Chevalgate : Quand on achète un plat de lasagnes surgelées, on achète le monde qui va avec

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Par Bruno Parmentier Modifié le 20 février 2013 à 14h12

Quand on achète une lasagne surgelée, on achète le monde qui va avec !

On veut travailler mari et femme, et se faire à manger le soir en rentrant du boulot en moins de 10 minutes, alors on achète Findus-Carrefour, qui travaillent à notre place. Si on veut de « bonnes lasagnes », rien ne nous empêche d’aller chez notre boucher lui faire hacher un bon morceau de beefsteak bien tracé en provenance du paysan du coin, puis au magasin bio acheter de la farine, du lait, du beurre et du fromage, et de puiser dans les conserves de sauce tomate que l’on a confectionnées avec amour en août dernier, afin de les cuisiner soi-même (préparation 45 mn, cuisson 30 mn) !

On veut manger au diner un plat à base de viande (alors qu’on en a déjà mangé à la cantine à midi !) et on veut que ça nous coûte moins de 3 € par personne, soit ! Mais alors il ne faut pas se plaindre si l’usine qui confectionne des centaines de tonnes de produits congelés fait des appels d’offre européens, voire mondiaux pour serrer les prix de ses ingrédients, et rafle les bas morceaux d’un peu partout ! Ce qu’on a choisi d’acheter, ça s’appelle de la mondialisation.

Dans le même temps, l’élevage européen est pris entre trois feux. D’une part le renchérissement, maintenant quasi permanent, du prix des céréales et du soja, alors même qu’il a largement cessé de produire ses aliments lui-même ; D’autre part ses coûts salariaux, dans ce qui est devenu une industrie de transformation, sont largement au-dessus de ceux des pays producteurs des matières premières (en particulier le Brésil), et même en France bien au-dessus de ceux de l’Allemagne, qui n’hésite pas à faire travailler des bulgares au prix de la Bulgarie. Et enfin la grande distribution continue à exercer des pressions énormes pour maintenir des prix d’achat au plus bas. Toute la chaine éleveurs-transformateurs est donc « limite », ce qui évidemment induit certains acteurs moins scrupuleux à franchir les limites éthiques et légales.

Les étiquettes ne nous protègent pas contre les escrocs

A l’occasion de ce scandale, comme après les précédents, on réclame plus de traçabilité, et des étiquettes qui détaillent par le menu la provenance des différents ingrédients (étiquettes que nous ne lirons jamais bien sûr !). Pourquoi pas naturellement, mais déjà ça coûtera au final un peu plus cher, il faut savoir ce qu’on veut. Et surtout ça ne nous protégera pas des escrocs. Il y avait bien une étiquette qui disait « pur viande de bœuf » sur ces lasagnes. Aucun escroc n’imprimera son forfait sur l’étiquette bien entendu. Les espagnols qui avaient rallongé des huiles alimentaires avec des huiles de vidange ne l’avaient pas plus écrit sur l’étiquette que les chinois qui avaient mis de la mélanine dans les laits maternisés !

Pour nous protéger contre les fraudeurs, ce n’est donc pas seulement d’étiquettes dont on a besoin, mais de policiers. Alors regonflons notre corps de « policiers alimentaires » qui avait été dégonflé sous la présidence Sarkozy, et demandons leur de faire un gros effort d’imagination pour contrôler les escrocs à la mode d’hier, mais aussi ceux de la mode de demain. Ceux qui ont contrôlé qu’il n’y avait pas de bactéries pathogènes dans les lasagnes n’avaient pas anticipé qu’il pouvait aussi y avoir de la viande de cheval à la place de la viande de bœuf, et n’avaient pas fait de tests génétiques. Bientôt il faudra encore d’autres tests, l’imagination des escrocs n’ayant pas de limite.

Alors, mettons davantage d’étiquettes bien entendu, c’est « dans le sens de l’histoire » et ça nous rassurera, mais formons et embauchons des policiers également pour nous protéger ! Et payons-nous tout cela dans le caddie du supermarché, ou via nos impôts…

Servir les demandes d’aujourd’hui, mais sans ignorer les « valeurs montantes » culturelles

Nous sommes quand même un peu inconsistants : par oral, c’est assez simple, nous voulons de la « bonne » nourriture, triplement labellisée bio, locale et équitable (en en plus goûteuse, sûre, traçable, hallal, casher, naturelle, énergétique, belle, abordable, simple, pratique, rapide, diététique, équilibrée, variée, traditionnelle, moderne, exotique, etc.) ! Mais, rendus au supermarché, nous voulons d’abord du pas cher et du vite fait ; vive le surgelé, les plats tous faits et les barres chocolatées, et bravo aux quatre barquettes pour le prix de trois !

