Rachat des chantiers navals de Saint-Nazaire : deux favoris, des enjeux multiples

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Par Matthieu Lambert Modifié le 3 octobre 2016 à 10h20
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cc/pixabay - © Economie Matin
12 MILLIARDS €Le carnet de commandes des chantiers navals de Saint-Nazaire a atteint les 12 milliards d'euros.

Saint-Nazaire, fleuron industriel français cherche repreneur. Carnets de commandes pleins jusqu'en 2026 (14 paquebots, pour une valeur de 12 milliards d'euros). 2 600 salariés, 4 000 sous-traitants. Minorité de blocage détenue par l'Etat français (33,34%). Faire offre... Si la bataille pour racheter les chantiers navals de Saint-Nazaire, passés sous la bannière coréenne de l'entreprise STX en 2008, rencontre moins d'écho médiatique que celle qui se joue autour d'Alstom, elle n'en recouvre pas moins une complexe intrication d'enjeux industriels, économiques, sociaux et politiques, qu'il s'agit d'avoir en tête pour mesurer l'importance de la décision qui sera bientôt prise.

Plusieurs options sont sur la table quant à l'identité du futur repreneur, alors que la maison mère coréenne, lourdement endettée, a affiché son intention de conclure la vente d'ici à la fin de l'année 2016. Tandis que le secteur de la croisière explose, avec 24 millions de passagers cette année (+80% en douze ans) et que les taux d'intérêts sont faibles, c'est le moment d'aller vite. En lice pour racheter les parts des anciens Chantiers de l'Atlantique détenues par STX, le néerlandais Damen s'oppose à l'italien Fincantieri - on parle également d'un repreneur chinois, le spécialiste des croisières Genting, basé à Hong-Kong, dont les chances semblent cependant minces.

Dans un dossier où la plupart des coups sont lancés depuis les coulisses, les rumeurs vont bon train et brouillent les cartes. Une analyse rationnelle des dossiers respectifs des deux favoris permet cependant de se faire une idée précise de ce qu'ils ont à offrir, et des implications que ces offres sous-tendent.

Damen, des inquiétudes dans la défense navale

A la tête de 6 000 salariés et de 32 chantiers dans le monde, le néerlandais Damen est spécialisé dans la construction de navires de guerre, de porte-conteneurs et de yachts. Quasi-absent du secteur de la croisière, qu'il connait peu, Damen a pourtant déjà marqué les esprits français, et notamment ceux de DCNS, contre qui il était opposé dans l'appel d'offres visant à fournir des frégates militaires à l'Egypte. Malgré la stratégie particulièrement agressive du néerlandais, c'est l'offre française qui avait été préférée au Caire.

Quoiqu'il en soit, le rachat de STX France par Damen reviendrait à renforcer la position d'un concurrent direct du fleuron français des navires militaires. Sans parler du fait que STX et DCNS coopèrent de longue date sur des missions telles que le maintien en capacité opérationnelle de plusieurs navires de guerre français, ou la construction de bâtiments de projection et de commandement (BPC) de la marine française. Autant dire que son éventuelle arrivée à Saint-Nazaire serait source d’inévitables frictions commerciales et géopolitiques. Enfin, le constructeur néerlandais possède déjà deux implantations en France, à Dunkerque et à Brest, spécialisées dans la réparation navale. S'il s'emparait des chantiers de STX, Damen se retrouverait en position dominante dans l'Hexagone.

Fincantieri, un accès aux marchés en expansion

Déjà intéressé par Saint-Nazaire en 2014, Fincantieri n'avait pas réussi à faire aboutir son offre. Avec ses 21 000 salariés, le géant italien de la construction, qui doit livrer pas moins de vingt paquebots en six ans et se sent un peu à l'étroit au sein de ses chantiers transalpins, se verrait bien réitérer en 2016, et l'emporter cette fois. Numéro 1 mondial, il conforterait, en intégrant les chantiers français, sa position de leader. Au-delà de sa taille et de ses capacités industrielles, Fincantieri se distingue de son concurrent néerlandais par sa structure et la complémentarité de ses activités avec celles de STX France. Alors que Damen est une entreprise familiale, l'actionnariat de l'Italien est composé d'entreprises d'Etat et par l'Etat italien lui-même. Un modèle qui se rapproche de celui de STX.

Les syndicats français de STX, tout comme une partie des élus locaux des Pays de la Loire, s'inquiètent de ce que Fincantieri ait monté une joint-venture avec le groupe chinois CSSC, afin de faire construire des paquebots en Chine. Leurs craintes, légitimes, se portent sur un éventuel pillage des savoir-faire par les Asiatiques. Mais c'est oublier un peu vite ce que le marché asiatique recèle comme opportunités de croissance. Véritable eldorado, le marché chinois de la croisière rayonne jusqu'au Japon, la Corée du Sud, Singapour, Taiwan ou encore les Philippines. Selon les autorités chinoises, la croissance du marché national est de 33% par an, ce qui devrait en faire le second marché au monde, derrière les Etats-Unis. Alors que les croisiéristes chinois ne représentent, en 2015, « que » 4,5 millions de passagers – contre 6,5 millions en Europe et 13 millions aux Etats-Unis –, certaines estimations tablent sur plus de 80 millions de passagers chinois par an à terme.

En tout état de cause, les chantiers européens seront dans l'incapacité de répondre à une telle demande, et une partie des navires de luxe de demain devra être construite en Chine. Ceci admis, il importe néanmoins que les chantiers navals de Saint-Nazaire décrochent le maximum de commandes possible. Comment ? En comptant sur un repreneur d'expérience. Dans cette optique, une alliance entre le numéro 1 mondial, Fincantieri et le numéro 3, STX France, ne serait pas de trop pour absorber une partie substantielle de la forte croissance du marché des croisières.

Quel que soit le repreneur, l'ensemble des acteurs locaux et nationaux français s'accordent sur la nécessité de compter sur un « industriel pivot » autour de la table. Les chantiers de Saint-Nazaire ont besoin de nouveaux investissements et de recevoir les moyens de leur développement et de leur diversification. Comme l'analyse Paul Touret, directeur de l'Institut supérieur d'économie maritime (Isemar), « trouver un actionnaire solide pour avoir un capital stable est une chose. Asseoir une stratégie industrielle à long terme en est une autre ».

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Conseiller en restructuration chez VisionCorp Après diverses expériences dans des établissements bancaires en France et aux Etats-Unis, ainsi qu'un master de Finances à Bordeaux, Matthieu Lambert s'est lancé dans le conseil en restructuration d'entreprises chez FRTI, un fonds d'investissements privé. Pendant 17 ans, il est acteur opérationnel de retournement au sein de différentes cellules de crise et mettra en place des plans de redressement pour des entreprises de tous les secteurs. Depuis 2012, Matthieu Lambert est à son compte et travaille aussi bien pour de grands groupes que pour les start ups.

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