On connait bien les petites formules politiques sur la croissance française : la croissance revient ; la croissance est de retour; la croissance est là ; le rythme de la croissance s’amplifie, … certains y croient, d’autres y croyaient, enfin peut-être faisions-nous semblant d’y croire.
Croissance à 0% au 2ème trimestre, mais prometteuse !
Cette année, la croissance devrait dépasser 1%, un résultat tout à fait atteignable au vu d’un acquis de croissance à mi année de 0,8%. Cependant, le 2ème trimestre sorti à 0%, a porté son ombre sur un tableau qui s’opacifie avec les petits soucis chinois, de quoi tempérer les empressements du gouvernement.
Cependant, le ministre des finances y a vu quelques points positifs. Si vous aviez 39° de fièvre il y a 10 jours, que vous avez toujours 39° de fièvre aujourd’hui et que votre médecin vous dit « J’y vois des points positifs » c’est qu’il a probablement entre les mains des analyses sanguines présentant des indicateurs prometteurs.
0% alors que les planètes sont alignées et mieux encore
On a souvent parlé de l’alignement des planètes, belle expression des élans métaphoriques de nos politiciens, une conjoncture assez rare dans notre histoire économique, tout aussi rare qu’un véritable alignement planétaire du système solaire, mieux réglé que nos économies tourmentées. Pour mémoire, il s’agissait au minimum d’un quadruplet : « baisse de l’euro », « baisse du prix du pétrole », « taux d’intérêts très bas », « politique monétaire accommodante (autrement dit, planche à billets) ». Au-delà de cette inattendue conjonction, déjà en place depuis un certain temps, regardons l’ensemble de la combinatoire qui devrait (ou aurait dû) assurer le retour de la croissance en France:
- Le pacte de responsabilité. Cela fait longtemps qu’il est à la une de l’actualité. Ce pacte permet de réduire les charges des entreprises, de leur simplifier la vie, de réduire le coût du travail, bref, de les rendre plus compétitives et créer les conditions à une reprise de l’emploi. Que du bonheur ! Ah, j’allais oublier qu’il recrée de la confiance, élément indispensable pour relancer une dynamique perdue. Mais pourquoi n’a-t-il pas encore produit de vrais effets ?
- Taux d'intérêts très bas. On n’a jamais vu dans l’histoire économique des taux d’intérêts aussi bas. Ils sont même devenus négatifs pour des emprunts d’état de court ou moyen terme. Il faut donc parfois payer pour prêter son argent à l’état (oui, le monde marche sur la tête !). Les taux historiquement bas, censés favoriser l’investissement (y compris pour les ménages), auraient dû relancer la croissance …
- Politique monétaire très accommodante. Que veut dire cette expression ? Tout simplement, une politique de banque centrale (la BCE) peu restrictive, qui positionne ses taux directeurs très bas, proches de 0%, souvent accompagnée d’injections massives de liquidités sous des formes différentes (refinancements courts termes, rachats d’actifs, …). La planche à billets tourne à plein régime en ce moment, car la BCE et les banques centrales nationales vont racheter jusqu’à 1140 milliards d’euros d’actifs d’ici septembre 2016, au minimum. Rien que cela ! Mais où va donc cet argent créé ex-nihilo, par simples écritures comptables ? Ces masses de liquidités tombées du ciel et canalisées vers les banques en contrepartie des actifs vendus, sont théoriquement dévolues à l’économie réelle, et devrait par conséquent favoriser la croissance …
- Déficit budgétaire important. Le déficit de cette année est programmé à 3.8%. Bon, tout le monde le sait, y compris les plus mauvais prévisionnistes, l’objectif ne sera pas tenu. Bruxelles ne sera pas très content, car toujours pas de régime en perspective pour notre petite dette bien grassouillette ! Un déficit peut être vu comme une forme de création monétaire, puisqu’on emprunte de l’argent à l’étranger (flux entrant gonflant la masse monétaire locale). Là encore, cela devrait favoriser la croissance …
- Baisse de l’Euro. L’Euro a beaucoup baissé ces derniers mois. Rappelez-vous, il était à plus de 1,38 dollar en avril 2014 et 1,32 dollar il y a juste un an. On nous a répété 1000 fois que c’était bon pour nos exportations, donc bienfaisant pour la croissance …
- Le pétrole pas cher et matières premières en baisse. Oui le pétrole est bon marché, car il faut se souvenir de son prix au milieu de l’année 2014 : 100 à 110 dollars le baril ; autour de 40 dollars aujourd’hui. Une véritable aubaine pour les ménages et les entreprises. Cela devrait renforcer les marges des entreprises, faciliter le financement des investissements, et donc relancer la croissance …
- Aide aux ménages par des baisses d'impôts. L’état a accordé des baisses d’impôts aux ménages les plus modestes en vue de leur donner un peu plus de pouvoir d’achat. Cela aurait dû être bénéfique à la consommation intérieure, et donc soutenir la croissance …
- Emplois aidés en masse. Les emplois aidés sont largement subventionnés, atteignant parfois la gratuité quand on additionne différentes aides. Des emplois gratuits devraient aider nos collectivités et nos entreprises, apporter une valeur ajoutée (comptabilisée évidemment dans le PIB), donc être avantageux pour la croissance …
Bon, j’arrête là ma fastidieuse énumération. Je conclus simplement en disant : « heureusement que nous avons autant de facteurs positifs, car que serait la croissance en France si tous ces facteurs étaient inversés ?! »
Pas de chance, la Chine s’essouffle
Mais depuis l’annonce de la croissance du 2ème trimestre, les évènements mondiaux se sont accélérés. La bourse de Shanghai a perdu plus de 30% en quelques semaines, la réalité chinoise est déphasée par rapport aux discours officiels, réveillant ces derniers jours les inquiétudes entretenues sur une improbable croissance.
