Alain Juppé et Bruno Lemaire ont dévoilé leurs programmes pour la primaire des Républicains. L’un et l’autre se situent dans le même sillage: celui des positions fondatrices qui inspirent le gouvernement profond en France. Avec eux, pas d’inquiétude donc: la République restera sur les rails qu’elle suit depuis des décennies, et qui favorisent son déclin.
Europe, ma belle Europe
Sans surprise, Bruno Lemaire comme Alain Juppé partagent les mêmes refrains sur l’Europe.
Pour Alain Juppé:
Pour retrouver son rôle historique et ne pas laisser à l’Allemagne seule l’initiative, Alain Juppé indique pour notre pays un certain nombre de pistes, à commencer par ce qui constitue aujourd’hui le « noyau dur » de l’Europe : la zone euro. « Sa consolidation exige une harmonisation fiscale progressive et la mise en cohérence de nos systèmes de protection sociale »
L’harmonisation fiscale et sociale fait partie de cette espèce de musique de fond sur l’Europe qu’on entend depuis les tréfonds du gouvernement profond. Les mêmes mots se trouvent dans la bouche de François Hollande, comme dans ceux de Bruno Lemaire:
Sur la monnaie commune comme sur Schengen, nous faisons le plus facile et nous laissons sans réponse les questions les plus difficiles : la coordination économique de la zone euro ou le contrôle des frontières extérieures.
La coordination économique de la zone euro: un autre gimmick que François Hollande adore prononcer. On voit bien que Juppé, comme Lemaire, comme Hollande, ne se sont pas guéris de l’euro-angélisme contracté à l’ENA. Quand l’Europe pose problème, ce n’est évidemment pas parce qu’elle est trop présente, mais parce qu’elle ne l’est pas assez! Vous faites une indigestion européenne? Reprenez-en une rasade, ça ira mieux!
La même frilosité sur la protection sociale
Juppé et Lemaire portent au demeurant le même conformisme sur les questions de protection sociale. On peut comprendre qu’Alain Juppé se montre réticent sur le sujet. Mais il est divertissant de constater qu’au-delà du traumatisme de 1995, il « verrouille » la conception oligarchique d’un système de protection sociale permettant d’asservir l’opinion publique par le versement de prestations de solidarité financées par les classes moyennes.
En évoquant l’idée d’une harmonisation des systèmes de protection sociale en Europe, Alain Juppé considère implicitement que la solution au déficit de la sécurité sociale passe par plus de sécurité sociale et non par sa réinvention.
Sur la protection sociale, « je ne veux pas casser la baraque », a souligné Alain Juppé en allusion à François Fillon.
Surtout, ne touchons pas au joujou qui permet de tenir les Français. Le même ton est présent chez Bruno Lemaire, qui s’est fendu d’une laborieuse proposition de loi pour améliorer le fonctionnement du RSI. Alors que tout le monde sait que le problème du RSI est de vouloir faire entrer au chausse-pied les indépendants dans un système conçu pour les salariés, Lemaire va jusqu’à proposer:
Afin d’améliorer le calcul et le recouvrement des cotisations sociales, l’article 7 étend la possibilité pour le RSI de passer des conventions avec les Urssaf afin que celles-ci se chargent de cette mission, comme elles le font déjà aujourd’hui avec les autoentrepreneurs.
De même que Juppé dit: quand la sécu est en déficit, il faut plus de sécu, Lemaire dit: quand la sécu ne sait pas faire avec les indépendants, il faut plus de sécu.
Sur ce point, les deux énarques ont bien la même approche. La sphère publique doit être en expansion permanente, et tous les prétextes sont bons pour le justifier, même les plus absurdes.
On notera, qui plus est, que les deux candidats proposent de fixer la retraite à 65 ans.
Quelques mesures spéciales pour l’élite
Guidés par le même paradigme, Juppé et Lemaire proposent accessoirement des mesures qui se ressemblent comme deux gouttes d’eau.
Par exemple, Alain Juppé propose une suppression de l’ISF:
Alain Juppé s’est engagé à la suppression de solidarité sur la fortune (ISF) en 2018. Une loi de programmation fiscale serait votée à l’automne 2017 qui détaillerait les mesures fiscales sur cinq ans.
Bruno Lemaire propose lui aussi la même mesure.
Sur le capital, Alain Juppé propose la réduction du taux d’imposition à 25%.
En matière fiscale, il envisage une imposition forfaitaire des plus-values dégressive en fonction de la durée de détention et qui descendra jusqu’à 25% (prélèvements sociaux inclus) au bout de six ans.
Bruno Lemaire propose une baisse de la fiscalité sur le capital à 25%.
Une même vision du code du Travail
En poussant l’analyse jusqu’au bout, d’autres similitudes apparaissent, notamment sur le code du Travail.
Alain Juppé s’attaque par exemple aux 35 heures, en affirmant:
Les entreprises auront deux ans pour négocier, en fonction de leurs besoins, la durée de travail à 36, 37, 38 ou 39 heures « en augmentant proportionnellement les salaires ». En l’absence d’accord, la durée de référence de 39 heures s’appliquera.
Bruno Lemaire propose là encore une mesure jumelle, qui est de:
Laisser à chaque entreprise la liberté de négocier le temps de travail et le déclenchement des heures supplémentaires.
Ces quelques rapprochements ne sont pas exhaustifs. Mais ils montrent comment, sur des points-clés, les deux candidats des Républicains issus de l’énarchie, loin de renouveler le genre, garantissent une immense continuité des politiques publiques par rapport à celles qui sont menées depuis plus de trente ans…
Un libéralisme sérieux ?
Selon ses propres termes, Alain Juppé développe un « libéralisme sérieux », sous-entendant que les autres ne le sont pas. Chacun en pense ce qu’il en veut, mais, factuellement, il est évidemment très difficile de soutenir que le programme des Dupont et Dupond Républicains soit complètement libéral. L’un et l’autre ont l’ambition d’imposer des normes européennes dans des domaines où elles n’existent pas encore, et ils prennent bien soin de ne pas inverser la courbe d’expansion des politiques publiques, notamment dans le domaine social.
Ce point est intéressant car il montre comment il existe une confusion dans l’opinion publique entre des logiques libérales et un système de domination propagé par le gouvernement profond. Les premières sont, à de nombreux égards, hostiles au second, dans la même proportion que ce qui oppose le sérieux ou bouffon.
Sauf, bien entendu, que nous ne plaçons pas le sérieux dans le même camp qu’Alain Juppé.
Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog