Nouveau aux Etats-Unis contre Ancien en France ?

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Par Hervé Goulletquer Publié le 11 décembre 2019 à 13h59
France Politique Election Presidentielle Gouvernance
@shutter - © Economie Matin
31%La France dépense l'équivalent de 31% du PIB dans les dépenses sociales publiques.

Aux Etats-Unis, à côté de l’interminable feuilleton de l’accord avec la Chine et du classique rendez-vous de la Fed, il faut s’intéresser à la campagne présidentielle au sein du Parti démocrate. Il devient nécessaire de suivre la montée en puissance de Pete Buttigieg. En France, le débat sur les retraites pointe une fois encore le niveau très élevé des dépenses sociales publiques. Mais est-ce complétement le bon indicateur ?

Parlons des Etats-Unis, puisque ce qui se passe là-bas est souvent le Deus ex machina des marchés. Trois points sont à noter ce matin.

D’abord, et avant tout, là où on en est du dossier des relations sino-américaines. La date du 15 décembre, à laquelle le Président Trump doit imposer 15% de surtaxes sur environ 160 milliards de dollars d’importations chinoises, arrive « à grands pas ». Le choix des possibles est simple :

  • la sur-taxation a lieu ;
  • un accord est signé d’ici là ;
  • la décision est reportée.

L’option 1 est jugée peu réaliste ; elle n’est pas alignée avec les intérêts bien compris de chacun des deux camps : ne pas prendre de risque avec la croissance économique des prochains trimestres. L’option 2 semble hors d’atteinte à aujourd’hui ; au moins au vu de l’information disponible. Reste alors l’option 3. Le marché donne d’ailleurs du sens aux signes allant dans ce sens. Qu’il s’agisse des propos du secrétaire américain à l’Agriculture, Sonny Perdue, qui attend un geste de Pékin pour éviter un « passage à l’acte » dimanche prochain, ou des éléments de langage des officiels chinois qui évoquent la suppression de la menace du 15 décembre comme une étape permettant de régler les points en suspens.

Ensuite, c’est ce soir que la Fed informera sur son diagnostic concernant l’environnement et sur son action de politique monétaire. En fait, personne ne s’attend à des surprises particulières. Les projections économiques ne seraient peu ou prou pas modifiées, Les points-clé de communication resteraient en place, qu’il s’agisse d’un « réglage bien positionné » ou d’une « réévaluation matérielle » des perspectives pour modifier le niveau des taux. Reste la trajectoire proposée pour le taux des fonds fédéraux. La précédente, en date du 18 septembre, pointait un niveau de 1,88% à fin 2020 et de 2,13% un an plus tard. Puisque le taux directeur se positionne depuis fin octobre à 1,63% (milieu de fourchette) et que la banque centrale défend dorénavant l’idée du status quo, changement il y aura. Disons que la cible à décembre 2020 sera sans surprise abaissée de 25 centimes. Quid de celle à fin 2021 ? Le choix est probablement entre un ajustement de -25 centimes ou de -50 centimes. Le second pourrait créer un peu de pressions baissières sur la partie longue de la courbe.

Enfin, le caucus de l’Iowa se tiendra le 3 février et la primaire du New Hampshire, le 11 février. Ils auront donc lieu dans moins de deux mois. Ces deux rendez-vous permettront-ils de clarifier la situation du côté du Parti démocrate ? Disons qu’elle en a besoin. Il faut en effet remarquer le positionnement un peu contrasté de Jo Biden. Au niveau national (sondages ou paris), il « fait la course en tête ». Dans l’Iowa et le New Hampshire, il « est à la traine » ; sa quatrième place annoncée (à aujourd’hui) n’augure pas très bien de sa capacité à porter le flambeau du Parti à l’élection présidentielle. En fait c’est la percée de Pete Buttigieg qui est à noter ; on sait déjà que Sanders et Warren sont un peu à la peine.

