L'administration espagnole se distingue, depuis quelques années, par la disproportion des peines et des amendes qu’elle inflige à ses contribuables et justiciables. Au point d’alerter les plus hautes instances européennes.
Si Kafka vivait au 21e siècle, choisirait-il l'Espagne plutôt que la République tchèque comme cadre de ses romans ? De l'autre côté des Pyrénées, la machine bureaucratique et fiscale apparaît, en effet, en roue libre, la persécution des contribuables n'ayant plus de limites et commençant même à inquiéter les autorités européennes. La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) vient ainsi d'épingler sévèrement le fisc espagnol en raison de l'obligation faite aux résidents fiscaux du pays, qu’ils soient Espagnols ou non, de déclarer leurs biens détenus à l'étranger.
Le fisc espagnol épinglé par la justice européenne
Depuis 2013 en effet, le formulaire 720 de l'Agencia Estatal de Administración Tributaria (AEAT), l'administration fiscale espagnole, oblige les résidents fiscaux en Espagne à déclarer l'ensemble de leurs biens étrangers dont la valeur dépasse les 50 000 euros, qu'il s'agisse de comptes bancaires ou encore de biens immobiliers. Une mesure initialement destinée à lutter contre la fraude fiscale, et une obligation à défaut de laquelle les contrevenants encourent de lourdes peines, celles-ci pouvant atteindre plusieurs milliers d'euros. Le règlement prévoit des amendes très élevées, pouvant atteindre 150 % en cas de déclaration tardive auprès de l'Agence fiscale. El Mundo rapporte ainsi l’histoire tragique d’un Australien qui, apprenant qu’il devait 50 000 euros au fisc espagnol pour avoir négligé de déclarer un peu plus de 100 000 euros provenant d’un héritage et déposés sur deux comptes australiens, a fait une crise cardiaque.
En 2015, un avocat espagnol a porté l’affaire devant la Commission européenne, cette dernière engageant une procédure d’infraction contre l’Espagne et, face à son inaction, l’assignant devant la CJUE. Dans un arrêt rendu le 27 janvier 2022, la CJUE a jugé que ces pratiques fiscales étaient « contraires au droit européen », les magistrats estimant, notamment, que la législation espagnole allait « au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre » ses objectifs légitimes. Plus grave encore, « l'Espagne a manqué à ses obligations en matière de libre circulation des capitaux », pour la CJUE, selon laquelle les sanctions encourues engendreraient « une différence de traitement » entre les contribuables espagnols et ceux des autres pays européens.
Des sanctions disproportionnées
Particulièrement sévère, l’arrêt de la CJUE condamne les pratiques fiscales disproportionnées de l'Espagne et ouvre la voie à une avalanche de réclamations potentielles de la part des contribuables espagnols s'estimant lésés par leur administration fiscale. Mais le zèle de l’administration espagnole s’illustre également en matière d’art. Le banquier et collectionneur d'art Jaime Botín peut en témoigner, lui qui, au terme de huit ans d’un combat judiciaire l'opposant à la justice espagnole, a été condamné en février 2020 à trois ans de prison, assortis d'une amende record de 92 millions d'euros, pour « contrebande ». Soit plus de trois fois la valeur du tableau dont il est accusé d’avoir voulu organiser le transport illégal.
Le tort de Jaime Botín ? Avoir fait part de son intention de revendre La Tête de jeune fille, une toile méconnue de Pablo Picasso, qui lui appartenait depuis 1977. Un souhait à la suite duquel la maison d'enchères Christie's a adressé, par erreur, une demande d'autorisation d'exportation à l'État espagnol – et ce alors que le tableau était exposé depuis son acquisition par Botín sur le yacht de l'homme d'affaires, battant pavillon britannique. L'État espagnol s'est engouffré dans la brèche : au motif que La Tête de jeune fille constituerait un « trésor national », même si la toile n’a officiellement pas ce statut, l'administration espagnole s'est opposée à son exportation et est allée jusqu'à orchestrer l'abordage, en 2015, du navire de Jaime Botín pour s'emparer de la toile de Picasso.
Rien ne semble arrêter l’État espagnol qui s’est, par l’intermédiaire de l'AEAT, à nouveau illustré par la disproportion de ses sanctions au printemps 2020, au plus fort de la crise sanitaire. En plein confinement, l'administration fiscale aurait envoyé aux possesseurs de cryptomonnaies quelque 66 000 avertissements fiscaux, avec pour objectif d'augmenter l'imposition sur les gains réalisés par les internautes, un taux de 23 % s’appliquant désormais aux rendements supérieurs à 50 000 euros. Le fisc espagnol se montre ainsi particulièrement sévère dans la régulation des crypto-actifs : dernièrement, ce sont au tour des influenceurs et des annonceurs en cryptomonnaies d'être dans le collimateur des autorités. Ces derniers pourront encourir, en cas de violation de nouvelles règles qui s'appliqueront le 17 février 2022, des amendes allant jusqu'à 340 000 euros. Autant de mesures et décisions susceptibles d’entraver la libre circulation des biens et des capitaux au sein de l’espace Schengen ? La justice européenne pourrait être amenée à se prononcer prochainement.