De quel côté la Chine penche-t-elle : wei ou ji, danger ou opportunité ?

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Par Hervé Goulletquer Publié le 19 mai 2020 à 13h36
Chine Etats Unis
@shutter - © Economie Matin
3%Le FMI s'attend à une récession de plus de 3% au niveau mondial en 2020.

Le Président Xi lors de l'Assemblée Générale de l'OMS s'est montré très « multilatéraliste ». Mais il a dû accepter l'idée d'une enquête internationale sur les causes de l'épidémie. En fin de semaine, l'Assemblée Nationale Populaire sera le lieu de présentation des nouveaux objectifs de politique économique. Ceux-ci devraient être volontaristes, mais sans excès. Ces initiatives portent probablement la marque d'un régime qui évolue sur une voie étroite : trop d'idéologie et de centralisme pour être vraiment efficace, mais une impossibilité de revoir le cap.

Les marchés ont eu le sourire au cours de la séance d'hier et cela continue ce matin en Asie. Le mouvement de balancier est un peu toujours le même à l'heure actuelle. Voire plus loin incite à davantage de confiance, tandis que regarder la situation telle qu'elle est aujourd'hui pousse au scepticisme. La remontée des cours du pétrole (le WTI américain au-dessus de 30 $pb), l'espoir (une fois encore) d'un prochain vaccin contre le COVD19 et la proposition franco-allemande d'un plan de relance européen de 500 milliards d'euros, financé au niveau de la Commission, ont été les catalyseurs de ces « lendemains qui chantent » qu'on croit entrevoir.

La semaine est très chinoise. Non pas tant en termes de publications d'indicateurs permettant de jauger la réalité et la force du processus d'amélioration de la conjoncture. Plutôt en matière de capacité du Parti – Etat à déployer sa politique pour atteindre ses objectifs. Cela a commencé hier avec le discours du Président Xi devant l'Assemblée Générale de l'OMS (l'organisation mondiale de la santé) et c'est en fin de semaine que s'ouvriront à Pékin les travaux de l'Assemblée Nationale Populaire. Une logique d'entre-deux pourrait bien ressortir de ces rendez-vous. Comme si dépasser l'opposition entre le wei (danger) et le ji (opportunité) était aujourd'hui compliqué. La dialectique marxiste deviendrait d'un maniement difficile dans les instances du Parti communiste chinois !

Commençons par le contenu des propos tenus par le Président Xi devant l'AG de l'OMS. Il envoie un triple message « à la ville et au monde » : une aide de 2 milliards de dollars, sur 2 ans, pour faciliter la réponse coordonnée au niveau mondial à la crise du coronavirus (sans doute pense-t-il aux effets de celle-ci) ; tout vaccin développé en Chine sera considéré comme un bien public mondial ; la Chine participera à une enquête internationale, indépendante et impartiale, sur la gestion de l'épidémie, en sachant que celle-ci sera menée sous l'autorité de l'OMS. Comment ne pas considérer que, à côté d'une posture « multilatéraliste » du meilleur effet, Pékin a dû céder à la pression internationale et accepter que des inspecteurs étrangers viennent étudier ce qui s'est passé dans le pays ?Bien sûr, les autorités chinoises ont assurément apprécié que Taïwan renonce finalement à participer à l'AG de l'OMS. Le Parti – Etat a cédé sur le fond (l'enquête), mais les formes sont sauves. Pas de remise en cause du principe de l'unité du pays et la Chine apparaît comme un « bon élève » de la coopération entre pays ; ce qui en creux dessine des Américains très en contre-point.

Passons à l'Assemblée Nationale Populaire et quittons la politique de santé publique et la diplomatie pour s'intéresser à la politique économique. Que va-t-on annoncer aux députés ? Dans un environnement à la fois compliqué et peu lisible, quel va être le degré de volontarisme du pouvoir ? La voie tracée et les impulsions données seront-elles suffisamment claires et engageantes pour baliser le chemin devant ? Au vu des informations à disposition à l'heure actuelle, tout ceci ne va pas complètement de soi.