Que connaît-on des idées de Buttigieg ? La personnalité politique vient d’émerger (il est maire de South Bend dans l’Indiana et il a 37 ans) et elle est avant tout en devenir. Deux pistes peuvent cependant être avancées : il se positionne à gauche de Biden et à droite de Sanders et Warren, mais plus proche peut-être de ceux-ci que celui-là, et on lui prête l’ambition de réformer les institutions (collège électoral, Cours suprême et fonctionnement du Sénat). A ce double titre, il ne serait pas l’homme tendant la main aux Républicains du Congrès pour des initiatives bipartisanes. Le marché va devoir s’intéresser à ce candidat surprise. Ce qu’il trouvera l’inquiéterait moins que ce qu’il a vu chez Warren. Mais de beaucoup ? Pas sûr. Il faudra revenir sur ce point.

Passons à la France. C’est aujourd’hui que le Premier ministre Philippe va présenter la réforme de la retraite. Sous l’angle budgétaire, on comprend trois choses :

  • les prélèvements correspondants ne doivent pas dépasser la barre des 14% du PIB ;
  • les programmes de solidarité sont renforcés ;
  • il ne doit pas y avoir de perdants à la mise en place de cette réforme.

En l’absence de mesures paramétriques permettant d’assurer l’équilibre entre recettes et dépenses, il faut vraisemblablement s’attendre à ce que celles-ci soient plus élevées que prévues et qu’alors un déficit apparaisse. Ou, pour mieux dire, que celui-ci soit plus élevé qu’escompté. La perspective est-elle donc à une inévitable divergence de la France, relativement à ses pairs, en matière de dépenses sociales ?

A aujourd’hui (la référence est 2018), la France dépense l’équivalent de 31 points de PIB en dépenses sociales publiques. Dans l’ensemble formé de l’EU15 (les 15 membres de 1995 à 2004, c’est-à-dire avant l’ouverture aux pays d’Europe centrale), des Etats-Unis, du Canada et du Japon, il est numéro 1, avec deux points d’avance sur la Belgique et la Finlande. Rappelons qu’en 1990, la Suède tenait le flambeau (27 points de PIB) et que la France (24 points) faisait à-peu-près jeu égal avec la Belgique, les Pays-Bas la Finlande et l’Autriche. Sans doute plus que dans beaucoup d’autres pays comparables, la France a du mal à plafonner le poids relatif des dépenses sociales publiques.

Cette approche est peut-être à nuancer. Il faut alors faire la distinction entre le besoin de prestations sociales exprimé à l’intérieur d’un Etat-Nation (avec l’intuition que des pays comparables ont des besoins comparables) et la façon dont celles-ci sont produites et financées (avec un distinguo entre offres publique et privée ; il faut aussi tenir compte de la fiscalité). Si on introduit le concept de dépenses sociales nettes (en intégrant tous ces éléments), comme le propose l’OCDE, la position de la France est moins en avant. Un niveau de 31,5 points de PIB ne se différencie pas trop de celui des Etats-Unis et des Pays-Bas ; tous deux à 30% (contre 19% et 17% pour ce qui est des dépenses sociales publiques).

La perspective proposée par l’OCDE apporte un éclairage sur le débat français du moment. La façon dont on répond aux besoins sociaux exprimés par les citoyens en est un élément constitutif important. A côté d’une offre publique, il y a la place pour une offre privée, obligatoire ou pas.

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Hervé Goulletquer est stratégiste de la Direction de la gestion de La Banque Postale Asset Management depuis 2014. Ses champs d’expertises couvrent l’économie mondiale, les marchés de capitaux et l’arbitrage entre classe d’actifs. Il produit une recherche quotidienne et hebdomadaire, et communique sur ces thèmes auprès des investisseurs français et internationaux. Après des débuts chez Framatome, il a effectué toute sa carrière dans le secteur financier. Il était en dernier poste responsable mondial de la recherche marchés du Crédit Agricole CIB, où il gérait et animait un réseau d’une trentaine d’économistes et de stratégistes situés à Londres, Paris, New York, Hong Kong et Tokyo. Il est titulaire d’une maîtrise d’économétrie, d’un DEA de conjoncture et politique économique et diplômé de l’Institut d’Administration des Entreprises de Paris.

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