L’Europe a changé. Elle a même beaucoup changé. Vécue pendant des années comme une chance, elle est désormais regardée par certains, non avec les yeux de Chimène, mais avec un regard soit de rejet, soit d’incompréhension. On pourra gloser des jours entiers sur les responsabilités des uns et des autres mais l’heure n’est peut-être pas à pleurer sur le lait renversé, mais plus à agir.
L’Europe de la paix, les jeunes ne l’appréhendent plus. L’Europe sociale n’existe pas car ce sont les Etats qui ont la main "protectrice". L’Europe culturelle n’est qu’une Europe de voyages, facilités, pour telle exposition ou tel évènement. Il n’y a pas d’action culturelle collective et citoyenne européenne.
L’Europe de l’Euro est interprétée comme un passeport pour ne pas être ennuyé à Rome, à Varsovie ou à Athènes. L’Europe agricole, à force d’être tatillonne, se complaît dans la complication.
Et les votes s’engouffrent dans tout cela avec l’ardeur des premiers jours. Jeunes, ouvriers, ruraux,...mettent un bulletin de vote de sanction sans scrupule, mais au moins ont-ils voté, eux ; et les autres qu'ont-ils voulu exprimer par leur abstention ? Bien sûr, il faudra des analyses qualitatives pour savoir qui vote quoi et pourquoi. Mais le temps n’explique ni n’efface pas tout.
La France s’est pris une claque. On peut soupçonner que quand nos concitoyens veulent plus et mieux d’Europe, ils veulent plus et mieux de France. Le sentiment est donc partagé sans savoir au fond qui fait quoi. L’Union Européenne n’a pas de visage donc pas de sensibilité aux yeux de ses 507 millions d’habitants et ses frontières sont parfois réduites au spectacle désolant de Lampedusa.
Il nous faut remettre l’Europe en marche avec des éléments concrets puisque la parole des hommes n’est plus suffisante et l’espoir pas assez fort.
Les Européens ont besoin de preuves au quotidien ; non de chiffres abstraits même s’ils rassurent les marchés et les gouvernants.
La technocratie ne doit plus être un art de gouverner et de confisquer le pouvoir, mais redevenir le simple bras armé de décisions réellement politiques.
Martin Schultz ou Jean-Claude Junker. Voilà le vrai-faux débat qui nous a occupé pendant la campagne. Il ne peut pourtant être résumé à cela. Social-libéral, libéral et social, les citoyens veulent un programme avec application concrète et directe dans leur vie. Rien de plus. Rien de moins. Ils sont comme les paysans. Ils souhaitent de la lisibilité et de l’efficacité, du sens.
La guerre est loin et son souvenir s’émousse dans les esprits. Jean Monnet et Robert Schuman ont leur place dans les livres d’histoire, nous leur témoignons respect et admiration. Passons à autre chose.
Nous-mêmes, parfois, critiquons l’Europe, comme une facilité, c'est tellement commode. Voilà quelques réalités même si elles sont tristes à entendre ou à écrire. Quelquefois également, nous expliquons que l’Europe est le seul rempart face à une Russie en habits guerriers, face à une Chine qui rachète et achète nos usines, face à des Etats-Unis obsédés par leur confort et qui n’ont plus le sentiment "mondial" et enfin face à des pays émergents qui, avec leur devise, regardent l’Europe comme un vieux continent, convoité pour ses consommateurs.
L’Europe ne serait donc que le miroir de nos peurs. Mais où est l’espérance alors ? On naît Européen mais on se sent Français. Il est temps de rebattre les cartes. Économie, protection sociale, monnaie, commerce, fiscalité, énergie, mais aussi traditions, culture, éducation... Oui nous avons besoin de mieux d'Europe. Mais pas sans la culture.
Nous devons réhumaniser et réincarner l’Europe pour qu’elle rentre dans nos vies. C’est la seule condition pour échapper aux extrêmes de toutes sortes. La crise économique de 2009 ne cesse de nous frustrer et de nous culpabiliser. Elle a fait des ravages. Nos peurs se sont transformées en agressivité, parfois en haines. Nos atermoiements se transforment en renoncements.
Balayons la tristesse des résultats et relevons les manches. Derrière les ricanements de ceux qui veulent détruire l'Europe et les béats-européistes, il y a une voie, celle du courage. Il y a un chemin, celui du possible. Il y a une conviction, celle de la prospérité.