Chevalgate : arrêtons les clichés sur la Roumanie !

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Par Alexandre Lenoir Modifié le 18 février 2013 à 16h21

Je ne connais rien à l'industrie agroalimentaire, rien à la Roumanie et pas grand chose au cheval. Je ne revendique donc pas le statut d'expert sur ces questions. J'ignore aussi si ce sont des Roumains ou d'autres voyous qui ont délibérément choisi de faire passer de la viande de cheval pour du bœuf, peut-être qu'un jour une enquête parviendra à le dire. Si seulement il n'avait pas été question un jour de ne pas obliger les industriels à mentionner l'origine de la viande contenue dans les produits manufacturés, peut-être n'en serions nous pas là aujourd'hui.

J'ai lu avec attention la tribune de M. Jean-Marc Sylvestre publiée sur son blog et reprise par Économie Matin le 12 février. Je passerai sur le paragraphe pour le moins méprisant sur M. le ministre Guillaume Garot. Je ferai de même sur la réalité du scandale qui ne tient effectivement pas de l'alerte sanitaire mais d'une escroquerie en bande organisée, probablement de type mafieux. Pas plus que sur Findus qui pourrait hélas en payer le prix, c'est une possibilité parmi d'autres.

Ce qui m'attriste et qui m'oblige à réagir, c'est la troisième partie, la troisième chose "qu'on a oublié de [nous] dire", pour reprendre le titre de la chronique. Pour M. Sylvestre, les choses sont entendues avant même les résultats de l'enquête : cette viande de cheval vient de Roumanie et il nous démontre pourquoi. Pour résumer, les Roumains possédaient "des millions de chevaux, presque autant que de roumains. Chaque roumain avait son cheval." On a bien sûr tous en tête des images des campagnes roumaines, avec ces petits vieux, ou du moins paraissent-ils l'être, édentés, le séant posé au bord d'une charrette tirée par un cheval avec, en fond, une vieille mobylette et, au loin, une Dacia construite sur base de Renault 12 soulevant la poussière d'un chemin non bitumé.

Et puis le Roumain s'est libéré du joug totalitaire. Et puis il y a eu l'Europe. Grâce aux sous de l'homme occidental, le Roumain a pu goudronner ses routes. Les charrettes, les mobylettes et les automobiles soulevaient moins de poussière, mais le cheval dominait toujours. Pensez donc, un cannasson par tête de pipe, ce qui fait dans les 20 millions de bourrins. On ne s'en débarrasse pas comme ça. Mais pourtant, un beau jour, la Roumanie a dit stop. "On arrête le crottin qui embaume nos campagnes ! Plus de chevaux sur nos routes, nous sommes la risée des journalistes économiques de l'Europe de l'Ouest. Bref, du balais les charrettes, place au Renault Logan pour tous. Et vos chevaux, eh bien faites en ce que vous voulez. Envoyez les à l'abattoir, mangez-les, vendez-les pour du bœuf." C'est un raccourci, bien sûr, mais c'est comme cela que M. Jean-Marc Sylvestre nous raconte les choses car évidemment, c'est comme cela qu'elles se sont passées. Sauf qu'il y a comme un petit problème…

Je ne connais rien au cheval, disais-je, ni même grand chose à la Roumanie. Mais comme M. Sylvestre, je suis journaliste et par chance j'ai un cerveau que j'essaye faire fonctionner pour me figurer un peu les choses dans l'espace et le temps. Alors je me suis renseigné. La Roumanie est un petit territoire, à peine la moitié de la France, de 240 000 km2 environ. Elle compte 23,5 millions d'habitants, soit une densité moyenne de 91 habitants au km2. La France, avec 550 000 km2, possède une densité d'environ 118 habitants au km2. Ce n'est donc pas très différent. La France a en commun avec la Roumanie, outre ses racines latines et sans doute bien d'autres choses, une surface rurale très importante et une économie très liée à l'agriculture.

Selon Jean-Marc Sylvestre, il y aurait eu en Roumanie à peu près un cheval par habitant. À ce stade, il faut se figurer ce qu'est un cheval. En tout cas, c'est ce que j'ai fait. Un animal d'environ 500 kilos qu'il faut nourrir quotidiennement avec 12 litres de céréales et une bonne dizaine de kilos de fourrage. Sans oublier 20 à 60 litres d'eau. C'est comme ça un cheval. On peut lui donner moins, mais si on veut lui faire tirer des charrettes, pas question de trop le rationner. Et puis c'est un animal fragile, qui nécessite de nombreuses attentions et qui, par dessus le marché, a besoin de place pour évoluer. Bref, un animal encombrant et qui coûte cher. D'ailleurs, imaginons un instant qu'en France, on possède un cheval par habitant. On ne pourrait simplement pas lever l'œil dans la campagne sans tomber sur un troupeau de chevaux. Il y aurait bien plus de chevaux que d'automobiles (deux fois plus à vrai dire, nous comptons 38 millions de véhicules sur notre territoire), ce qui peut vous donner une idée de la quantité et de l'encombrement que cela peut représenter.

En Roumanie en revanche, on compte un peu moins de 200 automobiles pour 1000 habitants. En 1990, 2,2 millions de voitures roulaient en Roumanie. En 2007, ce chiffre avait doublé : 4,5 millions d'automobiles évoluaient sur les routes fraichement bitumées par les subventions européennes, directement puisées dans nos poches, et celles de M. Sylvestre, bien entendu.

Ainsi, en Roumanie, il y aurait eu des chevaux partout, à ne plus savoir quoi en faire ? La réalité est bien différente. Et franchement, les Roumains auraient les moyens d'entretenir un cheval par habitant, en l'on en n'aurait rien su ? Comment est-ce possible ? L'information n'est pas facile à trouver, j'en conviens, et j'ai du me bagarrer avec Google pendant disons… trente minutes. Trente minutes à trouver les bons mots clés pour extirper une statistique sur le nombre de chevaux en Roumanie. Elle n'est certes pas très récente, mais cela renforce d'autant la démonstration : en 1995, à peine sortie de l'ère Ceaucescu, selon un document intitulé "Rumäniens Pferde" et publié sur le site de l'ESSA (Europen State Studs), la Roumanie comptait… 750 000 chevaux. Pas 7 millions, pas 23 millions, pas un par habitant… 750 000. Soit à peine 32 chevaux pour 1000 habitants. Certes, les statistiques admettent parfois une marge d'erreur, mais vous conviendrez que de 32 pour 1000 à 1 pour 1, il y a une légère différence.

Pour la petite histoire, nos haras nationaux nous apprennent que, avec 900 000 équidés recensés, la France est, en Europe, la troisième nation pour le nombre d'équidés. Pas derrière la Roumanie, mais derrière la Grande-Bretagne (950 000) et l'Allemagne (1 million). Et le territoire sur lequel on trouve le plus de chevaux par habitants en Europe serait l'Irlande.

Toujours pour la petite histoire, le cheval n'est pas plus consommé en France qu'en Roumanie. Cela n'a rien à voir avec l'économie : c'est culturel.

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Alexandre Lenoir est journaliste. Après une maîtrise de l'Institut Français de Presse (Paris) obtenue en 1994, il rejoint le groupe Pressimage (édition de magazine, presse nouvelles technologies) en janvier 1995. Depuis septembre 2004, il travaille en tant que journaliste indépendant, spécialisé dans les nouvelles technologies et l'automobile.

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