France » à Versailles, Emmanuel Macron essaie de surfer sur l’effet produit par son élection pour attirer des investisseurs étrangers. Mais, au-delà du culte de la personnalité qui se met en place, la France n’a pas encore planché sur les sujets qui rebutent les entreprises étrangères: une fiscalité étouffante et un empilement insupportable de réglementations auquel il contribue désormais.
On a bien compris les symboles: le château de Versailles, haut lieu de la monarchie triomphante, du culte de la personnalité royale, redevient, avec Emmanuel Macron, un lieu d’exercice du pouvoir présidentiel. Là se confondent peu à peu la destinée présidentielle et le destin national lui-même. Le monarque invite des grands capitaines d’industrie et résout à lui seul tous les problèmes du pays.
Quel jeu tentant pour Emmanuel Macron que de réduire la France à sa personne, et de nourrir l’idée aux yeux du monde selon laquelle il incarnerait la solution de l’étrange équation française à de nombreuses inconnues.
Choose France ou Choose Macron?
Depuis plusieurs mois, la tentation n’a échappé à personne. Par exemple, Macron est avare d’interviews libres avec les médias français, mais adore donner des interviews en anglais. Cette étrange inclination à parler aux étrangers au nom de la France plutôt qu’à parler aux Français en tant que président de la République soulève un coin du voile sur cette représentation bizarre, narcissique, d’un homme qui incarnerait à lui seul un pays, une nation, et dont le seul interlocuteur, le seul autre est le reste de la planète.
Mais en interne, la France de Macron tend asymptotiquement à se réduire à Macron lui-même.
L’envers du décor macronien
Dans ce dialogue l’homme-nation ouvre avec le monde entier, et qui tourne volontiers à son propre panégyrique, quelques silences, quelques omissions, cachent l’envers du décor. Et ces silences sont pourtant ceux qui bloquent les investissements étrangers.
Par exemple, Macron ne dit rien de cette manie réglementaire qui contamine les administrations françaises. A-t-il annoncé aux investisseurs étrangers à qui il fait la cour que, prochainement, une loi ajoutera à l’objet social de leur entreprise une sombre, une opaque responsabilité sociale à l’aune de laquelle les profits seront passés au crible?
Durant le speed dating que les ministres ont eu avec les grands patrons de ce monde, Muriel Pénicaud leur a-t-elle expliqué qu’elle interdirait dans les mois à venir les différences de salaire entre hommes et femmes? Oubliant, ce faisant, qu’elle n’est pas la plus mal lotie dans ce domaine si l’on en juge par les juteuses opérations capitalistiques qu’elle a elle-même réalisées par le passé dans une grande entreprise privée.
Macron a-t-il détaillé à Alibaba, à Facebook, le labyrinthe bureaucratique français qui condamne un entrepreneur à courber l’échine devant une multitude de chefs de bureau, de fonctionnaires, d’employés mystérieux qui tous, investis d’une once de petit pouvoir, se chargent de rappeler à ceux qui prennent des risques pour le pays qu’ils ne sont rien comparés à eux? Pas sûr qu’au-delà du culte de la personnalité qui se met peu à peu en place en France, l’étendue des problèmes n’ait été évoquée.
Macron a-t-il un projet de réforme publique en dehors de sa communication personnelle?
Tout ceci ramène au problème de fond qu’une multitude de présidents français n’a jamais pu ou voulu résoudre: à quand une offensive en règle contre l’étoile de la mort administrative, en expansion constante en France, qui provoque une hécatombe chez les entrepreneurs et les travailleurs indépendants?
Rappelons qu’en 1970, la France comptait 4,5 millions d’indépendants pour environ 2,5 millions aujourd’hui. Dans le même temps, le nombre d’actifs (chômeurs compris) a augmenté d’environ 8 millions de personnes sur la même période. Le récit de ce demi-siècle juxtapose une expansion fulgurante de la sphère administrative et un écrasement de l’initiative privée.
Sans une inversion systémique de la courbe administrative, la croissance en France est appelée à s’étioler. Il n’y aura pas d’effondrement brutal, parce que les centaines de milliers de travailleurs indépendants attachés à leur mode de vie ne deviendront pas brutalement des fonctionnaires ou des salariés. Mais, année après année, leur chiffre d’affaires s’érode et leur espoir d’améliorer leur sort s’évanouit.
Ce mal-là, Emmanuel Macron n’en dit rien, et n’en a rien dit aux grands patrons mondiaux qu’il rêve de voir s’installer en France. De mauvais esprits diraient qu’il y a là un projet de grand remplacement d’un petit capitalisme français par un grand capitalisme international qui ne dit pas son nom. Et on le regrettera, car la France ne souffre pas tant d’un déficit d’investissements directs étrangers que d’un déficit de prospérité pour ses propres entreprises.
Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog