Covid-19: les carences et négligences de l’État peuvent engager sa responsabilité

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Par Pascal Andrieux Modifié le 1 mai 2020 à 7h29
Conseil Etat
@shutter - © Economie Matin
3,2 millionsSelon une étude publiée en 2017 dans la revue The Lancet Respiratory Medicine, la BPCO a fait 3,2 millions de morts dans le monde en 2015.

La pandémie de Covid-19, dit aussi coronavirus 19, conduit à faire face à une situation qui est purement et simplement sans précédent pour l’ensemble des individus et des acteurs économiques, politiques, sociaux et en l’occurrence médicaux. Comme souvent dans ce type de situations de crise, les critiques fusent et il est attendu de l’Etat qu’il apporte rapidement les réponses adéquates aux difficultés rencontrées.

Dans ce contexte de tensions et de polémiques, la gestion de la pandémie par les autorités françaises fait toutefois naître un sentiment d’impréparation et de confusion très largement ressenti. Le calendrier de mise en œuvre des mesures de précaution et de confinement fait débat, la fiabilité et la pertinence des informations fournies également, la célérité des réponses que l’État tentent d’apporter aujourd’hui aussi.

Face à l’ampleur et à la gravité de la pandémie, les attentes sont légitimement fortes et on sent, à travers les communications du gouvernement confrontées à celle des membres du corps médical, que la panique et la colère gagnent les esprits.

Au-delà de ces débats, des actions en justice ne manqueront pas d’être engagées, et la question de la responsabilité de l’État est nécessairement soulevée. Des plaintes ont d’ores et déjà été enclenchées sur le terrain pénal.

Sur l’insuffisance quantitative de masques : https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/coronavirus-pourquoi-la-france-manque-t-elle-de-masques-respiratoires_3871243.html

« Alors que la France se confine face à la pandémie du coronavirus, trois médecins ont porté plainte contre Agnès Buzyn, ancienne ministre de la Santé et Édouard Philippe, actuel Premier ministre. Ils leur reprochent de ne pas avoir agi à temps. »

https://rmc.bfmtv.com/emission/plainte-contre-edouard-philippe-et-agnes-buzyn-il-faut-hausser-le-ton-on-nous-a-menti-depuis-le-debut-1878610.html

https://rmc.bfmtv.com/mediaplayer/video/masques-medicaux-le-gouvernement-a-reconnu-des-rates-dans-sa-strategie-de-stockage-et-de-production-1231928.html

Dès le début de la crise sanitaire, l’association France BPCO, qui représente des patients atteints de broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO), a annoncé avoir déposé plainte contre X pour « mise en danger délibérée de la vie d’autrui » auprès du tribunal judiciaire de Draguignan. L’association déplore le manque d’information et de prévention face aux risques présentés par la contamination au Covid 19, exposant les individus déjà fragilisés par d’autres pathologies à un risque grave.

L’association a indiqué engager cette action car elle déplore notamment "le peu d'informations et de moyens de prévention mis en place" face au risque encouru par ces malades déjà "lourdement affectés au niveau respiratoire".

https://www.lexpress.fr/actualite/societe/coronavirus-une-association-de-malades-porte-plainte-contre-x_2121455.html

« À travers cette plainte, nous visons toute la chaîne de responsabilités de l'Etat en matière de politique sanitaire", a indiqué Philippe Poncet, président de l'association. Il explique avoir notamment alerté les pouvoirs publics dès le 25 février 2020, une alerte restée selon lui "sans réponse ».

La plainte est donc déposée « au pénal » ce qui signifie qu’elle se fonde sur une infraction de nature pénale.

« Agnès Buzyn et Édouard Philippe sont tous les deux visés par une plainte formulée par trois médecins du collectif C19, récemment créé. Les plaignants accusent les deux figures politiques de s’être « abstenus » de prendre à temps des mesures pour endiguer l’épidémie de Covid-19, précise leur avocat. »

https://www.ouest-france.fr/sante/virus/coronavirus/coronavirus-trois-medecins-portent-plainte-contre-edouard-philippe-et-agnes-buzyn-6786167

https://www.leparisien.fr/politique/coronavirus-edouard-philippe-et-agnes-buzyn-vises-par-une-plainte-19-03-2020-8283960.php

On le voit, le mouvement est amorcé, vers la recherche de responsabilités dans la gestion jugée insatisfaisante de la crise pandémique.

L’impact, en termes de communication, de la plainte au pénal ne doit pas faire oublier que des actions portées sur le terrain administratif peuvent également aboutir à la reconnaissance de la responsabilité de l’Etat et de la collectivité publique au sens large. La puissance publique ne dispose pas seulement de pouvoirs qu’elle peut mettre en œuvre, ou pas. Elle a, dans certains cas du moins, l’obligation de les mettre en œuvre.

