Après l'affaire WikiLeaks, des journalistes du monde entier, réunis autour du Consortium d'investigation américain, s'apprêtent à faire exploser une véritable bombe à retardement, celle des noms de plusieurs milliers d'évadés fiscaux du monde entier. Ils seraient notamment 130 en France.
« Offshore Leaks », ou comment le data journalisme pourrait bien mettre à jour un tour du monde de tous les paradis fiscaux.
130 évadés fiscaux en France
L'opération lancée par le consortium d'investigation américain (ICIJ) a pris une ampleur considérable et, déjà, certains disent que ses conséquences pourraient être autrement plus importantes que le scandale qu'avait provoqué la révélation des câbles diplomatiques de WikiLeaks.
Pour cette opération, plusieurs journaux internationaux se sont réunis. Qu'il s'agisse du Washington Post, du Guardian au Royaume-Uni, de la Nacion en Argentine ou encore du Premium Times au Nigeria. Autant de journalistes déterminés à révéler la liste des évadés fiscaux dans leur pays.
160 fois plus d'informations que WikiLeaks
A l'origine de cette affaire, un fichier en provenance de deux entreprises de services financiers offshore. Les informations confidentielles en provenance de Portcullis TrustNet et Commonwealth Trust Limited se comptent par centaines de milliers de sociétés créées depuis les années 90 dans les paradis fiscaux. Les journalistes affirment même que le fichier complet de ces données, dont la révélation a été permise grâce à d'anciens salariés des entreprises qui auraient envoyé un disque dur de façon anonyme, serait au moins 160 fois plus volumineuse que les câbles diplomatiques de WikiLeaks.
Une journaliste française enquête
Parmi tous les noms du fichier, au moins 130 Français seraient eux-aussi impliqués dans l'expatriation d'argent dans les divers paradis fiscaux du monde.
Pour enquêter, Le Monde, partenaire de l'opération, a envoyé une journaliste d'investigation à Madrid, où une correspondante de l'ICIJ lui a expliqué comment enquêter à travers les milliers de lignes du fichier. Comment remonter aux sources, comment déterminer les noms.
Anne Michel fait partie du comité restreint qui a été chargé par la rédaction du Monde d'enquêter sur les exilés fiscaux français.
« Une coopération internationale inédite »
Dans un article rédigé pour le Monde, Anne Michel raconte comment, durant trois jours, elle a été plongée au cœur des grandes intrigues financières de ces dernières décennies. « La liste française n'a laissé filtrer que peu de noms de personnalités connues. Le voyage à Madrid doit permettre d'en savoir plus. ICIJ, qui a une correspondante en Espagne, est prêt à nous ouvrir ses précieux fichiers, » raconte Anne Michel.
« Les listings d'ICIJ sont détonants par leur ampleur, » poursuit la journaliste qui devient, pour un temps, une data journaliste d'investigation. « Mar Cabra, la correspondante d'ICIJ à Madrid [...] a pour mission d'aider les journalistes européens à naviguer dans les fichiers. C'est, dit-elle d'emblée, une coopération internationale inédite. Rompue à ce 'data-journalism' qui promet de révolutionner le métier, elle donne le ton des trois jours que nous allons passer ensemble : l'interprétation des données est complexe, il faudra travailler sans relâche, tard dans la nuit. C'est ce que nous ferons, avec, pour tenir le coup, une théière toujours pleine. »
Plusieurs centaines de milliers de documents
Avant de retourner en France, se plonger dans ces données sensibles, Anne Michel n'a que trois jours pour comprendre le fonctionnement d'une base de données qui pourrait bien révéler les noms de Français riches et célèbres.
« Baptisée OMET (de l'anglais offshore main entity tables, liste des principales entités offshore), la base de données pour laquelle chaque média obtient un code sécurisé ouvre l'accès à des milliers de tableaux Excel, de documents Word, de PDF, certains explicites, d'autres abscons : des mails échangés entre les sociétés Portcullis TrustNet et Commonwealth Trust Limited et des avocats, suisses, américains ou des banques ; la correspondance privée d'avocats avec leurs clients ; des certificats d'enregistrement de sociétés ; des transferts d'actions ; des pièces d'identité. »
Le trésorier de François Hollande apparaît dans la liste
C'est ensuite à Paris que se poursuit l'enquête d'Anne Michel. A ce jour, les noms de cette base de données sont encore quasiment tous tenus secrets.
Mais de l'autre côté de la Manche, les journalistes britanniques du Guardian ont déjà publié une première liste de noms, jeudi 4 avril. Une série de plusieurs personnalités et de dirigeants actionnaires de sociétés dans des paradis fiscaux a été révélée au grand public. Parmi eux, la fille et la femme du président de l'Azerbaïdjan Ilham Aliyev, la collectionneuse d'art espagnole Carmen Thyssen-Bornemisza, la fille aînée de l'ancien dictateur philippin Ferdinand Marcos.
Le Guardian n'épargne pas la France et parmi les noms qui seraient sortis du fichier, Jean-Jacques Augier, trésorier de campagne de François Hollande, aurait investi de l'argent aux îles Caïmans. Un nouveau scandale financier de plus dans l'entourage du Président.