Du coup l’agro-industrie et la grande distribution nous servent évidemment du « pas cher vite fait », et ça marche, ils en vivent assez bien, et en rajoutent avec force publicités agressives. Mais ils gagneraient également à faire attention aux valeurs montantes ; d’accord en matière de bio, nous sommes, comme dans d’autres domaines, « croyants mais pas pratiquants » et, malgré une croissance notable de ces produits, nous ne mangeons actuellement que 3 % de bio ! De même le local, ça nous fait plaisir de temps en temps, mais ne représente en fait qu’une toute petite partie de notre assiette. Et ne parlons pas du commerce « équitable » qui, lui, n’arrive même pas à 1 % de nos dépenses alimentaires, malgré notre sympathie affichée pour le bon Max Havelaar.

Mais on aurait tort de mépriser ces formes de consommation actuellement économiquement marginales, car si elles représentent peu du point de vue économique, elles ont gagné la bataille culturelle, et alimentent en fait 70 % de nos conversations. Le bio, le local et l’équitable (plus le hallal), ça sert surtout à nous faire réfléchir sur le sens de notre alimentation, dans une société à la dérive. Alors, quand à trop vouloir faire « pas cher vite fait » on oublie ce puissant mouvement culturel, on se « ramasse » à la première crise car les citoyens ne nous la pardonnent pas. Il est fort à parier que les salariés de Spanghero auront beaucoup de mal à trouver des solidarités pour sauver leurs emplois…

Depuis que le cheval a « changé de sexe », on ne le mange plus

À la fin du xxe siècle, en quelques années, le cheval est passé de la représentation d’animal « pour homme accompli », viril et associé aux valeurs aristocratiques, militaires, machistes et misogynes, à un animal « pour jeunes filles bourgeoises ». Actuellement près de 80 % des licenciés d’équitation sont des femmes et les deux tiers ont moins de 25 ans. On a donc abandonné les anciens dogmes de dressage par domination et de soumission au profit de la persuasion et de la communication, car les femmes n’entretiennent pas les mêmes rapports avec les chevaux. Les hommes qui montaient les chevaux s’en occupaient peu (il y avait des palefreniers pour cela) ; les femmes cavalières, elles, vivent avec le cheval et prennent plaisir à cette sorte de maternage qui consiste à préparer leur monture et à la panser longuement après le travail.

Avant, on mangeait donc du cheval pour s’approprier symboliquement sa force et sa capacité à franchir les obstacles, maintenant les boucheries chevalines ont fermé (à peine 300 grammes de consommation de viande de cheval par français et par an). On ne mange plus de cheval, animal de compagnie, notre ami, et bientôt on ne le montera presque plus : les nombreux vieux chevaux en retraite, on se contentera de les caresser et de leur parler.

D’où ce tabou que l’on redécouvre à l’occasion de cette crise : pas de cheval dans mon assiette ; pas de chien ni de chat non plus, et bientôt plus de lapin ! On ne mange pas ses amis, c’est presque de l’anthropophagie. Si on avait découvert du mouton dans nos lasagnes, l’émotion n’aurait pas été aussi forte, mais du cheval, c’est une vraie faute de goût, et qu’auraient dit les musulmans si ça avait été du porc !

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Bruno Parmentier, Ingénieur des mines et économiste, est l'ancien directeur (de 2002 à 2011) de l’ESA (École supérieure d'agricultures d'Angers). Il est actuellement consultant et conférencier sur les questions agricoles, alimentaires et de développement durable.  Il a publié "Nourrir l'humanité"  et « Faim zéro » (éditions La Découverte), "Manger tous et bien » (Editions du Seuil), « Agriculture, alimentation et réchauffement climatique » (publication libre sur Internet) et « Bien se loger pour mieux vieillir » (Editions Eres) ; il tient le blog "Nourrir Manger" et la chaîne You Tube du même nom. Il est également président  du CNAM des Pays de la Loire, de Soliha du Maine et Loire, et du Comité de contrôle de Demain la Terre, et administrateur de la Fondation pour l’enfance.

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