« Ils nous ont vendu pour des miettes »

Par Bertrand de Kermel Publié le 1 juillet 2019 à 5h27
Ceta Accord Ue Canada Libre Echange
@shutter - © Economie Matin

Gardons nous que les enfants actuellement en maternelle soient extrêmement durs avec la génération actuellement aux manettes, lui reprochant d’avoir fait prévaloir les intérêts des multinationales sur les leurs, dans les grands choix de société.

N’oublions pas que ceux qui ont aujourd’hui 35-40 ans sont souvent sévères avec leurs aînés, c’est à dire en gros, le baby boom.

Ils leur reprochent d’avoir très bien vécu pendant les «trente glorieuses», tout en laissant à leurs enfants des dettes publiques énormes, une crise qui n’en finit pas, un environnement dans un état catastrophique, le tout dans un monde ultra libéral dont plus personne ne comprend le sens. Ce n’est pas faux.

Piéger les maternelles dans une « nasse ».

Le CETA traite aussi de dispositions qui n'ont rien à voir avec un accord commercial

Très bien, mais les jeunes parlementaires français ne risquent-ils d’agir demain avec le même égoïsme vis à vis des tout petits ? Ils doivent savoir que le 17 juillet 2019, s’ils votent sans aucune condition, sans aucune précaution et sans aucune réserve l’approbation des 1.000 articles du CETA (qu'un certain nombre de députés n'aura probablement pas lu), ils vont piéger tous les enfants européens aujourd’hui en maternelle dans une véritable « nasse » dont ceux-ci ne sortiront au mieux qu’au bout de cinquante ans.

Démonstration ci-dessous.

Outre des clauses sur le commerce, le CETA contient des dispositions qui n’ont rien à faire dans un accord commercial, car il traite d’investissements (achat de terres agricoles, d’entreprises, de concessions, d’immeubles, etc…) et non d’échanges commerciaux. Il s’agit du système d’arbitrage inique dénoncé notamment dans l’émission d’Arte du 11 décembre 2018.

C’est un droit offert sans aucune contrepartie à des multinationales étrangères installées par exemple en France, de saisir un tribunal d’arbitrage supra national, qui a le droit de s’affranchir des Lois françaises et européennes, pour condamner notre pays à leur verser des dommages et intérêts si une Loi d’intérêt général (environnement par exemple) a pour effet de baisser un tant soit peu leurs bénéfices.

(NB. Cela n’a évidemment rien à voir avec le cas de deux entreprises (PME ou multinationales) qui sont en litige et décident ensemble de régler ce différend en faisant appel à des arbitres, afin de trouver une solution rapide et passer à autre chose).

Bien, me direz-vous, c’est un problème, mais où est la «nasse» pour les maternelles ?

C’est très simple. La partie «commerce» et la partie «arbitrage» du CETA ne peuvent pas être séparées. Tout est verrouillé.

La responsabilité des députés est écrasante

Conséquence 1 : Si un Etat européen ne veut plus du système d’arbitrage (Le Canada et les Etats Unis y ont semble t-il renoncé dans leur nouvel accord de libre échange, dénommé ALENA) il doit obtenir que l’Europe dénonce le CETA dans son ensemble. Si l’Europe refuse (au nom du PIB), l’Etat ne pourra rien faire. Voilà ce qui va être verrouillé par le vote de l’Assemblée Nationale française du 17 juillet prochain si elle approuve le CETA sans émettre la moindre condition.

Conséquence 2. Supposons maintenant que les enfants européens actuellement en maternelle s‘aperçoivent, une fois devenus adultes, que le système est toxique pour les peuples (ce qui est le cas). Ils constateront que son principal effet est de donner une arme nucléaire aux multinationales pour tenir les peuples en respect, afin que les profits restent toujours la priorité N° 1 quelle que soit la situation.

Ils auront alors une vingtaine d’années.

Ils réclameront la dénonciation du CETA lorsqu’ils auront trente ans, c’est à dire lorsque qu’une partie d’entre eux sera dans des cabinets ministériels, dans la haute administration et dans l’Administration européenne.

Supposons qu’ils obtiennent gain de cause.

Ils s’apercevront alors qu’après la dénonciation du CETA, celui-ci sera annulé au bout de 180 jours, alors que le système d’arbitrage continuera de fonctionner pendant encore vingt ans, selon l’article qui traite de la dénonciation (article 30.9). Ils auront donc cinquante ans lorsqu’ils en seront enfin débarrassés. Nous serons en 2069. La responsabilité des députés est donc écrasante. Deux exemples parmi d’autres.

Aucun jeune (ou moins jeune) député n’a la moindre idée de ce que sera la France dans vingt ans et encore moins dans cinquante ans. Le verrouillage qui se prépare est donc totalement irresponsable. Il est imposé par les multinationales qui savent très bien qu’il leur faut aller très vite avant la prochaine explosion sociale. Cf le mouvement des indignés (2011), le mouvement des bonnets rouges (2014) et le mouvement des gilets jaunes (2018-2019), qui n’est pas éteint. Ce n’est pas tout.

Les députés LREM vont nous refaire le coup de 2005 sur la constitution européenne

Plus grave encore, l’Assemblée Nationale sait parfaitement que le 17 juillet, elle va agir comme en 2005, lors du passage en force du Parlement, suite au référendum négatif sur la constitution européenne. C’est tout à fait comparable. C’est jouer avec le feu.

Ce système d’arbitrage totalement déséquilibré a déjà été refusé par le peuple français en 1995 ! Il s’appelait alors « accord multilatéral sur les investissements », l’A.M.I. Tous les élus le savent.

Négocié dans le plus grand secret à l’OCDE, il a mis toute la France dans la rue lorsqu’elle a découvert de quoi il s’agissait. Le gouvernement de l’époque a été contraint de renoncer, car il était incapable de défendre le bien fondé du système.

Comment peut-on mépriser un peuple à ce point ?

L’Assemblée Nationale doit poser ses conditions à l’approbation du CETA.

Le CETA ne peut donc pas être approuvé sans conditions. Les députés doivent conditionner leur vote à une renégociation du CETA par la nouvelle commission et le nouveau Parlement européen, afin de sortir ce volet arbitrage de l’ensemble du texte, dans lequel il n’aurait jamais dû figurer. (On trouvera ci-après la façon dont ce sujet doit être traité dans l’intérêt des investisseurs et des peuples. https://docs.wixstatic.com/ugd/146df5_5eb9b155d0cc44d78eb9d1a9fd29f88a.pdf)

Mardi 2 juillet, je publierai un autre article justifiant une deuxième condition aussi fondamentale, voire plus. Mais celle-ci concerne plus précisément le Président de la République Française.

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Ancien directeur général d'un syndicat patronal du secteur agroalimentaire, Bertrand de Kermel est aujourd'hui Président du comité Pauvreté et politique, dont l'objet statutaire est de formuler toutes propositions pour une "politique juste et efficace, mise délibérément au service de l'Homme, à commencer par le plus démuni ". Il est l'auteur de deux livres sur la mondialisation (2000 et 2012)

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