CETA : une triste victoire des députés

Par Bertrand de Kermel Publié le 22 juillet 2019 à 6h51
Ceta Canada Belgique 1
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2 000Le texte du CETA contient 2 000 pages.

L’Assemblée Nationale va ratifier le CETA mardi prochain. C’est un échec de la société civile dont les arguments étaient pourtant rationnels et recevables. C’est une victoire pour les très grands acteurs économiques.

Car ce qui se joue est beaucoup plus fondamental qu’un simple accord. C’est le choix du modèle économique que veut nous imposer l’Europe, alors même qu’il n’est déjà plus sous contrôle démocratique aux Etats Unis, selon le Président Macron. En érigeant le profit en priorité absolue, ce modèle crée mécaniquement de fortes inégalités, le déclassement des classes moyennes, la pauvreté, et de nombreux dégâts environnementaux.

Le CETA a été construit sur la base de ce modèle, comme l’était le Tafta de triste mémoire. On peut citer ses maigres clauses sociales et environnementales qui sont toutes facultatives, ce qui autorise tous les dumpings. C’est aussi le cas du système d’arbitrage supra national qui donne des pouvoirs considérables aux multinationales. Plus tous les autres défauts et lacunes incontestables mis en évidence par la société civile. La liste est longue.

Certes, le CETA, ne va pas provoquer à lui seul toutes ces catastrophes. Mais comme il a été conçu et accepté comme le modèle de tous les accords à suivre, ces catastrophes sont inéluctables. D’où le titre de cet article.

La folie, disait Einstein, c’est de refaire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent. Lorsque le Président de la République française déclare au salon VivaTech en mai dernier que le « modèle économique américain n’est plus sous contrôle démocratique », nous avons des frissons, car le phénomène est largement engagé sur notre Continent. Quand le Président du Forum Economique Mondial de Davos, Monsieur Klaus Schwab, déclare en 2014 que la gestion de la mondialisation est un échec collectif qui remonte à des dizaines d’années, et ajoute, trois ans plus tard, à l’occasion d’une interview donnée au Figaro qu’il faut une réforme du système capitaliste, car « Les gens ne s'y identifient pas en raison de trois sortes de défaillances : la corruption, le court-termisme des acteurs, des mécanismes fondés sur la méritocratie qui en tant que tels engendrent des gagnants et des perdants, sachant que les premiers tendent à se désintéresser totalement du sort des seconds! », nous commençons à être terrifiés, car nous ne pourrons jamais remettre de l’équité dans un tel contexte.

Et on voudrait ratifier le CETA sans même avoir réfléchi une seconde à ce qui précède ? Sans même se demander comment nous avons bêtement renoncé au modèle économique en vigueur pendant les 30 glorieuses, (avec ses défauts, certes), qui était infiniment plus raisonnable que le modèle économique actuel ?

Sans même reconnaître en toute honnêteté que les multinationales ont réussi un coup de Maître en se plaçant souvent en monopoles ou oligopoles, et en contraignant les chefs d’États européens à se mettre en concurrence parfaite (sociale, environnementale et fiscale), ce qui ruine évidemment les cinq cent millions de citoyens et leur capacité à décider de leur avenir ?

D’abord bien comprendre comment le rapport de force s’est inversé au profit des multinationales et au détriment des peuples.

Il serait raisonnable de se donner du temps sur le CETA, pour bien comprendre par quels mécanismes le rapport de force entre les multinationales et les gouvernements a pu se modifier en faveur des multinationales et au détriment des peuples. Car la toute première priorité est de corriger au plus vite cette anomalie. C’est possible.

Tout a commencé dans les années 80 avec la suppression des contrôles des changes (pourquoi pas ?) mais sans aucune contrepartie, sans précautions et sans études d’impact. Le monde est donc devenu un terrain de jeu pour les très grands acteurs économiques, qui en ont profité pour développer les paradis fiscaux et optimiser leur fiscalité. Il est clair que c’était prévisible.

Ensuite on a procédé (toujours sans contreparties, sans précautions et sans étude d’impact) à une forte baisse des droits de douane et d’une manière générale à la suppression des obstacles aux échanges. Ces décisions ont eu pour effet d’inciter ceux qui le pouvaient à délocaliser leurs usines, puisqu’il pouvaient ensuite réexpédier leurs produits dans le pays qu’elles venaient de quitter avec des coûts extrêmement réduits. D’où le profit placé en priorité N°1. Les Etats n’ont aujourd’hui aucun moyen de s’y opposer.

Cerise sur le gâteau  : le système d’arbitrage « Investisseur Etats », ce Tribunal d’exception désormais verrouillé dans le CETA, qui permet aux grands investisseurs de contrôler l’évolution des réglementations décidées par les peuples souverains. (Cadeau offert dans le CETA sans contreparties (fiscales par exemple), sans étude d’impact et totalement verrouillé) ?

Le CETA respire donc cette culture anglosaxonne, qui place la recherche du profit à court terme au-dessus de toute autre considération.

Aller vraiment vers une économie sociale de marché

Dans quelle direction aller ? Là encore relisons le journaliste qui interviewait Monsieur Klaus Schwab le 16 janvier 2017 dans le Figaro : « Son cœur penche pour le capitalisme rhénan, pour l’économie sociale de marché à l'allemande, sa culture d'origine, où tous les «stake holders» (les parties prenantes, dont les salariés) sont pris en compte, et pas seulement les «stock holders» (les actionnaires) «J'ai fait adopter une déclaration dans ce sens dès 1973 », aime-t-il à rappeler.

Les solutions pour y parvenir existent. La France les connait, mais ne veut pas ou ne peut pas les imposer. Le seul moyen pour qu’elle soit entendue serait dire à Bruxelles : « stop. Les peuples ne suivent pas. Le modèle économique actuel est injuste et n’a pas d’avenir. Modifions ce modèle mortifère qui ne correspond ni à notre culture ni à notre aspiration pour plus d’équité dans le partage des richesses. Sinon, l’Europe finira pas exploser. Nous aurons tout perdu ».

Notre Président n’a-t-il pas déclaré lors de ses vœux 2019 : « le capitalisme ultralibéral et financier, trop souvent guidé par le court terme et l’avidité de quelques-uns, va vers sa fin », ajoutant même  : « Mais nous avons aussi vécu de grands déchirements et une colère a éclaté, qui venait de loin ; colère contre les injustices, contre le cours d’une mondialisation parfois incompréhensible… »

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Ancien directeur général d'un syndicat patronal du secteur agroalimentaire, Bertrand de Kermel est aujourd'hui Président du comité Pauvreté et politique, dont l'objet statutaire est de formuler toutes propositions pour une "politique juste et efficace, mise délibérément au service de l'Homme, à commencer par le plus démuni ". Il est l'auteur de deux livres sur la mondialisation (2000 et 2012)

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