En effet, le juge administratif considère, de longue date, l’inaction de l’État, ou l’insuffisance fautive de son action, comme une cause d’engagement de sa responsabilité. L’inaction ou la carence désigne l’absence ou l’insuffisance d’une intervention qui aurait pourtant été nécessaire pour répondre à un trouble à l’ordre public ou à un risque de trouble.

Il appartient ainsi à la collectivité publique d’intervenir pour faire cesser une situation portant atteinte à l’ordre public ou, d’une façon plus large, portant ou risquant de porter atteinte à la composante « sécurité » des missions régaliennes de l’État et de ses démembrements.

En matière de santé publique, la responsabilité de l'État avait déjà été engagée par le passé

Sur le terrain médical / sanitaire, différentes « crises » ont conduit à des actions en responsabilité dirigées contre l’État.

Il en a été ainsi dans le cadre de l’affaire dite « du sang contaminé » qui a conduit le Conseil d'Etat a retenir que, « eu égard tant à l'étendue des pouvoirs que les dispositions des articles L.666 et suivants du code de la santé publique et du décret du 16 janvier 1954 modifié pris pour leur application confèrent aux services de l'État en ce qui concerne l'organisation générale du service public de la transfusion sanguine, le contrôle des établissements qui sont chargés de son exécution et l'édiction des règles propres à assurer la qualité du sang humain, de son plasma et de ses dérivés, qu'aux buts en vue desquels ces pouvoirs leur ont été attribués, la responsabilité de l'État peut être engagée par toute faute commise dans l'exercice desdites attributions. En outre, dans le cas où cette responsabilité serait engagée, l'État ne pourrait s'en exonérer, compte tenu de l'étroite collaboration et de la répartition des compétences instituées entre ses services et les établissements de transfusion sanguine, en invoquant des fautes commises par lesdits établissements » (CE, 9 avril 1993, n° 138653).

Dans l’affaire relative à l’amiante, le Conseil d'Etat a retenu du fait des carences dans la prévention des risques liés à l'exposition des travailleurs aux poussières d'amiante, l'État avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité (CE, 3 mars 2004, n° 241153).

De même dans l’affaire du Médiator : « eu égard tant à la nature des pouvoirs conférés par le code de la santé publique aux autorités chargées de la police sanitaire relative aux médicaments qu'aux buts en vue desquels ces pouvoirs leur ont été attribués, la responsabilité de l'État peut être engagée par toute faute commise dans l'exercice de ces attributions » (CE, 9 novembre 2016, n° 393902 ; n° 393108; n° 393904, 3 arrêts).

Dans ces différentes affaires, les victimes ont saisi le juge administratif et ont, soit obtenu la réparation des préjudices subis, soit, a minima, lorsque leur préjudice a été considéré comme n’étant pas établi, elles ont obtenu la reconnaissance de la carence fautive de l’État.

La responsabilité de l'État sur le terrain administratif

Aussi, parallèlement aux actions déjà engagées sur le terrain pénal, la responsabilité de l’État peut être recherchée sur le terrain administratif. Compte tenu des nombreuses carences relevées à l’encontre des services de l’État, du nombre d’agents qui se sont retrouvés exposés à un risque très sérieux, il y a fort à parier que les actions en responsabilité dirigées contre l’État du fait de sa gestion de la crise seront nombreuses et variées.

- Actions en responsabilité du fait de l'insuffisance de préparation de la crise sanitaire pourtant prévisible, actions en responsabilité du fait du retard pris par l'État pour s'équiper et équiper les personnels exposés au virus mais dont l'activité est pourtant indispensable (personnels soignants, médicaux et para médicaux, pharmaciens, pompiers, agents des forces de l'ordre, police ou gendarmerie, salariés des sociétés ayant assuré la continuité de l'approvisionnement alimentaire etc.).

- Actions en responsabilité pour avoir été exposés au virus sans disposer des équipements nécessaires à s'en prémunir.

- Actions en responsabilité du fait de l'inexactitude des informations communiquées.

- Actions en responsabilité même de la part des acteurs économiques qui ont vu leurs activités réduites à néant le temps du confinement, sur une période qui pourrait être considérée comme excessive et résultat de l'impréparation des services de l'État.

La responsabilité de l'État pourra être recherchée à de multiples titres.

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Pascal Andrieux est avocat au Barreau de Paris. Son activité dominante est le droit public et notamment le droit de la fonction publique.

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