Quel beau spectacle tu offris, mon cher François, à la France entière, et même au monde, en convoquant tes corps intermédiaires au palais d’Iéna, siège du Conseil Economique, Social et Environnemental, pour ta Conférence Sociale, point d’orgue de la démocratie sociale que tu as mise sur pied à grand renforts de tambours!
En contemplant le tableau de ces pique-assiettes et de ces écornifleurs, endimanchés pour se lamper aux cocktails et buffets qui parsemaient cette grande messe conventuelle, j’ai pensé à la liquéfaction psychique de tous ces Français qui apprennent la fermeture de leur usine après des décennies de bons et loyaux et services, j’ai pensé aux fins de mois difficiles de 80% de Français qui vivent avec moins de 2.000 euros par mois, et qui pourtant doivent se loger, se transporter et manger, j’ai pensé à tous ces jeunes des faubourgs qui n’ont plus aucun espoir d’un jour trouver un emploi. C’est bien cela, la démocratie sociale, une myriade de Français en souffrance qui, à travers leur lucarne magique, lèchent patiemment les miettes virtuelles que les écornifleurs leur laissent miroiter, la mine grave et la parole sombre, comme s’ils partageaient vraiment la misère de ceux qui n’étaient pas là et qui envient leur satiété.
J’imagine que lesdits écornifleurs pourront intarissablement raconter à leurs enfants, leurs petits-enfants et leur belle-mère, les souvenirs engrangés durant ces deux jours passés à brasser de l’air sous les auvents du palais. Puisque gouverner n’entraîne plus aucun acte de décision, ni aucune prise de responsabilité, pourquoi ces inutiles se priveraient-ils des quelques bénéfices que leur laisse la république en pleine décadence: des séances de photographie dans des décors somptueux, des agapes copieuses, des flots de Champagne, et des moments rares où l’on se dit que l’on est proche, si proche des puissants, à défaut de pouvoir quelque chose.
Dans cette belle représentation théâtrale, mon cher François, tu fus parfait de vacuité, d’imprécision et d’indécision.
D’abord, tu as confirmé que la réforme des retraites se vidait un peu plus chaque jour de son contenu. Non content de ne pas modifier l’âge de départ à la retraite, qui est l’un des plus favorables du monde, pour l’une des espérances de vie les plus élevées, tu as aussi fait comprendre que tu ne toucherais pas à tes sacro-saints fonctionnaires, et qu’au fond tu éviteras la réforme tant que tu le pourras. Voilà ce que j’appelle gouverner: convoquer le ban et l’arrière-ban sous les ors du régime, pour annoncer urbi et orbi que rien ou presque ne changera. La paix sociale est beaucoup plus importante que la prospérité!
Après tout, qu’importe si la France est comme un château de sable à la marée montante : l’essentiel est que les enfants ne crient pas et ne s’aperçoivent de rien. Je reconnais en toi le père de famille bienveillant.
J’apprécie aussi la grâce avec laquelle tu as chanté tes odes jaculatoires sur l’inversion de la courbe du chômage. Tu les répètes avec tant d’insistance que j’en viens à me demander si toi-même tu ne t’es pas pris à ton propre jeu, et si tu ne commences pas à ajouter foi à cette croyance magique.
Pourtant, tu devais bien te douter que les économistes de ton parti, lorsqu’ils t’ont inondé de notes absconses prouvant mathématiquement que cette inversion se produirait par l’effet du Saint-Esprit, par l’intelligence intuitive de la main invisible des marchés, ne cherchaient absolument pas à servir ta cause, mais voulaient simplement améliorer la leur : un discours optimiste, par les temps qui courent, vaut bien un maroquin ministériel. L’annonce d’un retour automatique à la prospérité est une telle prouesse qu’elle mérite, en récompense, un fauteuil à Bercy.
Maintenant, te voilà prisonnier d’une nouvelle promesse qui est bien embarrassante. Car les Français peuvent s’asseoir sur beaucoup de tes boniments : la crise est finie, l’euro est sauvé, l’insécurité recule, les dépenses de l’Etat diminuent, tout cela, au fond, n’intéresse pas vraiment les Français. Mais quand tu leur annonces qu’ils auront du travail au bout de leurs sacrifices, tu prends un risque nouveau et bien inconsidéré : ce sont de ces promesses vitales qui peuvent pousser un peuple au désespoir lorsqu’il comprend que ces mots n’étaient que mensonge.
Tu le sais très bien d’ailleurs, puisque tu songes à piocher dans la cassette de l’Etat le prix de cette promesse. Ah! Si l’on pouvait brutalement transformer tous ces chômeurs en fonctionnaires, déguisés en emplois aidés ou non! Que ce pari serait vite gagné et tu pourrais, avec Valérie, te consacrer à quelque nouveau spectacle dispendieux mais inutile, où ton peuple pourrait se persuader que tu es un bon monarque.
Le problème réside tout entier dans l’état des finances du royaume : les caisses sont vides, et l’impôt ne rend plus. Tes alliés continentaux se chargent bien de te le rappeler: ils ne manquent pas une occasion de redire tes engagements budgétaires. Ils t’écrivent pour t’enjoindre de réformer le royaume.
Et te voici, François, entré dans une bien vilaine seringue. La loi de finances approche : l’argent manque, tu dois honorer tes promesses, et tu ne pourras réussir ton omelette sans casser des oeufs. Ces oeufs, tu les connais : les corps intermédiaires que tu as rincés de petits fours et de gâteaux dans ta Conférence sociale appelleront les Français à battre le pavé pour protester contre la disette. Et Dieu sait ce qu’il adviendra...
Serais-tu, François, prisonnier d’un boniment de trop?