La Commission européenne vient le 29 octobre de valider le budget de la France pour 2015. Il faut dire que Michel Sapin a in extremis décidé de rajouter 3,6 milliards d’euros qui, compte tenu des arrondis, permettent de dégager effectivement un effort d’ajustement minimal du déficit structurel de 0,5 point de PIB contre 0,2 précédemment, permettant « facialement » de rendre le budget 2015 compatible avec nos engagements européens (TSCG).
Cependant, à y regarder de plus près, il semble que si le déficit structurel n’est plus affiché comme passant de 2,4% du PIB en 2014 à 2,2% en 2015 mais sans doute à 1,9%, il n’en reste pas moins vrai que de très nombreuses zones d’ombres persistent, notamment s’agissant des dépenses non documentées (près de 22% des économies affichées). Et ce n’est pas la mise en place d’un effort supplémentaire de 3,6 milliards dont le détail n’est pas réellement structurel, qui permettra d’écarter les recommandations sans doute très appuyées que la Commission européenne devrait formuler à l’endroit de la France fin novembre, dans le cadre de son rôle de coordination et de surveillance économique multilatérale [1]. Tentons d’y voir plus clair :
Les 3,6 milliards d’économies et de recettes supplémentaires affichées n’ont rien de structurel :
Les 3,6 milliards annoncés à la dernière minute par la France aux instances européennes (il faudra attendre vraisemblablement la présentation du Budget au Sénat pour en avoir le cœur net dans la présentation pluriannuelle qui en sera faite par les pouvoirs publics), se distribuent grossièrement entre :
Des mesures supplémentaires en dépenses, qui ne sont en réalité que des « actualisations » survenues depuis la présentation du PLF et de la LPFP début octobre, et qui ne sont que des remises à jour des évaluations réalisées à la fin de l’été. Si l’on regarde bien la nature de ces révisions, elles laissent songeurs :
- Les 400 millions sur l’actualisation de la charge de la dette, ne fait en réalité que miser sur une baisse des taux longs. Il s’agit d’un pur effet d’aubaine, qui n’a rien de structurel bien que la France place ces économies comme un renforcement de son l’effort en dépenses structurelles (voir tableau).
- Même critique s’agissant de l’ajustement du PSR UE (prélèvement sur recettes en direction de l’Union européenne). En effet l’actualisation devrait permettre de dégager 600 millions d’économies supplémentaires, mais ces dernières sont en réalité calculées sur l’anticipation de la baisse du PIB pour 2015 qui devrait faire baisser mécaniquement notre participation au budget européen (calculé en poids de PIB de la France par rapport à l’ensemble des pays contributeurs). Mais si la croissance est plus forte que prévu (voir la prévision de l’OFCE à 1,1% par exemple) et cette économie s’effacera aussitôt. Elle n’aura donc rien de « permanent », ni de structurel.
- L’actualisation du CICE permettant un gain de 500 millions d’euros est, elle aussi, sujette à caution. Certes, elle permet d’afficher à cause du décalage entre le décaissement et le versement, la possibilité assez fiable d’ajuster sa consommation effective, mais là encore on ne comprend pas bien le caractère permanent de cette sous-consommation qui pourrait devenir une « sur-consommation » dès l’année d’après et donc ne constituer qu’une économie à un coup.
Côté recettes additionnelles là encore, les éléments qui viennent majorer l’effort structurel affiché par le gouvernement sont pour le moins difficiles à prévoir :
- La lutte contre l’optimisation fiscale (900 millions tout de même) est, par définition, extrêmement difficile à documenter à l’avance et supposerait pour se voir inscrite (mais à quel niveau ?) en effort structurel, des changements législatifs (ou l’usage de ruptures technologiques (Big Data/Data Mining) sans précédents. Et ces recettes n’interviendront que dans le collectif budgétaire de décembre 2014 (PLFR 2 de 2014). Nous n’avons aucune précision à ce sujet.
- Plus fort encore, la non déductibilité de taxes sur la production de l’IS et les mesures fiscales additionnelles (non précisées), pour respectivement 500 et 350 millions d’euros, seront très difficiles à prévoir compte tenu des élasticités drastiquement faibles de nos recettes fiscales.
