Le système monétaire mondial est incohérent, de l’aveu de ceux qui le pilotent à la Fed et au FMI. Il va s’effondrer, mais par quoi sera-t-il remplacé ?
Lors de mes interventions, l’une des questions les plus récurrentes concerne ce que je pense du timing et de la nature du reset monétaire mondial, la remise à zéro du système. Lorsque les gens en débattent, je sais qu’ils font référence à quelque chose de bien plus profond qu’un cycle économique ou qu’un krach de marché de plus. Les cycles et krachs se produisent tous les cinq ans. Un reset monétaire mondial est différent. Un véritable reset monétaire mondial se produit plutôt tous les 30 ou 40 ans. Il n’y en a eu que trois, au cours du XXe siècle : 1914, 1944 et 1971. Celui de 1914 s’est produit au moment où les nations ont abandonné l’or dans le contexte de la Première Guerre mondiale. Le reset monétaire mondial de 1944 a eu lieu au moment où les nations ont rétabli l’étalon-or, lors de la Conférence de Bretton Woods. Le reset monétaire mondial de 1971 s’est produit quand les Etats-Unis ont abandonné l’étalon-or de Bretton Woods et que le monde est passé aux monnaies fiduciaires et aux taux de change flottants.
Jusqu’à présent, au XXIe siècle, aucun reset monétaire n’a eu lieu. Si l’on se base sur le rythme auquel se sont produits les trois resets monétaires sur une période de 105 ans débutant en 1914, alors cela donne un reset monétaire mondial tous les 35 ans. Il s’est écoulé 47 ans depuis le dernier. En se fondant sur ces seules statistiques, il n’est pas farfelu de se dire qu’un reset monétaire mondial aurait déjà dû se produire.
« Incohérent » selon Bernanke et Lipsky
Dire qu’aucun reset monétaire mondial ne va se produire, c’est dire en quelque sorte que les élites mondiales ont atteint un nirvana monétaire perpétuel. Il n’y a rien de plus faux. Aujourd’hui, le système monétaire international est un patchwork composé de taux de change flottants, de pegs stricts, de pegs flottants, de guerres des devises, de libre circulation ou de contrôle des capitaux, et d’une monnaie mondiale qui attend en coulisse. Il n’est arrimé à rien. Il est incohérent. L’adjectif « incohérent » n’est pas de moi. Il a été employé aussi bien par l’ex-président de la Fed, Ben Bernanke, que par John Lipsky, ex-directeur du FMI, lors de deux entretiens bien distincts que j’ai eus avec eux. J’ai discuté avec Ben Bernanke à Séoul, en Corée du Sud, le 27 mai 2015, et avec Lipsky quelques mois plus tard, à New York. Tous deux ont employé l’adjectif « incohérent » pour qualifier le système monétaire international.
Au fait, je n’ai jamais entendu l’un ou l’autre utiliser ce mot en public : nos conversations étaient privées. Je suis également sûr que l’emploi de ce mot n’a pas été formulé uniquement à mon intention, ni qu’il s’agit d’une coïncidence. Le fait que deux membres éminents de l’élite monétaire mondiale aient employé exactement le même mot montre que cette incohérence est ressentie et que c’est un sujet évoqué dans le cercle de l’élite. Je leur ai dit que j’étais entièrement d’accord. Le système est incohérent. En prononçant le mot « incohérent », Bernanke et Lipsky voulaient dire tous les deux que le système n’est arrimé à rien, qu’il n’existe aucun point de référence, ou indicateur universellement accepté, selon lequel il est possible de juger la valeur des monnaies. On peut juger chaque monnaie par rapport à une autre, mais selon les règles actuelles, il n’existe aucun moyen de juger une monnaie, quelle qu’elle soit, par rapport à un étalon objectif.
Evidemment, ce problème de peg ou d’étalon objectif permettant d’évaluer les monnaies a été résolu il y a des siècles par l’étalon-or. Avant le XVIIe siècle, l’or et l’argent étaient des monnaies et il n’était pas nécessaire de référencer du papier-monnaie (à l’exception de certaines expériences papiers réalisées au Moyen-Age, en Chine, et qui se sont soldées par des échecs catastrophiques). Au début du XVIIe siècle, le papier-monnaie adossé à l’or, et l’or lui-même, circulaient côte à côte.
Ingénierie sociale pas à pas
Un jour, on a supprimé l’étalon-or. Cela s’est produit par étapes, entre 1914 et 1971, afin que les citoyens ordinaires le remarquent à peine. En 1914, le Royaume-Uni a maintenu l’étalon-or, mais les pièces d’or ont été fondues en lingots de 400 onces stockés dans les chambres fortes des banques. Comme il était peu pratique de se promener avec des lingots pesant 11 kg dans la poche, l’or a cessé de circuler, même s’il a continué à soutenir la valeur des monnaies depuis les chambres fortes dans lesquelles il était stocké. Ensuite, les banques commerciales ont été forcées par le législateur de remettre tout l’or qu’elles possédaient aux banques centrales. Cela s’est produit aux Etats-Unis en 1934. Avant cela, en 1933, les Etats-Unis avaient également interdit aux citoyens de détenir de l’or. Mais l’Amérique a maintenu un étalon-or avec ses partenaires commerciaux internationaux, et la Réserve fédérale était toujours tenue d’adosser la monnaie à un minimum de 40% d’or.
Cette « couverture or », telle qu’elle était nommée, a ensuite été réduite à 25% en 1945. En 1963, par décision du Congrès, les billets de banques n’ont plus été adossés à l’argent métal. En 1965, les dépôts de la Fed n’ont plus du tout été adossés à l’or, et en 1968 la couverture or a été réduite à zéro pour les billets de banque de la Fed. Enfin, en 1971, le président Nixon a mis fin à la possibilité de convertir des dollars en or, pour les partenaires commerciaux des Etats-Unis. Tout ce processus s’est déroulé sur 57 ans, de 1914 à 1971. Ce qu’il faut retenir, c’est que cela s’est produit lentement, et que les gens n’ont pratiquement rien remarqué. C’est la tactique préférée de George Soros, le « piecemeal social engineering » [NDR : « ingénierie sociale pas à pas », de Karl Popper]. Cela marche à tous les coups, si vous êtes patient.
Si les monnaies ne sont pas « adossées » à l’or, à quoi le sont-elles ?
Ni Lipsky ni Bernanke ne sont en faveur d’un retour à l’étalon-or. En fait, aucun économiste conventionnel au monde, quasiment, n’est en faveur d’un retour à l’étalon-or. Cela suscite la question suivante : si vous ne voulez pas vous servir de l’or mais que vous voulez adosser les monnaies à quelque chose, alors quel type d’arrimage proposez-vous ? C’est là que le débat s’arrête. Ceux qui critiquent l’incohérence n’ont aucune réponse au casse-tête suivant : comment inventer un point d’ancrage convenable pour le système monétaire international existant ?
Si le système reste stable indéfiniment, alors il n’est pas urgent de trouver un point d’ancrage ou une façon objective de déterminer la valeur des monnaies. Pourtant, nous avons déjà vu que le système ne va pas demeurer stable indéfiniment. En fait, le système se rompt régulièrement et nous constatons de plus en plus de signes indiquant qu’une nouvelle rupture se produit à l’heure actuelle. Nous verrons prochainement quelles sont les opinions de ces initiés sur la probabilité et la nature d’un reset monétaire mondial. Ensuite, je vous expliquerais quels sont les évènements susceptibles de déclencher ce reset monétaire mondial de façon imprévue, voire chaotique. ?
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