De la Chine à l’Italie

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Par Hervé Goulletquer Modifié le 5 août 2020 à 13h25
Italie Crise Economique Union Europeenne
@shutter - © Economie Matin
127 MILLIARDS €L'Italie peut emprunter jusqu'à 127 milliards d'euros dans le cadre du plan de relance de la BCE.

En Chine, le processus de normalisation du tempo de l'économie se met en place. C'est le message qu'il faut retenir de la publication un peu décevante d'un PMI services pour le mois de juillet.

L'Italie, qui enregistre cette année un très fort creusement de l'impasse de ses comptes publics, se voit offrir des montants importants de financement par l'UE. Cela tombe bien ! Mais en profitera-t-elle dans les prochains mois ? Ce n'est en rien certain.
Commençons par prendre le pouls de la poursuite de la reprise dans les grandes économies. N'est-ce pas le point d'attention principal des marchés de capitaux ? Quelle est la résistance de l'économie à la fois à une maladie qui refuse de passer au deuxième plan et à une incertitude dont l'épaisseur ne se réduit que lentement ? C'est à la Chine qu'il faut s'intéresser ce matin, avec la publication du PMI Caixin services. Factuellement, il a baissé de façon significative en juillet : 54,1 après 58,4 le mois précédent. Analytiquement, on a envie de dire qu'après la forte inflexion haussière de mai et juin, une sorte de normalisation commence à se mettre en place. La croissance chinoise est en passe de retrouver son régime de croisière. Souvenons-nous de l'effondrement de T1 (d'une période à l'autre et en rythme instantané, -10,0%) et du sensationnel rebond de T2 (+11,5% !) ; eh bien le chemin vers une cible autour de 1,5% est en marche. Celle-ci serait atteinte entre la fin de cette année et le début de la prochaine. T3 serait alors un point intermédiaire sur cette trajectoire, avec un PIB progressant peut-être autour de 3%. Encore faut-il bien sûr que l'épidémie ne réserve pas de mauvaises surprises. Le schéma chinois est à garder à l'esprit. Avec un trimestre de retard, la logique de ce déroulé devrait se retrouver en Europe et aux Etats-Unis.

Changeons de continent et partiellement de sujet pour s'intéresser à l'Italie. Le marché a salué, mais sans doute sans excès, l'accord sur le plan de relance européen. L'écart de taux d'Etat à 10 ans avec l'Allemagne retrouve le niveau de 150 pdb ; presqu'une zone de confort, si on se réfère aux quelques trois dernières années. Remarquons cependant que le marché des actions a du mal à s'inscrire dans le sillage de cette dynamique de l'écart de taux longs. Comme si, malgré la réponse apportée en matière de risque souverain, la question de la trajectoire suivie par l'économie restait posée.

De fait, la croissance du PIB (d'une période à l'autre et en rythme instantané) a chuté de 5,4% en T1 et de 12,4% en T2. Bien sûr, on s'attend à un fort rebond en T3 ; +10% ?). Il n'empêche que la baisse sur l'année dépassera les 10%.
Ce fort recul de l'activité et les mesures de soutien et de relance par les pouvoirs publics vont inévitablement creuser de façon spectaculaire le déficit budgétaire. Il était de 1,6 point de PIB en 2019 ; il pourrait atteindre, voire dépasser, les 12 points en 2020. L'écart d'une année à l'autre sera au-delà des 160 milliards d'euros ! Il faudra les financer et c'est à ce niveau que la manne européenne est évidemment la bienvenue. Faisons les comptes et voyons comment l'utiliser.
Au titre de la facilité mise en place par le Mécanisme Européen de Stabilité (MES), l'Italie pourrait prétendre à se voir prêter 36 milliards d'euros, peut-être plus. L'argent est disponible de suite et la conditionnalité attachée, plutôt légère.
Le programme SURE (Support to mitigate Unemployment Risks in an Emergency) pourrait proposer autour de 13 milliards d'euros à l'Italie. L'argent pourrait être déboursé assez vite et, une fois encore, avec un jeu de contraintes assez léger.
Dans le cadre du plan de relance décidé lors du dernier Sommet européen (la facilité de reprise et de résilience), l'Italie se voit attribuer plus de 80 milliards d'euros de dons et peut emprunter jusqu'à 127 milliards. Mais, attention, l'argent n'est pas disponible de suite : 70% en 2021 – 2022 et le solde en 2023. Les conditions attachées, sans être drastiques, paraissent moins légères que pour les aides proposées par le MES ou par SURE.
On le comprend ; l'Italie peut obtenir à brève échéance près de 50 milliards de concours en provenance de l'UE. C'est tout sauf négligeable. Le fera-t-elle ? Le point sensible est le prêt éventuel du MES qui a « mauvaise presse » dans une partie de la classe politique du pays. La Ligue et une partie de 5 Etoiles sont opposées à faire appel à ce type d'aide européenne. Pourquoi cela ? Au titre de la mémoire gardée des conditions associées qui par le passé ont été plus strictes et considérées par la mouvance eurosceptique italienne comme étant humiliantes. En revanche, le Parti démocrate, Italia Viva (Matteo Renzi), Forza Italia (Silvio Berlusconi) et le reste de 5 Etoiles sont en faveur de profiter de l'aide proposée par le MES. L'ennui, on le comprend, est que la ligne de partage entre les « pour » et les « contre » passe en partie au sein du gouvernement et de sa majorité parlementaire.
Aucune perspective politique claire ne se dessine. Mais le risque paraît être une crise politique avec une recomposition de la majorité (Forza Italia la rejoignant et un éclatement de 5 Etoiles) ou alors de nouvelles élections générales. A moins que, face à des options que la classe politique refuserait, l'appel au MES n'ait pas lieu. Comme quoi, même quand les choses paraissant aller mieux, il n'est jamais certain que cela se passe ainsi !

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Hervé Goulletquer est stratégiste de la Direction de la gestion de La Banque Postale Asset Management depuis 2014. Ses champs d’expertises couvrent l’économie mondiale, les marchés de capitaux et l’arbitrage entre classe d’actifs. Il produit une recherche quotidienne et hebdomadaire, et communique sur ces thèmes auprès des investisseurs français et internationaux. Après des débuts chez Framatome, il a effectué toute sa carrière dans le secteur financier. Il était en dernier poste responsable mondial de la recherche marchés du Crédit Agricole CIB, où il gérait et animait un réseau d’une trentaine d’économistes et de stratégistes situés à Londres, Paris, New York, Hong Kong et Tokyo. Il est titulaire d’une maîtrise d’économétrie, d’un DEA de conjoncture et politique économique et diplômé de l’Institut d’Administration des Entreprises de Paris.

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