Les marchés vont être attentifs à trois points principaux. Il y a d'abord la cible de croissance pour cette année. Elle aurait dû être de 5,5%, simplement pour assurer l'atteinte de l'objectif de doublement du PIB sur la décennie qui s'achève. La réalité, maladie oblige, sera plus proche de 1%, peut-être moins. Est-ce important ? Sur le fond, non ; les autorités du pays sont confrontées à un cas de « force majeure ». Mais il faut montrer que la difficulté a été surmontée ; surtout ne pas suggérer une position de faiblesse. D'où l'importance d'un but de substitution à la fois crédible et à même de prouver l'efficacité du régime ? Que sera-t-il ? Il y a ensuite le calibrage de l'impasse des comptes publics. Là encore, il s'agit de passer un message, qui plus est cohérent avec le précédent : le soutien à l'activité est augmenté. Le déficit on-budget sera revu à la hausse (de 2,8 points de PIB à 3,5 points ?) et celui off-budget, aussi. Mais, pour ce dernier, il faudra probablement deviner. Il y a enfin la façon dont l'activisme budgétaire va être décliné : baisse des impôts (quels agents économiques et quels secteurs seront-ils privilégiés ?), hausse des dépenses (surtout les infrastructures ?), en mettant peut-être aussi en avant le bon équilibre à trouver entre relance de court terme et réformes structurelles de moyen terme. On le ressent ; les temps ont beau être exceptionnels, la réponse de politique économique devrait être assez conventionnelle, pour ne pas dire convenue ; et peut-être aussi pas très précise.

Comment comprendre cette attitude du Parti – Etat, qui s'apparente un peu à une politique de l'entre-deux : en faire, mais pas trop ? L'explication passe peut-être par une nécessaire prise de recul sur la réalité politique et économique de la Chine aujourd'hui. Commençons donc par rappeler la hiérarchie des priorités pour les responsables :

  1. Le rôle dirigeant du Parti communiste ;
  2. L'unité du pays ;
  3. Une croissance économique à la fois soutenable et d'un niveau suffisant ;
  4. Un meilleur contrôle de la périphérie maritime du pays et une volonté de déploiement de l'influence chinoise à la fois dans le reste du monde et dans les grandes organisations internationales et régionales.

Pour que ces buts puissent être atteints, le Président Xi s'est lancé dans un processus de centralisation des responsabilités politiques et économiques et donc de mise au pas des contestations. On peut noter :

  1. Au sein du Parti, une pratique plus idéologique et plus personnelle ;
  2. Dans le pays ou à sa proximité, un contrôle plus « serré », comme à Hong Kong ou dans le Xinjiang ;
  3. Le rôle plus important donné aux entreprises d'Etat et aux technologies liées à la surveillance ;
  4. Une diplomatie plus agressive ; des « routes de la soie » un peu imposées aux revendications de contrôle des mouvements en mer de Chine.

Le tout participe d'un système plus rigide et probablement aussi d'un ralentissement économique, qui va au-delà de ce qui serait suggéré par les évolutions démographiques et le niveau de développement dorénavant atteint. Ce dernier est accentué par le découplage engagé avec les Etats-Unis. La population ne peut qu'en ressentir une déception, voire un mécontentement ; surtout au sein des classes moyennes urbaines. Le « vague à l'âme » doit être géré. Puisque la ligne politique ne sera pas changée, au moins pas rapidement avec un leader qui peut le rester à vie, une certaine prudence dans la déclinaison des actions engagées (ne pas faire de bêtises !) et la mise en place d'un discours aux accents nationalistes sont de mise.

La Chine en est là et la voie poursuivie est étroite. Un retour vers une politique davantage « pragmatique » et décentralisée, qui serait sans doute plus efficace, est-il possible ? La lecture que les dirigeants chinois font de l'expérience Gorbatchev du temps de la Russie soviétique l'en empêche.

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Hervé Goulletquer est stratégiste de la Direction de la gestion de La Banque Postale Asset Management depuis 2014. Ses champs d’expertises couvrent l’économie mondiale, les marchés de capitaux et l’arbitrage entre classe d’actifs. Il produit une recherche quotidienne et hebdomadaire, et communique sur ces thèmes auprès des investisseurs français et internationaux. Après des débuts chez Framatome, il a effectué toute sa carrière dans le secteur financier. Il était en dernier poste responsable mondial de la recherche marchés du Crédit Agricole CIB, où il gérait et animait un réseau d’une trentaine d’économistes et de stratégistes situés à Londres, Paris, New York, Hong Kong et Tokyo. Il est titulaire d’une maîtrise d’économétrie, d’un DEA de conjoncture et politique économique et diplômé de l’Institut d’Administration des Entreprises de Paris.

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