Hollande, le chômage et le gouvernement profond

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Par Eric Verhaeghe Publié le 29 janvier 2016 à 10h27
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2,6%Le chômage a augmenté de 2,6% en France en 2015.

Après la déchéance de nationalité, le chômage devrait être la nouvelle balle dans le pied que Hollande s’est logée cet hiver avec une imprudence qui étonne. On connaissait déjà la petite phrase téméraire prononcée sur l’inversion de la courbe du chômage, condition préalable à sa candidature en 2017. À l’époque où il l’a prononcée, Hollande était entouré d’économistes de haut vol comme Karine Berger qui le farcissaient de l’idée selon laquelle la croissance reviendrait par l’opération du Saint-Esprit capitaliste et que tous les problèmes se régleraient les doigts dans le nez. Il avait donc des circonstances atténuantes.

Quatre ans plus tard, le capitaine de pédalo a beaucoup moins d’excuses pour justifier sa petite phrase sur les allocations chômage qui devraient devenir dégressives. Cette idée suicidaire avancée à un an de sa (très hypothétique) réélection mérite une autopsie minutieuse, car elle en dit long sur le gouvernement profond qui dicte la conduite à suivre dans ce pays.

Le gouvernement profond et le chômage

Depuis de nombreuses années, une doctrine règne à Bercy et dans le petit monde de ceux qui produisent des rapports en sous-main pour orienter les « réformes » du pays. Dans le domaine du chômage, cette doctrine veut que la politique « passive » de l’emploi en France, et spécialement celle de l’indemnisation des chômeurs, soit trop favorable: indemnisation trop longue, indemnités trop élevées, sans dégressivité. Dans la conception dominante, ces deux particularités dissuadent les chômeurs de trouver du travail.

Une variante de cette doctrine consiste d’ailleurs à répéter que l’indemnisation du chômage peut atteindre 6.000 euros par mois, une somme qui démontrerait le caractère très dissuasif de l’indemnisation du chômage vis-à-vis du travail. Cet exemple de l’indemnisation à 6.000 euros ne concerne même pas 1% des allocataires, mais l’exemple est suffisamment éloquent pour travestir la présentation des faits et contaminer l’ensemble de l’image même du système.

Bien entendu, personne ne prend soin de rappeler que l’indemnisation nette moyenne représente 78% du dernier salaire, alors qu’elle était d’environ 70% au début des années 80, à une époque où le chômage était moins élevé. Personne ne peut aujourd’hui démontrer la corrélation entre le montant de l’indemnisation et le taux de chômage.

Malgré tout, la doctrine a la vie dure: c’est en introduisant la dégressivité du chômage que ce dernier baissera. Au nom de cette doctrine émanant du « gouvernement profond », les conditions de réforme de l’assurance chômage sont donc posées.

Le gouvernement profond et les partenaires sociaux

Les porteurs de cette doctrine ont une particularité qui justifient leur appellation de « gouvernement profond »: ils méprisent la démocratie et les processus formels qu’elle a mis en place. Ils reprochent à ces derniers leur inefficacité et leur incapacité à mener effectivement les réformes dont le pays a besoin.

Dans le domaine du chômage, ce mépris les conduit à vouloir s’émanciper des circuits paritaires et à rétablir la toute puissance de l’Etat, généralement pensé et présenté comme le meilleur garant de l’efficacité. Le réflexe ne manque pas de faire sourire quand on analyse la portée des déficits publics et l’incapacité de l’Etat à maîtriser ses dépenses de façon satisfaisante.

Toujours est-il que la gouvernance paritaire de l’Unedic est ici traitée avec défiance, comme avant elle celle des régimes complémentaires de retraite. Le fait que les règles d’indemnisation du chômage n’aient pu, en leur temps, être récupérées par Pôle Emploi continue à être vécu par le gouvernement profond comme une erreur et une lacune qui porte préjudice à l’intérêt public.

Sans surprise, la technostructure n’a donc pas manqué une occasion de prendre position sur ce que devait être le résultat de la négociation entre partenaires sociaux au mois de mars. Entre le discours de François Hollande aux acteurs de l’entreprise où il a implicitement exprimé son souhait de voir la dégressivité instaurée et le rapport de la Cour des Comptes qui délivre la parole de l’Etat gestionnaire, les partenaires sociaux savent clairement à quoi s’en tenir.

Cette intrusion dans le champ du paritarisme procède de deux certitudes implicites. La première est qu’aucune sphère de la vie publique ne doit échapper à la technostructure et à son gouvernement, la seconde est que l’étatisation du chômage améliorerait la performance du système.

