Le Roux: le népotisme, ce cancer de la Vè République dont on a longtemps tu le nom

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Par Eric Verhaeghe Modifié le 22 mars 2017 à 9h48
Bruno Leroux Nepotisme Fillon Filsde Argent Dinastie
@shutter - © Economie Matin
55000 EUROSBruno Le Roux aurait embauché ses deux filles alors lycéennes puis étudiantes pour un total de 55 000 euros.

Le népotisme (les faveurs accordées aux membres de sa famille, officielle ou non) est devenu un principe de gouvernement dans la Vè République, qu’une certaine police de la pensée a longtemps interdit d’évoquer (sous l’accusation immédiate de jalousie ou de mesquinerie). À force de nier les évidences et de persécuter tous ceux qui disaient « le roi est nu », l’élite dirigeante a créé une impressionnante cocotte minute, avec, d’un côté, des puissants qui ont abusé d’un système, et des assujettis qui rejettent celui-ci d’autant plus violemment qu’ils ont dû le subir sans mot dire.

Fillon, Le Roux: les faces émergées d’un iceberg global

Les affaires Fillon, comme Le Roux, ne sont guère que l’aboutissement d’un processus de décomposition politique entamé depuis plusieurs décennies. Peu à peu, le principe de la dynastie a remplacé l’égalité des chances républicaines. Avec de moins en moins de gêne, l’élite française a assumé la préférence accordée aux fils ou aux filles « de », et les droits dérivés que la filiation procurait.

Faut-il citer les innombrables dynasties qui se sont imposées un peu partout... Dans les medias, par exemple... avec les Drucker, par exemple. Dans l’intelligentsia... avec les Todd et maintenant les Glucksmann. Au cinéma... Avec les Lellouche, les Gainsbourg, les Bohringer. Partout, la Vè République a accepté comme normal un fonctionnement où l’on fait croire qu’il existe une parfaite égalité entre ceux qui doivent se faire un nom et ceux qui doivent se faire un prénom.

De glissements en dérapages, plus personne ne trouve donc choquant d’utiliser sa situation sociale pour favoriser ou enrichir ses enfants.

Le silence longtemps imposé sur ces pratiques

Par peur de déplaire et d’être taxé des pires bassesses par ceux qui ont tiré profit du système, le silence s’est imposé. Il a longtemps été de bon ton d’expliquer qu’un enfant bien né ne réussissait pas de façon déloyale, mais seulement par son talent. La fiction d’une égalité des chances, d’un fonctionnement normal du système, est devenue le récit obligatoire et mensonger d’une société atteinte par ce cancer létal.

Les initiés du système le savent. Tiens… je me souviens, lorsque j’étais à l’ENA, d’un Préfet (militant PS) qui fut mon maître de stage et qui avait connu Martine Aubry lorsqu’elle faisait sa scolarité dans cette école. Il se plaisait à raconter combien le caractère de l’intéressée était épouvantable et moyennement porté sur l’effort. Il concluait toujours: « Vous savez, Eric, être l’enfant de quelqu’un, dans la République, ça aide… »

Bien entendu, que la Vè République a lentement dérivé vers un système aristocratique de reproduction des élites particulièrement grossier, et d’autant plus grossier qu’il était interdit d’en parler. Le silence a permis la généralisation des métastases, tout comme il a dissimulé un rejet virulent de son fonctionnement.

Une maladie de droite comme de gauche

L’erreur serait de croire qu’un « camp » politique pratiquerait plus le népotisme que l’autre. L’affaire Fillon, comme l’affaire Le Roux, le montrent. Les partis de gouvernement souffrent tous, autant qu’ils sont, de ce mal insidieux. Par exemple, l’occultation jusqu’à ces dernières semaines, des collaborateurs parlementaires, a permis la généralisation de pratiques qui choquent profondément des Français précarisés par la crise.

Pendant que beaucoup cherchent des emplois, ils s’aperçoivent que leur député peut recruter ni vu ni connu sa femme ou ses enfants, et leur assurer des salaires confortables aux frais du contribuable, sans aucun effort et sans rendre aucun compte. Tous les Français ont entendu des politiciens professionnels arrogants comme Claude Bartolone leur expliquer que la transparence sur toutes ces affaires n’était rien d’autre que du populisme et de la démagogie.

