Nous avions vivement recommandé il y a environ un an la lecture de Cartel des fraudes, ouvrage du magistrat Charles Prats, investigateur de grand talent qui s’est initialement formé comme inspecteur des douanes. A ce premier volume vient de succéder, toujours aux éditions Ring, un second, tout simplement baptisé Cartel des Fraudes 2, consacré au même sujet. Ne pas le lire serait dommage, même si le dévoilement de magouilles fiscales et sociales supplémentaire n’a plus le caractère de révélations à peine croyables que possédait le premier tome.
Son utilité est de confirmer par une véritable avalanche d’exemples et de chiffrages l’ampleur des arnaques qui se pratiquent dans le monde de la protection sociale et des affaires, ainsi que la faiblesse des institutions judiciaires face à l’audace et à l’habileté des agents qui profitent de la complication inhérente à l’organisation actuelle du commerce international pour s’enrichir au détriment des Etats.
La fraude « documentaire » : le cas de la Sécurité Sociale
Il s’agit là du recours massif à de faux papiers pour obtenir des prestations sociales indues. Charles Prats nous apprend par exemple que 21,1 millions de numéros de sécurité sociale française correspondent à des personnes nées à l’étranger. Le nombre de cartes Vitale en surnombre a été évalué par l’IGAS (Inspection Générale des Affaires Sociales) à un nombre inférieur, 7,76 millions en 2013, puis 5,2 millions en 2019, puis 2,6 millions en cours d’année 2020, puis 537 000 à la fin de l’été 2020, puis 41 000 fin 2020 : ne voilà-t-il pas une belle réussite ? Certes, si l’on se base sur ces chiffres de préférence à d’autres, de provenance tout aussi officielle : par exemple 7,5 millions d’assurés sociaux de plus que le total de la population française, selon le Sniiram (Système national d’information inter-régimes de l’assurance-maladie).
Il apparaît clairement que la situation de la Sécurité Sociale, et notamment de l’Assurance Maladie, n’est … absolument pas claire ! Il s’agit même d’une véritable pétaudière, si l’on veut bien me passer l’expression.
L’optimisation fiscale
En France, la fraude fiscale pourrait représenter environ 30 milliards par an. Et l’Etat baisse sa garde : selon les informations de C. Prats, « le montant global des redressements et pénalités infligées a baissé de 61 % depuis 2015 ! ». Il est vrai qu’il est très difficile de faire le point : « La Cour des comptes, qui s’était vu confier la mission, a jeté l’éponge en novembre 2019, alors même que la mission spécifique de procéder à cette évaluation lui avait été confiée par le gouvernement ».
Escroqueries à la TVA et verrou de Bercy
Charles Prats cite une inspectrice des impôts spécialisée dans la lutte contre une arnaque nommé carrousel de TVA. Il s’agit d’une interview parue dans Le Parisien : « avant de contrôler une société sur laquelle nous avons de gros doutes, nous devons envoyer un avis de vérification de comptabilité par courrier, puis laisser passer un délai légal de quinze jours avant d’intervenir ». Evidemment, cela donne le temps aux entreprises malhonnêtes de prendre leurs dispositions, qui peuvent aller jusqu’à la mise en liquidation d’une société qui n’avait été créée que pour servir à des opérations frauduleuses.
Pourquoi un tel atout est-il mis à la disposition des fraudeurs ? C’est la réponse à ce genre de questions qui fait l’intérêt du livre de C. Prats. Cette réponse, c’est notamment, selon lui, l’existence d’un dispositif surnommé « le verrou de Bercy ». Pour coincer les fraudeurs, il faut agir très vite. Or la Direction Générale des Finances Publiques (le fisc) a la priorité sur la Direction Générale des douanes et droits indirects. Peut importe que l’efficacité de la lutte contre la fraude soit fortement diminuée par le délai ainsi donné aux fraudeurs, c’est Bercy qui mène la danse ! Tant pis si cela donne le temps à l’entreprise suspecte de faire disparaître les preuves de ses turpitudes autres que fiscales. C. Prats estime à environ 8 ou 9 milliards par an la fraude que cette organisation permet de laisser impunie.
Un lourd bilan, et une piste de solution
Au total, Charles Prats fournit une estimation du montant des fraudes sociales et fiscales qui restent impunies : 50 milliards pour les fraudes aux prestations sociales, 30 pour les fraudes fiscales, 18 pour les fraudes aux cotisations sociales et 5 « au moins » pour les fraudes douanières. La centaine de milliards est légèrement dépassée. Certes, les évaluations sont délicates, mais la « priorité à la lutte contre la fraude aux prestations sociales » que conseille C. Prats paraît assez raisonnable, car la parade existe pour cette fraude particulièrement coûteuse : l’utilisation de la biométrie pour créer une identité sociale sécurisée.