CASI : une mauvaise nouvelle pour les consommateurs, les industriels et la planète

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Par Pierre Garello Modifié le 13 décembre 2022 à 20h41

Par une étroite majorité, le Parlement Européen vient de voter en faveur de la prise en compte par la réglementation des effets du changement d'affectation des sols indirect (CASI dans le jargon scientifique) engendré par les cultures destinées à la fabrication de bio-carburants. Ce CASI fait l'objet d'une étude récente que j'ai publié, avec l'Université d'Aix-Marseille (*). L'objet de ce vote dans le Parlement Européen paraîtra sans doute obscur au commun des mortels aussi une petite explication du texte est-elle nécessaire.

Il y a une théorie, promu par des organisations écologiques en Europe. La théorie dit ceci - lorsqu'un agriculteur européen décide d'abandonner une culture destinée à l'alimentation des hommes ou des animaux et se lance dans la production, disons de colza, pour l'industrie des biocarburants, cela va entraîner, quelque part sur cette planète, un autre agriculteur à produire ce que notre agriculteur européen ne produit plus (il faut bien continuer à nourrir les hommes et les animaux !). Si l'on tente à présent de dresser le bilan en termes d'émission de gaz à effet de serre de l'énergie fournie par les biocarburants il faut prendre en compte les émissions liées à l'utilisation de cette énergie (par le consommateur), les émissions dues à la production de cette énergie (par l'industrie et l'agriculture) mais aussi le surcroit d'émissions que va éventuellement (selon cette théorie) engendrer le changement d'affectation des sols en un endroit non-identifié et non-identifiable de notre planète. Mais, on a un problème: cette théorie ne présente pas l'acuité scientifique qui lui permettrait d'être d'une quelconque utilité.

La politique européenne de l'énergie a pour objectif de promouvoir une énergie renouvelable et propre

C'est-à-dire, entre autre, à faibles émissions de gaz à effet de serre. A ce titre, l'Union Européenne a fortement soutenu au cours des dix dernières années la filière des bio-carburants qui sont à la fois renouvelables et propres comparés aux carburants classiques. Entre temps, de nombreuses études scientifiques ont expliqué qu'une bonne partie des résultats sur lesquels est basée la politique de l'énergie renouvelable de l'UE, tels que le calcul des émissions, était défectueuse. Certains biocarburants, comme le colza, sont en réalité moins "propre" que l'UE réclamé. Pour autant, mon étude montre que CASI n'est pas la solution. Non seulement cela rendra difficile la réalisation des objectifs de la politique européenne, mais lesfilières concernées, privées à terme du support financier de Bruxelles, ne seront plus économiquement viables alors même qu'elles auraient du embaucher 40,000 personnes supplémentaires dans les années 2014-2020 (voir l'étude citée en référence). L'agacement des acteurs de cette filière (agriculteurs, industriels, investisseurs) qui recevaient jusque là la bénédiction des autorités est facilement compréhensible.

Le contribuable européen devrait lui aussi s'inquiéter de cette décision pour au moins deux raisons. Tout d'abord un effort supplémentaire lui sera sans doute demandé afin que nous ne nous éloignions pas trop des objectifs fixés par la politique de l'énergie. Bien que la filière européenne des biocarburants soit d'ores et déjà la plus subventionnée, il faudra multiplier les aides pour que les biocarburants de seconde et troisième générations viennent combler le vide laissé par le déclin de leurs aînés (l'étude précitée avance le chiffre de 1 milliards d'euro par an pour la seule filière française). En suite, il faudra changer ses habitudes de consommation, le biodiesel étant le carburant le plus utilisé. Sans doute aussi les nouveaux carburants seront-ils plus chers d'autant que la mise en œuvre de cette réglementation sera discriminatoire et risque fort de rendre les importations (souvent moins chers et plus efficaces) plus difficiles. Mais pourrons nous au moins nous consoler à l'idée que nous ferons ainsi un petit effort pour la planète ? Rien n'est moins certain.

L'arrivée de CASI dans la réglementation ne va pas favoriser le développement d'une énergie propre et renouvelable

Pour commencer, il n'existe aucune évaluation fiable de ces effets indirects. Les évaluations existantes débouchent en effet sur des résultats divergents allant de scénarios où tous les biocarburants commercialisés à ce jour sont propres jusqu'à des scénarios où ils sont tous plus « polluants » que les carburants classiques (voir l'étude citée). De surcroît, étant donnée la nature scientifique du problème, il est fort peu probable que l'on arrive à une quelconque évaluation fiable sous peu. Cette réalité aurait du à elle seuleconduire la Commission et le Parlement à renoncer à cette nouveauté. On peut aussi redouter que la complexité et l'arbitraire de cette réglementation accroissent les coûts de production et servent une nouvelle fois de barrière aux produits importés. Enfin, ce nouveau revirement de la réglementation (si ce n'est dans ses objectifs, en tous les cas dans ses effets) fera l'effet d'une douche froide à tout ceux qui avaient basé leurs investissements sur les précédents règlements. En bref, la CASI est une erreur.

CASI est soutenu par la députée européenne française Corinne Lepage, et c'est elle qui portera la responsabilité de ces effets négatifs sur l'emploi, l'industrie, et l'environnement si l'idée est adoptée. Notre analyse des effets négatifs de CASI suggère que Mme Lepage abesoin de réfléchir à nouveau. La sécurité, la soutenabilité et la propreté de notre énergie nous concernent tous. C'est un enjeu important qui ne doit pas être traité par des réglementations changeantes et douteuses. Ce dont nous avons besoin c'est d'un environnement réglementaire simple et stable qui invite les investisseurs à se lancer dans ce passionnant défi. Avec CASI nous n'en prenons pas le chemin.

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Pierre Garello est un économiste français, professeur agrégé des universités depuis 1998 et professeur d'économie au sein de l'université Aix-Marseille III.

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