Ah! les belles leçons de morale sur le front républicain contre le populisme! on les comprend mieux maintenant! République, que d’emplois fictifs on recrute en ton nom…

La fausse illusion du Front National

Ceux qui se tournent vers le Front National pour secouer le cocotier sont évidemment prisonniers d’une illusion, nécessaire à certains égards mais tragique. Nécessaire partiellement parce qu’on peut comprendre que, face aux résistances d’une caste dirigeante en pleine réaction nobiliaire, l’opinion publique parie sur un parti vierge de tout passé gouvernemental pour changer la donne. Mais si l’on se souvient que le Front National fait pratiquement partie intégrante du patrimoine familial de la dynastie Le Pen, on mesure immédiatement l’illusion qu’il y a à croire que ce parti remettra en cause la tradition du népotisme.

Ceux qui ont tenté, d’ailleurs, de faire du FN un parti non patrimonial ont vécu le pire. Faut-il citer les Mégret, les Gollnisch, et autres, qui ont un temps imaginé à leur détriment pouvoir prétendre à une vie démocratique? Redisons-le ici, Florian Philippot, qui donne le sentiment d’une ouverture du parti à autre chose que la famille subira rapidement les foudres de ses « amis » une fois le pouvoir conquis.

Le népotisme s’ajoute aux connivences coupables

Si le népotisme était la seule tumeur qui attaque nos élites, nous pourrions imaginer qu’un traitement médical, chirurgical, serait possible. Mais ce népotisme s’ajoute aux autres maux que les lecteurs de ce blog retrouvent souvent dénoncés dans ces colonnes. La République n’est pas seulement mal en point parce qu’on y préfère un fils ou une fille médiocre à un inconnu, un « parvenu » compétent. Elle est aussi en plein déclin parce qu’on y préfère un médiocre qui compose avec les tares du système à une personnalité compétente qui veut remettre de l’ordre raisonnable dans les choses.

Prenons l’exemple de Bruno Le Roux qui a recruté ses filles encore mineures comme collaboratrices parlementaires (on entend d’ici ses ricanements devant bobonne en évoquant le « bon coup » qu’il jouait au système et en balayant d’un revers de la main les objections qu’elle pouvait faire par la phrase toute faite: « avec tous les efforts qu’on fait, avec tout le temps qu’on donne, on a bien droit à ça »). L’impétrant fut, à la fin des années 90, vice-président de la MNEF, où il a croisé des tas de gens sérieux comme Dominique Strauss-Khan ou Manuel Valls.

Ce petit monde de la MNEF présente aujourd’hui une impressionnante galerie de portraits qui se tiennent par la barbichette, jusque dans des affaires crapuleuses dont on ne finira pas de raconter les détails dans cent ans encore…

L’inévitable curée des élites due à la réaction nobiliaire

En réalité, la France connaît un cycle historique régulier. De loin en loin, ses élites se forment, se figent, se reproduisent entre elles jusqu’à la dégénérescence des tarés, se crispent sur leurs privilèges, puis subissent une vaste purge avant de recommencer. Ce processus a lieu sous nos yeux. La démission d’un Le Roux n’est qu’un épiphénomène et un cap dans un processus de désintégration dont on espère qu’il ira jusqu’au bout.

La France a besoin de renouveler ses élites pour retrouver sa grandeur. Et comme ses élites incompétentes actuelles s’accrochent au régime comme une moule à son rocher… il faudra bien les déloger d’une façon ou d’une autre.

Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog

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Né en 1968, énarque, Eric Verhaeghe est le fondateur du cabinet d'innovation sociale Parménide. Il tient le blog "Jusqu'ici, tout va bien..." Il est de plus fondateur de Tripalio, le premier site en ligne d'information sociale. Il est également  l'auteur d'ouvrages dont " Jusqu'ici tout va bien ". Il a récemment publié: " Faut-il quitter la France ? "

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