- Enfin, seul le rehaussement de la taxe de séjour pour les collectivités territoriales pourrait avoir un effet quelque peu pérenne, mais de là à en évaluer avec certitude le rendement, il y a encore une difficulté méthodologique à franchir.
L’ensemble est donc confus, disparate et pour certains éléments (comme la dette, ou le PSR UE) permettent de revendre des économies qui curieusement n’avaient pas été cette année évalués en tendanciel contrairement aux années précédentes. Il s’agissait d’ailleurs d’un point de fuite qui méthodologiquement pouvait s’expliquer pour l’endettement (incertitude du maintien de la baisse des taux), pour des raisons de prudence mais qui, devant les exigences de Bruxelles, semble avoir sauté. Il a alors fallu dans l’urgence afficher ces éléments potentiellement cachés et facilitateurs d’économies à court terme.
Légende : Effets modélisés de ces économies affichées sur le pluriannuel, si l’on retient que le déficit conjoncturel resterait identique puisque l’on ne peut tout de même pas affirmer que la croissance potentielle soit significativement modifiée par les nouvelles mesures annoncées. Par ailleurs, on fera l’hypothèse que l’ajustement structurel se reporterait mécaniquement d’année en année jusqu’en 2018, année à partir de laquelle nous n’avons plus d’éléments de décomposition.
Les zones d’ombres des économies non documentées dans le cadre des 21 milliards d’économies :
En définitive, la Commission européenne devra également auditer le programme affiché par la France de ses 21 milliards d’économies. Hors surprise, malgré la pression de la Commission européenne, près de 22% des économies affichées par la France afin de réaliser son plus gros effort sur la programmation 2014-2019, ne sont pas documentées.
En reprenant les annonces gouvernementales dans le cadre du PLF et du PLFSS 2015 ainsi que les explicitations données par le gouvernement sur un dernier train de mesures dans le cadre de la discussion du PLFSS le 21 octobre 2015 par l’intermédiaire de M. Christian Eckert, ministre du budget, il apparaît que le manque à chiffrer et à documenter s’élève à près de 4,6 milliards d’euros sur les 21 milliards affichés, et significativement à près de 2,9 milliards sur l’État, donc près de 1 milliard sur les dépenses de fonctionnement et 1,95 milliard sur les dépenses d’intervention. La France a donc le plus grand mal à dégager des économies précises sur son train de vie mais surtout sur les dépenses de guichet (prestations sociales) et hors guichet (subventions) en direction des tiers.
Nous en donnons le tableau de synthèse suivant :
Compteur des économies non documentées | Economies non différenciées par nature au total | dont fonctionnement/ investissement | dont interventions | dont taxes affectées | dont subventions pour charge de service public | dont régimes de retraites |
---|---|---|---|---|---|---|
APUC | 3,504 | 0,943 | 1,953 | 0,078 | 0,53 | 0 |
- dont Etat | 2,896 | 0,943 | 1,953 | |||
- dont ODAC | 0,608 | 0,078 | 0,53 | 0 | ||
APUL | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | |
ASSO | 1,12 | 0,67 | 0 | |||
Total | 4,624 | 1,613 | 1,953 | 0,078 | 0,53 | 0,45 |
Fondation iFRAP 2014 |
On constate par ailleurs, que si les économies sur le bloc local sont parfaitement documentées (à supposer qu’elles soient parfaitement répercutées, ce qui est là beaucoup moins sûr, comme le relève d’ailleurs l’augmentation opportuniste de la taxe de séjour (voir supra), il apparaît également que demeurent encore des zones d’ombres s’agissant du champ de la protection sociale (ASSO), avec des économies à documenter en fonctionnement pour 670 millions d’euros et près de 450 millions d’euros à trouver sur les régimes de retraites.
Autant d’éléments qui devront rapidement être fournis à la Commission européenne qui ne manquera pas, sinon, dans le cadre de ses recommandations de novembre, de contester une fois de plus les économies affichées par la France. La victoire de la France pour se qualifier sur l’ajustement structurel pourrait se retourner en défaite sur la solidité des économies à dégager.
Article initialement publié sur le site de l'Ifrap et reproduit ici avec l'aimable autorisation de l'auteur