Il n’est peut-être pas inutile de rappeler qu’aucun système naturel sur terre ou construit de la main de l’homme ne peut supporter une croissance exponentielle très longtemps. Par « très longtemps » j’entends « quelques décennies ». Puisque la Chine fait l’actualité, il est intéressant de revenir sur quelques ordres de grandeur. Pouvait-elle supporter durablement une croissance qui s’est maintenue entre 8 et 15% depuis 1990. Une croissance moyenne de 10% tenue 25 ans multiplie la production de biens et services par 10,8 (à 15% on est à un facteur 33) !
Les chiffres parlent d’eux-mêmes, traduisant l’impossibilité de tenir de tels niveaux de croissance pendant 30 ou 40 ans. Aujourd’hui, elle affiche officiellement un tout petit 7% (si tant est que les chiffres officiels soient les bons!). A ce rythme, le niveau de l’activité économique est multiplié sur la même période par 5,4. C’est à peine plus réaliste, mais croître pour qui, croître pour quoi ? Ce serait tout simplement insoutenable, car lourd de conséquences pour le peuple lui-même, pour un pays déjà lourdement atteint sur le plan écologique, et bien entendu pour le bien-être de la planète. Insoutenable encore pour des raisons purement physiques, techniques, et qui tiennent aussi en partie aux comportements des économies soumises à des croissances trop fortes, propices à des divergences, des déséquilibres, des impulsions dangereuses (par exemple les injonctions massives de liquidités, bulles immobilières, bulles boursières, endettement endiablé) et donc au final à des ruptures.
Donc, rien d’étonnant à ce ralentissement ; il était tout simplement prévisible. Il est inutile de convoquer les équations du 3ème degré pour analyser les potentialités propres à chaque pays, mais juste la diabolique fonction exponentielle qui a elle seule nous chuchote les possibilités de croissance de notre monde et de la France en particulier.
La France peut-elle encore y croire ?
J’ai déjà beaucoup écrit sur la croissance, en analysant les limites structurelles et physiques qui font qu’une économie mature a beaucoup de mal a retrouver les rythmes du passé. Mais au-delà de la maturité, il y a aussi l’endettement excessif qui a permis ces dernières années d’apporter l’oxygène à des économies en état d’hypoxie. Seulement voilà, tout a un prix ; les dettes astronomiques à l’échelle européenne constituent de vrais boulets, même si les taux participent aujourd’hui à une baisse du service de la dette (montant des intérêts).
A cela s’ajoute aujourd’hui les inquiétudes sur la croissance mondiale. Certains économistes évaluent la croissance chinoise à 2 ou 3%, plombant évidemment les prévisions sur la croissance du monde. Comment imaginer que la France ne soit pas impactée, comme si nous étions débranché des interconnexions planétaires, comme si le monde avait abandonné son caractère systémique? Ajoutons que la brutalité de l’éclatement des bulles, en Chine ou ailleurs, amplifie les phénomènes de dépression et rendent les adaptations très difficiles.
Le gouvernement reste optimiste …
Est-il envisageable que la croissance française revienne à 2 ou 3 % pour les prochaines décennies, un niveau requis pour résorber significativement le chômage et épurer nos augustes dettes? S’il s’agit d’une croissance en volume, je crains que non, et si tel est le souhait de nos dirigeants, il leur faudra être très inventifs à la conférence climat ou faire preuve d’une grande hypocrisie.
Pour toutes les raisons évoquées, il faudra probablement se contenter d’une faible croissance pendant encore des années. Si la Chine faiblit, si la croissance mondiale ralentit, comment pourrions-nous accélérer ? Si le désendettement s’impose rapidement comme une urgence, impliquant une régression de la masse monétaire, réveillant les forces récessives, comment pourrions-nous accélérer ?
Le gouvernement reste très optimiste pour 2016, avec une prévision de croissance de 1,5 à 1,7%. Malheureusement, l’inertie de notre économie toujours en retard sur les phases de reprise, le réveil tardif après le gros roupillon post-électoral, risquent de faire face à une nouvelle crise, prête à frapper à nos portes inopportunément.