Le gouvernement profond et les syndicats de salariés

Dans le cas d’espèce du chômage, la manière utilisée laisse pantois. Elle consiste en effet à annoncer deux mois avant la négociation entre partenaires sociaux le résultat auxquels ceux-ci doivent aboutir. Pour le gouvernement profond qui pense pouvoir définir les règles du jeu, cette méthode est source d’efficacité. Pourtant, un examen politique de son contenu en montre la profonde bêtise.

Tout d’abord, on se souvient ici que Manuel Valls a rayé d’un trait de plume les décisions de la précédente convention qui concernaient les intermittents du spectacle. Ils les jugeaient trop dur. L’influence de sa femme musicienne, l’influence de Julie Gayet, favorite du monarque, se faisaient sentir. Des efforts, oui, de la rigueur, oui, mais pour les autres, pas pour les proches du pouvoir. Imposer aujourd’hui une dégressivité à tous les chômeurs quand on a protégé les 140.000 intermittents relève de la maladresse.

En outre, l’introduction de la dégressivité après une année noire pour le chômage sera socialement très mal vécue. Alors que le pacte de responsabilité apporte(ra) d’importantes réductions de cotisations pour les employeurs, le fardeau des économies sur le chômeur apparaîtra forcément comme une provocation. Il faut être coupé des réalités pour ne pas sentir le malaise qu’une mesure de ce genre provoquera dans une période où le chômage menace tous les Français.

Ensuite, aucune organisation syndicale, pas même la CFTC, pas même la CFDT, ne pourra apporter sa signature à un accord de ce type. Cette impossibilité est particulièrement forte dans un paysage social de plus en plus tendu. La CGT et la CGC sont en crise et peineront à prendre des positions audacieuses en phase de congrès. FO est également concernée par une succession, celle de Jean-Claude Mailly, qui risque d’être moins pacifique qu’annoncée. Dans ce contexte « électoral », la CFDT hésitera à sortir du bois et à porter seule l’impopularité d’un accord qui sera jugé scélérat.

Bref, on voit mal quel syndicat godillot sera prêt à scier sa branche pour accomplir un voeu présidentiel annoncé aussi brutalement.

Hollande et le gouvernement profond

En l’état, l’annonce de Hollande devrait donc être tout aussi caduque que les grands coups de moulinet sur la déchéance de nationalité. Une fois de plus, l’autorité du président sera bafouée et sa parole amoindrie. En l’espace de quelques semaines, les Français auront vu le premier d’entre eux galvauder le pouvoir qu’ils lui ont donné sur deux sujets majeurs du quinquennat: la sécurité et le chômage.

Comment le Président peut-il se laisser piéger de cette façon? Toute la question qui est posée ici est celle de l’origine de la parole politique. Qui décide de glisser dans un discours présidentiel une idée aussi politiquement impraticable et dangereuse au moment où elle est dite que la remise en cause des règles d’indemnisation du chômage. La réponse à cette question est souvent jugée d’un intérêt mineur par les courants de pensée dominants. Pourtant, une fois, l’expérience de la réalité démontre qu’elle est centrale pour comprendre les phénomènes de décision et la conduite des politiques publiques aujourd’hui.

Dans un système régulé et régulier, le président (spécialement parce que de gauche et ennemi déclaré de la finance) devrait disposer d’un conseiller social avisé qui pèse suffisamment dans les arbitrages politiques finaux pour éviter qu’une doctrine impossible à mettre en oeuvre ne contamine sa parole. Avec François Hollande, cet équilibre politique n’existe pas, et la parole est manifestement déviée vers une trajectoire décidée par une technostructure déterminée à promouvoir des réformes non concertées.

C’est ici que nous pouvons considérer qu’il existe un gouvernement profond qui influence voire domine la décision publique indépendamment du suffrage universel. Ce gouvernement profond n’a ni visage ni responsable. Il est le fruit de ce que la technostructure bruxelloise appelle le « mainstream ». Notre démocratie est aujourd’hui dirigée de façon autoritaire, mais discrète, par une caste dont les actes sont « mainstreamés » autour d’un corpus idéologique défini unilatéralement.

Hollande, en bon élève de la Voltaire, est, vis-à-vis de ce gouvernement profond, dans une position ambiguë: il en est le produit autant que le maître, l’obligé en même temps que le suzerain. Il laissera probablement derrière lui l’image de ce roi fainéant qui a gouverné les siens autant que les siens le gouvernaient. Et cette confusion-là, les Français la connaissent, la voient au jour le jour, et risquent bien tôt ou tard de vouloir s’en débarrasser.

Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog

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Né en 1968, énarque, Eric Verhaeghe est le fondateur du cabinet d'innovation sociale Parménide. Il tient le blog "Jusqu'ici, tout va bien..." Il est de plus fondateur de Tripalio, le premier site en ligne d'information sociale. Il est également  l'auteur d'ouvrages dont " Jusqu'ici tout va bien ". Il a récemment publié: " Faut-il quitter la France ? "

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