La sous-évaluation du yuan chinois n’est plus qu’un mauvais souvenir. Dans un contexte de dévaluations compétitives au niveau mondial, le yuan est désormais nettement surévalué par rapport à ses principales contreparties, dollar et euro en tête.
Pour réussir sa transition économique, la Chine a besoin d’une devise stable, d’où ses interventions répétées sur les changes au cours des mois passés. Sur l’année écoulée, 513 milliards de dollars ont été puisés dans les réserves de change, sans pour autant stopper les pressions de marché à la baisse sur le yuan qui a perdu 5% face au dollar américain sur la période. Il s’agit d’une dépréciation significative pour une monnaie qui avait pour habitude de fluctuer dans des bornes plus étroites. A titre de comparaison, l’euro, qui évolue librement sur le marché, a perdu près de 6% de sa valeur face au dollar américain l’an dernier.
L’hypothèse de plus en plus crédible d’une dévaluation avant l’été
Trois scénarios sont possibles en 2016 pour le yuan chinois :
- La dévaluation par étape décidée par la Banque Populaire de Chine (BPC)
- Le maintien des interventions sur le marché
- Des Accords du Plaza bis
La dévaluation par étape décidée par la BPC est le scénario le plus probable pour 2016. Elle n’entre pas en conflit avec le processus d’internationalisation du yuan, au contraire, puisqu’elle pourrait permettre d’avoir un taux de change plus en accord avec les fondamentaux chinois. Les dévaluations successives du mois d’août dernier (1,9% le 11 août, 1,6% le 12 août et 1,1% le 13 août) ont constitué un signal important pour le marché qui ne sera, cette fois, pas complètement pris au dépourvu si la Chine réitère l’opération. Pour que celle-ci réussisse, il faudra que la BPC ouvre un canal de communication avec le marché en adoptant les méthodes des banques centrales des pays développés. Le pays est en phase d’apprentissage du capitalisme. Par conséquent, cette révolution ne se fera pas sans à-coups mais c’est une étape nécessaire pour que les investisseurs cernent mieux les intentions de la Chine en matière de politique monétaire et de taux de change optimal. Le G20 de Shanghai qui aura lieu les 26 et 27 février prochains pourrait représenter une étape importante dans la dévaluation du yuan. La question des changes sera inévitablement un sujet de discussion central. Cette enceinte pourrait être idéale afin d’apporter l’expertise nécessaire à la Chine et lui donner éventuellement un blanc-seing pour dévaluer, comme ce fut le cas par le passé pour le Japon. A court terme, ce scénario aurait pour principal inconvénient d’accentuer le désordre monétaire mais son impact sur les marchés resterait limité et n’aurait rien à voir avec l’électrochoc de l’abandon précipité par la Banque Nationale Suisse du cours plancher de l’EURCHF il y a exactement un an.
A défaut d’une dévaluation du yuan, la BPC pourrait être contrainte de poursuivre ses interventions sur le marché. C’est le scénario de la fuite en avant. Les interventions sur les changes induisent un coût qui est de plus en plus prohibitif au regard de leur incapacité à stabiliser le yuan. La Chine n’est pas en mesure de battre le marché. Au rythme actuel (presque 100 milliards de dollars par mois), les réserves de change pourraient atteindre le seuil minimal recommandé par le FMI de 2800 milliards de dollars d’ici fin juin. Le pays ne peut pas se permettre que ses réserves s’effondrent nettement sous ce plancher qui permet à la BPC d’avoir une marge de manœuvre réelle pour intervenir en cas de choc externe. Si cela devait se produire, la Chine serait tôt ou tard contrainte de jeter l’éponge et de laisser les forces du marché décider du taux de change du yuan. La crédibilité de la BPC serait durablement entamée. La Chine a conscience qu’elle ne peut pas se permettre une telle éventualité, ce qui semble donner encore plus de crédit au scénario d’une dévaluation par étape du yuan d’ici l’été.
Des Accords du Plaza bis. C’est le scénario rêvé pour les économistes, mais certainement le moins probable à moyen terme du fait de l’absence de coordination des politiques monétaires entre les pays développés et les pays émergents. Partant du constat d’une trop forte volatilité des changes et que des dévaluations compétitives non concertées au niveau mondial ont des effets récessifs sur l’activité économique, de nouveaux accords du Plaza pourraient être signés sous l’égide du G20. Ils viseraient à contrer trois problèmes majeurs pour l’économie mondiale : la forte volatilité des changes, la surévaluation du yuan et le niveau élevé du dollar américain qui accentue le risque de récession à cause de l’explosion de l’endettement des agents en USD depuis 2008. Suivant l’exemple de 1985, les pays parties prenantes pourraient accepter d’intervenir sur les changes afin de déprécier les cours du dollar et du yuan. Des accords de swap entre la FED et les banques centrales des pays émergents pourraient également être mis en place, comme ce fut le cas en 2008 entre les principales banques centrales des pays développés, afin d’apaiser les tensions sur les marchés financiers. Cependant, pour qu’un tel scénario puisse se produire, il faudrait que les pays en question aient conscience de la convergence de leurs intérêts et de de la nécessité d’agir de concert, ce qui n’est pas encore le cas.
L’épineux problème de la fuite des capitaux
La chute du yuan est étroitement corrélée à la fuite des capitaux. Celle-ci est difficile à mesurer avec exactitude du fait de l’opacité du calcul des statistiques chinoises. Notre estimation basse permet de conclure que la fuite des capitaux a atteint près de 650 milliards de dollars depuis 2010, en se basant sur l’évolution du poste « erreurs et omissions nettes » de la balance commerciale. Le montant total réel est certainement beaucoup plus élevé mais cette estimation permet de confirmer que, contrairement à ce qui était couramment admis, la Chine est depuis cinq ans passée du statut d’importateur à exportateur net de capital. Malgré le plan de relance de 4000 milliards de yuans présenté fin 2008, la Chine n’a pas réussi à renforcer suffisamment son économie. Peu importe le scénario qui sera privilégié par la BPC au sujet du taux de change du yuan, la stabilisation de la devise passera inévitablement par une limitation de la fuite des capitaux.
La mise en œuvre évoquée d’un contrôle des capitaux n’est pas souhaitable car elle enverrait un message très négatif aux investisseurs étrangers au plus mauvais moment. En outre, les expériences passées montrent que de telles mesures présentent toujours des lacunes qui permettent de faire transiter les capitaux hors du pays via des moyens détournés, par exemple via Hong Kong pour la Chine. Pour une réelle efficacité, il faut imposer un contrôle très strict qui revient à étouffer complètement l’économie, ce qui ne fait en aucune façon sens dans le cas présent. La Chine n’aura pas d’autre choix dans les années à venir que d’offrir des gages d’ouverture du marché des capitaux domestiques aux étrangers et que de renforcer sa réglementation financière qui est, encore, très insuffisante.
Ce long processus n’exclut pas de nouvelles corrections importantes sur le marché boursier chinois voire des faillites d’entreprise qui aboutiront à réduire l’aléa moral. Il est certain, en revanche, qu’un taux de change stable du yuan après dévaluation pourrait concourir à rassurer les agents économiques. C’est, au demeurant, la manière la plus simple et la plus rapide de procéder. La Chine ne dispose pas d’autres leviers crédibles et efficaces pour rééquilibrer son économie à court terme.