Le capital-risque nous est vendu comme le modèle d'investissement qui nourrit l'innovation dans la Silicon Valley. Il fait l'envie de la planète. Il est pourtant porteur d'une opposition profonde entre l'intérêt de l'investisseur et celui de l'entrepreneur. A ce titre, il mérite d'être remis en question.
Récapitulons.
La stratégie des capital-risqueurs suit un scénario bien connu. Ils acquièrent un pourcentage du capital d'une entreprise (equity) en fonction du montant de leur investissement. L'objectif des investisseurs est clairement établi dès le premier jour : récupérer leur mise multipliée par le facteur le plus élevé possible, à travers l'un de deux scenarii de « sortie » :
- le rachat de l'entreprise
- ou son introduction en Bourse.
Dans les deux cas, l'intérêt essentiel de l'investisseur est que l'entreprise atteigne aussi rapidement que possible une valorisation aussi élevée que possible. Pourtant, dans notre monde régit par la loi de puissance, ces scénarii sont l'exception à la règle.
De son côté, l'entrepreneur a deux intérêts prioritaires, selon la définition Melcion : contrôler sa destinée et se frotter à des défis afin de les relever. Dans ce contexte, il peut vivre bien et se sentir pleinement réalisé même si sa société n'est jamais rachetée et ne s'introduit jamais en Bourse. Il peut s'estimer même très satisfait si sa société fait partie de ces « belles boîtes » qui tournent tranquillement, innovent et progressent sans faire grand bruit, tout en rémunérant correctement propriétaires, dirigeants et employés.
Pour l'investisseur en equity de type capital-risqueur, la « belle boîte » tranquille est un cauchemar. Elle signifie que son investissement est bloqué. Il n'aura donc de cesse de forcer sa vente avec une clause de premier servi (clause de liquidité préférentielle) où l'investisseur va prétendre récupérer sa mise (voir sa plus value minimum) avant de partager le solde selon la géographie du capital. C'est donc un cas, plutôt probable, où l'investisseur a un clair conflit d'intérêt avec l'entrepreneur qu'il prétend aider.
Et si l'entreprise est un peu moins prospère mais suffisamment pour l'entrepreneur, il est des cas extrêmes, dans la Silicon Valley, où les investisseurs iront même jusqu'à causer sa fermeture et payer un opérateur pour garantir que rien ne restera derrière, une dissolution sans trace (un peu comme le personnage de Jean Reno dans Leon de Luc Besson). Il serait malvenu, en effet, qu'un petit futé rachète les actifs (propriété intellectuelle, équipe, basé de clients etc.) et en fasse meilleur usage, seul moyen de démontrer une incompétence de l'investisseur.
Un solution consensuelle :
Pour les investisseurs qui affirment épouser rigoureusement les intérêts des entrepreneurs, il est temps de mettre l'accent sur une alternative avantageuse au modèle de l'equity : la dette structurée. Dans ce modèle, les intérêts ne sont pas calculés en fonction du montant du prêt. Il peut s'agir, par exemple, d'un pourcentage du chiffre d'affaires. Quelle que soit la métrique négociée entre l'entrepreneur et l'investisseur, elle est incorporée dans le modèle d'affaire de l'entreprise.
La dette structurée permet à l'investisseur d'obtenir un vrai retour sur son investissement... même lorsque l'entreprise va bien. Il perçoit d'abord le remboursement progressif de son capital et des intérêts, puis bénéficie éventuellement d'un premium défini par le contrat de prêt de type prêt participatif.
Il est important d'incorporer dans ce contrat une clause particulière qui prévoit l'intéressement de l'investisseur au cas exceptionnel où l'entreprise jouit d'un succès étourdissant, une IPO ou une cession à un prix "astronomique". On utilisera par exemple un programme de stock options ou des actions de préférence.
Un des freins à cette méthode de travail est l'action des pouvoirs publics dans leur volonté de privilégier les fonds propres parmi les autres formes de capitaux stables : il est temps de mettre fin à cette tyranie intellectuelle dépourvue de fondement scientifique !