Le Congrès de la CGT ne manque pas de soulever une question majeure: où en est la contestation sociale en France ? En apparence, elle bouillonne à l’occasion du combat contre la loi Travail, qui a débouché sur la Nuit Debout. Mais, à y regarder de plus près, la réalité semble beaucoup plus nuancée, voire même totalement contraire.
La CGT et le naufrage de la contestation
Tout le monde l’a compris, pour faire oublier la crise interne dont le départ de Thierry Lepaon fut l’un des symptômes, la CGT de Philippe Martinez développe un discours contestataire de plus en plus radical. La technique est bien connue: elle consiste à souder dans une opposition massive à un ennemi commun.
Le problème est que cette technique ne marche pas vraiment au sein même de la CGT. Le premier vote intervenu au Congrès qui se déroule à Marseille l’a montré. Le bilan moral de la direction confédérale a fait l’objet d’un quasi-rejet, avec plus de 14% d’abstention et 31% de voix contre. Mathématiquement, le bilan de Martinez a donc péniblement dépassé les 50%, ce qui constitue un sérieux revers.
Ce score proche du rejet à la majorité montre bien que la ligne radicale que Martinez veut incarner ne suffit pas à rassembler les troupes. Manifestement, les militants de la CGT ne s’en contentent pas…
La ligne réformiste de la CFDT triomphe
Quelques jours avant le Congrès, Martinez ne s’en est pas caché: il s’attend à voir la CGT perdre son statut de première organisation syndicale du pays au profit de la CFDT. L’inversion pourrait se produire dès 2017. Si cette crainte devait se réaliser (ce qui est probable), elle poserait quand même un problème majeur pour la ligne adoptée par le dirigeant confédéral.
Démonstration serait en effet apportée du bien-fondé de la ligne réformiste de Laurent Berger, qui construit une relation patiente de collaboration avec les pouvoirs publics. Dans le secteur privé, celle ligne réformiste est payante et permet à la CFDT de gagner des voix.
Ce succès infirme tous ceux qui ont craint ou reproché la ligne « collaborationniste » du secrétaire confédéral à l’égard du gouvernement.
Une vraie question sur la contestation dans les entreprises
Au-delà de ce jeu d’appareil, la montée en puissance de la CFDT dans le secteur privé interroge fortement la culture anarcho-syndicaliste de contestation. Tout montre aujourd’hui qu’une stratégie conflictuelle ou de rupture ne correspond plus à la sociologie des salariés. Ceux-ci sont plutôt demandeurs d’une logique de construction par la négociation et par le dialogue avec les employeurs.
La gauche l’a insuffisamment noté. L’époque où les salariés espéraient un grand soir fondé sur l’expropriation des patrons se termine. Les « travailleurs », en France, privilégient le partage du travail et du capital dans le respect de l’un et de l’autre. Cette réalité se vérifie sans doute moins dans le secteur public, mais elle domine le secteur privé.
L’essoufflement de la contestation contre la loi Travail le confirme d’ailleurs. Nous assistons au crépuscule de l’anarcho-syndicalisme. Rien n’exclut qu’il revienne un jour, mais il revêtira sans doute une forme nouvelle.
La Nuit Debout, contestation sociétale plus que sociale
Certains argueront que la relative vivacité de la Nuit Debout (qui demeure néanmoins aux marges de la société française) prouve que la culture contestataire se porte bien.
Justement, une caractéristique étonne dans ce mouvement: le désintérêt qu’il a rapidement affiché pour la loi Travail, et l’empressement qu’il met à déborder du champ social pour aborder les questions sociétales. La Nuit Debout se préoccupe beaucoup plus de lutter contre le spécisme (la domination de l’espèce humaine sur les autres espèces) ou pour la démocratie liquide que contre un ordre social illégitime.
Là encore, on y verra l’effet des bases sociologiques du mouvement. Il est essentiellement constitué d’étudiants et de fonctionnaires, et assez peu prisé par les salariés du secteur privé. Le droit du travail y est donc assez abstrait et absent. Ses enjeux portent plus sur une réforme globale de la société (avec une refonte constitutionnelle notamment) que sur une modification du rapport de force dans les entreprises.
Globalement, donc, les événements de ces derniers jours plaident plutôt pour l’idée d’un affaiblissement des luttes sociales… au bénéfice des contestations sociétales. Celles-ci ne sont pas moins radicales ou structurantes, mais elles montrent que les salariés ne refusent pas, contrairement à l’impression faussement nourrie ces dernières semaines, une certaine réforme du contrat de travail.